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Les interventions qui ont permis la production des données écrites analysées dans ce travail s’adressent à de jeunes adultes en formation à l’enseignement et sont conçues dans la perspective développementale décrite plus haut.

Cette recherche porte sur les effets de la formation à propos de trois modules donnés dans le champ transversal par l’unité enseignement, apprentissage et évaluation. Le plan de formation des futurs enseignants des premiers degrés de la scolarité prévoit que les étudiants suivent chaque année un module sur ces thématiques. Ainsi, les traces des parcours de formation qui seront analysées ici sont des productions d’étudiants récoltées dans le cadre de ces modules, à savoir une production par semestre de formation, à l’exception du cinquième semestre.

Pour mieux saisir le cadre dans lequel s’insèrent ces modules, nous allons présenter brièvement la formation des enseignants des premiers degrés à la Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud et décrire les dispositifs de formation mis en œuvre dans les modules concernés.

7.1 La  formation  des  enseignants  des  premiers  degrés  à  la  HEP  Vaud  

La formation des enseignants des degrés préscolaires et primaires à la HEP Vaud dure trois ans durant lesquels l'étudiant alterne entre cours en institution et stages dans les classes du canton. Des stages ont lieu tous les semestres, le temps qui leur est consacré augmentant chaque année pour atteindre deux jours par semaine en troisième année.

Dès le début de leur formation, les futurs enseignants choisissent une mention, à savoir les degrés pour lesquels ils souhaitent se former (mention -2+2 vs +3+6)16. Ainsi, bien qu’ils obtiennent un titre qui leur permette d’enseigner dans les huit premiers degrés de la scolarité, les étudiants ne sont formés que pour les degrés choisis.

L’unité de formation est le module. Il vaut en moyenne cinq crédits et est généralement composé d’un cours magistral et de séminaires en plus petits effectifs. Les différents modules proposés aux étudiants sont très fortement colorés en fonction de la mention choisie (cours et séminaires adaptés) à l’exception d’un cours sur le développement de l’enfant, d’un cours d’histoire de l’éducation, des modules concernés par cette recherche (cours communs, séminaires par mention) et des séminaires d’intégration, unité de formation où les étudiants des deux mentions sont réunis. Dans les modules didactiques ou ceux liés à la gestion de la classe, les étudiants suivent des modules qui ne concernent que la mention dans laquelle ils sont inscrits. De plus, ce plan d’étude n’offre pas réellement d’apports spécifiques à propos des degrés enfantins.

En alternance avec ces modules qui ont lieu en institution, les étudiants réalisent des stages auprès de praticiens-formateurs qui les accueillent dans leur classe, et ceci tout au long de leur formation. Cette part de la formation représente un cinquième de leur temps.

Relevons que ce plan d’étude a fait l’objet d’une évaluation et de modifications récentes, notamment pour améliorer la formation spécifique en ce qui concerne les premiers degrés de la scolarité.

Ainsi, la part de la formation dont il est question dans cette thèse, à savoir celle des trois modules enseignement, apprentissage et évaluation, ne représentent qu’une petite partie de la formation des étudiants. Dans ce travail, nous interrogeons le rôle des savoirs théoriques dans la formation des enseignants. Ceci n’implique aucunement que nous niions le rôle dévolu à la part pratique de la formation, mais ceci n’est pas notre objet.

Dans la version des modules dont il est question dans cette thèse, un certain nombre de choix dans nos dispositifs de formation étaient la conséquence des prescriptions institutionnelles et du contexte politique dans lequel la HEP se trouvait à ce moment-là.

Premièrement, nous avions le souci d’éviter le formatage des étudiants et leur avons proposé un nombre assez important de concepts théoriques issus de cadres différents. Ceci, notamment en réponse à une question du questionnaire qualité à propos de la variété des modèles théorique proposés dans les cours. Deuxièmement, dans le souci d’obéir à l’injonction de n’évaluer que les compétences des étudiants et dans l’impossibilité de visiter les étudiants en stage, nous avons privilégié, lors des certifications, des travaux écrits produits à propos de situations menées (ou prétendues menées) dans les stages. Nous reviendrons à la fin de cette thèse sur les adaptations de nos dispositifs que les analyses réalisées dans cette thèse nous ont suggérés.

7.2 Le  dispositif  de  formation  :  trois  modules  

L’équipe enseignement, apprentissage et évaluation est en charge de trois modules consécutifs (un par année de formation) et annuels (du moins les deux premiers).

L’objectif central de ces modules est de permettre le développement chez les futurs enseignants de leurs compétences à planifier, gérer, réguler et évaluer les apprentissages de tous les élèves. Dans la perspective historico-culturelle défendue plus haut, ces interventions visent l’appropriation par les étudiants d’un certain nombre de cadres théoriques proposés comme offres de significations et qui visent à permettre potentiellement aux étudiants d’une part, de reconceptualiser les concepts spontanés construits avant leur entrée en formation ou durant leurs expériences en stage.

En plus de ces concepts (ou systèmes de concepts) scientifiques, les formateurs proposent aux étudiants des outils médiateurs qui guident l’usage des cadres théoriques proposés et visent l’intériorisation d’un certain nombre de questions et d’opérations de pensée liées aux dimensions du travail enseignant traitées ici (questions pour analyser des tâches ou un objet d’apprentissage, scénario didactique, taxonomie d’habiletés cognitives, analyse de productions d’élèves…).

Chaque module est constitué d’un cours magistral qui présente, définit et explique les concepts-clés et d’un séminaire qui accompagne les étudiants dans leurs lectures, dans leur compréhension des concepts proposés dans le cours et dans leur appropriation des outils médiateurs qui visent le questionnement, l’analyse et la conceptualisation d’éléments liés à l’enseignement-apprentissage : l’analyse de tâches et d’objets d’apprentissage en première année, l’analyse d’interactions et des effets des interventions de l’enseignant sur les apprentissages des élèves en deuxième année, ainsi que l’analyse de leurs pratiques en troisième année.

Pour permettre au lecteur de prendre connaissance plus aisément les résultats de cette recherche, les contenus des trois modules de formation seront présentés plus en détails

dans les chapitres suivants, en lien avec l’analyse des travaux d’étudiantes produites dans chaque module. À ce stade, nous présentons de manière générale la thématique, les objectifs et les dispositifs de formation proposés.

Le premier module traite d’apprentissage et d’enseignement. L’objectif est l’organisation et la gestion des apprentissages, particulièrement du point de vue de l’analyse de tâches proposées aux élèves. Le cours propose un certain nombre de cadres théoriques issus des sciences de l’éducation et de la psychologie des apprentissages, dans le but de fournir aux étudiants des outils pour comprendre et analyser des phénomènes liés à l’enseignement-apprentissage. Dans le séminaire, les étudiants sont d’une part guidés dans l’appropriation de ces cadres théoriques et dans les lectures qui leur sont demandées, et d’autre part s’entraînent à identifier les apprentissages en jeu dans les tâches, à analyser des objets d’apprentissages et à préparer des situations d’enseignement-apprentissage qui poursuivent les objectifs définis dans les plans d’étude. Du point de vue des enjeux décrits plus haut, c’est dans ce module que nous visons la compréhension des malentendus véhiculés par certaines pratiques (et visibles dans certaines tâches proposées aux élèves) et qui sont source de difficultés pour certains élèves (par exemple l’habillage des tâches ou la multiplication de tâches qui brouillent et rendent invisibles les enjeux d’apprentissage).

Le deuxième module porte sur l’évaluation, la différenciation et les démarches formatives. Le cours fait une place importante à l’explicitation des prescriptions en vigueur dans le canton de Vaud et traite des différentes fonctions de l’évaluation, des enjeux et des modalités de la différenciation. Le séminaire met en œuvre un dispositif de formation de type lesson study17, qui fait travailler les étudiants par groupe de quatre autour de deux tâches (un entretien individuel avec un élève autour d’une tâche de catégorisation et le jeu de la devinette avec toute la classe). Pour chaque tâche, les étudiants préparent et planifient leur intervention, la mettent en œuvre, l’enregistrent et rédigent un protocole des interactions, analysent leurs interventions et leur impact sur les apprentissages des élèves, puis préparent et planifient une nouvelle intervention qui intègre les résultats de leurs analyses. Ceci a lieu plusieurs fois de suite, dans une visée d’amélioration de leurs interventions ET pour permettre aux étudiants de mesurer leur progression et l’impact de leurs interventions sur les apprentissages des élèves. Ainsi, en regard des enjeux de formation exposés au chapitre 6, dans ce module nous visons à permettre aux étudiants de prendre la mesure des effets de leurs pratiques (ici, leur préparation de l’enseignement et leurs interventions durant les interactions avec les élèves) dans les apprentissages des élèves.

Le troisième module porte sur la prise en compte de l’hétérogénéité de la classe, l’intégration de tous, la prévention de l’échec scolaire et de la construction des inégalités.

Il met l’accent sur l’analyse des situations d’enseignement-apprentissage et comprend un séminaire d’analyse des pratiques. Les objectifs de formation sont : mener des analyses réflexives rigoureuses sur des aspects précis de leur enseignement, guider les élèves dans leurs activités par des interventions appropriées, ainsi que détecter les problèmes d’enseignement-apprentissage et les résoudre en utilisant les ressources appropriées.

17 Le dispositif lesson study est d’origine japonaise et peut être traduit par l’étude collective d’une leçon.

C’est une démarche de recherche-formation qui implique un groupe d’enseignants dans la planification, la mise en œuvre et l’analyse d’une leçon. La démarche vise l’amélioration des apprentissages des élèves par

Le séminaire se conduit sous forme d’analyse des pratiques professionnelles durant lequel chaque étudiant présente lors d’une séance une situation problématique rencontrée dans son stage. En regard des enjeux de formation que nous défendons, ce module vise notamment à permettre aux étudiants de dépasser les indices visibles des difficultés d’un élève (comportements, manque d’autonomie, origine socio-économique ou encore mauvaise volonté) pour chercher à comprendre la nature des difficultés de élève, à centrer leurs observations sur les apprentissages de l’élève et à élargir leurs hypothèses des causes de ces difficultés.

Tout au long de sa formation, le futur enseignant est conduit à rédiger de nombreux écrits de nature réflexive ou narrative (des rapports de stage, des dossiers comprenant des préparations, des récits et des analyses de leçon, des métatextes dans le cadre des séminaires d’intégration). C’est souvent lors de la rédaction de son mémoire professionnel que l’étudiant rédige pour la première fois de son cursus un texte de nature plus scientifique et se référant à des concepts scientifiques. Ce constat a d’ailleurs participé à la décision de notre équipe de demander aux étudiants de réaliser des fiches de lecture dans le cadre de nos modules.

La perspective historico-culturelle définie plus haut, et le rôle qu’elle permet d’allouer à l’écriture comme outil privilégié de formation, a conduit l’équipe de formateurs responsable de ces différents modules à demander aux étudiants des productions écrites de diverses natures. L’écriture revêt alors différentes fonctions telles que : garder une trace de ce qui s’est passé, s’approprier des concepts scientifiques, institutionnaliser certains acquis, expliciter ses processus de formation…

Par exemple, à la fin de chaque séminaire de première année, un étudiant rédige une synthèse du séminaire, en deuxième année, les groupes d’étudiants terminent un cycle d’étude à propos d’une activité par une fiche de synthèse à l’intention de leurs collègues, en troisième année, chacun produit le récit d’une situation problématique… C’est dans cette même perspective que dans les deux premiers modules, nous demandons aux étudiants de rédiger une fiche de lecture, et qu’à la fin de chaque module, chacun produit un bilan de ses acquis en lien avec le module concerné.

7.3 Des  indices  du  développement  professionnel  des  étudiants  

Dans la perspective développementale que nous avons définie plus haut, l’appropriation d’outils, de préconstruits socio-historiques, par les étudiants peut jouer le rôle de moteur du développement professionnel des futurs enseignants. Cette appropriation va potentiellement constituer une zone de tension interne entre les conceptions spontanées construites par les futurs enseignants, non consciemment et au fil de leurs expériences de l’enseignement et de l’apprentissage et, les concepts scientifiques proposés en formation comme des offres de significations (Vygotski, 1934/1997). La résolution de cette tension est potentiellement génératrice de développement. Elle peut favoriser la prise de conscience des concepts spontanés et générer une réorganisation de la pensée.

Dans cette perspective, la formation propose des médiations, matérielles et humaines : les outils sémiotiques proposés d’une part, et les interventions des formateurs qui étayent l’appropriation de ces outils d’autre part (Bruner, 1996).

C’est dans les discours des étudiants que le formateur peut avoir accès à des indices des savoirs appropriés, de la forme donnée à ces appropriations, des significations construites par les futurs enseignants à partir de celles offertes en formation.

Repérer des indices du développement des futurs enseignants nécessite de prendre des informations à ce sujet et à différents moments de la formation, à propos : des savoirs de référence qu’ils convoquent, de la façon dont ils en font usage, de leur posture face aux phénomènes de l’enseignement-apprentissage plus ou moins critique ou empreinte de doxas pédagogiques, des dimensions de l’enseignement-apprentissage sur lesquelles ils portent leur attention…

Dans les textes qu’ils produisent, les étudiants décrivent leurs pratiques, racontent leurs conceptions, convoquent des savoirs de référence, les transforment, les traduisent avec leurs mots dans des perspectives plus ou moins opérationnelles. Ils font part de leurs désaccords, négocient les savoirs théoriques proposés par les formateurs, s’opposent parfois et donnent ainsi à voir les tensions et les obstacles qu’ils traversent.

7.4 Questions  de  recherche  

Mieux comprendre les parcours de formation de ces futurs enseignants des premiers degrés de la scolarité et les savoirs avec lesquels ils quittent la formation passe par la description de ces parcours, par l’identification des savoirs de référence convoqués. Le cheminement théorique effectué jusqu’ici nous permet de préciser les questions de cette recherche. Celles-ci s’articulent autour de deux axes, ou deux questions de recherche principales. Le premier axe traite de ce que les étudiants font des savoirs théoriques proposés en formation, ceux qu’ils s’approprient et comment. Le deuxième traite de ce que cette appropriation fait aux étudiants, à savoir l’évolution (ou pas) de certaines de leurs conceptions ou postures identifiées à l’entrée en formation.

1. Comment les futurs enseignants des premiers degrés de la scolarité s’approprient-ils les savoirs théoriques proposés sur l’enseignement et l’apprentissage ?

o Quels savoirs s’approprient-ils, quels savoirs convoquent-ils, pour quel usage ?

o Comment les étudiants traitent, s’approprient, transforment ces savoirs, quelles significations construisent-ils?

o Construisent-ils des outils de pensée ou des certitudes, des doxas pédagogiques ?

2. Comment évoluent (ou pas) les conceptions de l’enseignement, de l’apprentissage et des finalités des premiers degrés de la scolarité chez les futurs enseignants de ces degrés ?

o Peut-on dégager des parcours typiques du point de vue de leur centration sur les apprentissages des élèves ?

o Quelles évolutions peut-on décrire du point de vue des conceptions de l’enseignement, de l’apprentissage et des inégalités scolaires et de la centration de leur attention au sujet des phénomènes d’enseignement-apprentissage ?

La description des parcours de formation, du point de vue des questions posées ci-dessus devrait permettre de décrire et de mieux comprendre le rôle que peuvent jouer les savoirs théoriques de référence proposés en formation des enseignants des degrés élémentaires, lorsqu’ils sont appropriés par les étudiants, dans leur développement professionnel.

L’analyse des processus de formation se fera sur deux axes :

- L’axe diachronique nous permettra de rendre compte de trajectoires typiques, de décrire l’évolution de l’appropriation des savoirs théoriques et des conceptions du rôle de l’enseignant.

- L’axe synchronique, qui, par comparaisons entre étudiants, permettra d’identifier des indices de développement professionnel et des enjeux pour la formation. Dans cette partie nous identifierons les savoirs de référence convoqués dans leurs écrits et le rôle de ces savoirs dans la construction de leurs conceptions.

 

PARTIE  III                                        

  Vers  des  indicateurs  des  processus