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Processus en lien avec la catégorisation sociale

Chapitre 2. Fondement des processus identitaires et rapports de domination

1. La catégorisation sociale

1.2 Processus en lien avec la catégorisation sociale

La catégorisation d’objets sociaux va, au même titre que pour les objets physiques, engendrer différents types de biais. La Haye (1998) précise que la catégorisation des objets sociaux correspond au processus cognitif intermédiaire, permettant de donner sens au monde social. C’est donc bien toujours par l’intermédiaire d’un mécanisme de simplification du monde environnant que la catégorisation va être en œuvre. Par l’intermédiaire de la catégorisation sociale, des chercheurs ont découvert qu’il suffit de conditions minimales de catégorisation pour faire émerger un certain type de comportement, donnant naissance au paradigme des groupes minimaux, Tajfel, Billig, Bundy & Flament (1971). Ainsi en constituant des groupes à l’aide d’une opinion artistique (Tajfel et al., 1971), d’un tirage au sort via pile ou face (e.g., Perrault & Bourhis, 1999) entre autres, les chercheurs parviennent à démontrer des biais comportementaux, comme l’endo-favoritisme11. La tendance à favoriser son endogroupe peut se retranscrire par une attribution plus importante de ressources à celui- ci, mais aussi de traits plus négatifs à l’exogroupe (Sachdev & Bouhris, 1991). Bien que ces groupes soient constitués de façon arbitraire, sans enjeu apparent.

Ces biais perceptifs correspondent donc à une vision « altérée » du réel. Ils peuvent être perceptifs, évaluatifs ou encore comportementaux. « Ces biais sont dus au fait que les éléments d’informations traités le sont au travers du filtre de l’organisation catégorielle adoptée par le sujet, si bien que deux éléments, qui sont en fait semblables, peuvent soudain

11 Mangin (2015) précise que le terme « endo-favoritisme» est plus approprié que le terme « auto-favoritisme » souvent

rencontrer dans la littérature française. En grec, « endo » peut se définir comme « à l’intérieur », tandis que « auto » fait quant à lui plutôt référence à sujet individuel plutôt que faisant partie d’un groupe.

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apparaître très différents ou plus semblables encore {…} » (Salès-Wuillemin & Specogna, 2005, p. 351). Les chercheurs sont parvenus à mettre en exergue ces différents biais perceptifs, tout aussi bien chez des groupes artificiels (Wilder, 1984 ; Judd & Park, 1988) que chez des groupes authentiques (Park & Judd, 1990).

Au sein du champ social, les biais ou distorsions perceptives sont dépendantes du contexte (Doise, 1993) et des différentes insertions sociales. Tajfel (1972) explique que la catégorisation sociale est une division du monde social qui se veut discontinue. En s’intéressant aux objets sociaux, Tajfel (1972) considère que la catégorisation correspond aux différents processus psychologiques, rapprochant certains attributs, caractéristiques, équivalences, qui vont venir agencer l’environnement. Cependant, comme le rappelle Salès- Wuillemin (2007) à propos de la représentation des objets sociaux « lorsque (ces objets) sont des groupes, (ils) engagent le sujet dans sa propre appartenance sociale » (Salès-Wuillemin, 2007, p.8). La représentation implique donc à la fois un processus d’hétéro-catégorisation, c’est-à-dire la catégorisation d’autrui, et d’auto-catégorisation, à savoir la catégorisation de soi (Turner, Hogg, Oaks, Reicher & Wetherell, 1987).

Perchot (2013, p. 60) ajoute que « dans le champ social, ces distorsions trouvent leur sens auprès du rôle des insertions sociales, c’est-à-dire des rapports sociaux dans lesquels l’individu est impliqué ». Il nous faut dès lors prendre le temps de préciser ce que nous entendons par catégories sociales et ce que cela implique. Nous pouvons nous appuyer sur la définition de Tajfel et Turner (1979, p.40) qui proposent qu’un groupe social soit « une collection d’individus qui se perçoivent comme des membres d’une même catégorie, qui attachent une certaine valeur émotionnelle à cette définition d’eux-mêmes et qui ont atteint un certain degré de consensus concernant l’évaluation et de leur appartenance à celui-ci »12. Cette définition implique notamment que les individus parviennent à identifier le(s) groupe(s)

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d’appartenance(s) et donc le(s) groupe(s) de non appartenance(s). « Le groupe social (comprendre endogroupe) est perçu comme un fournisseur d’identité sociale positive pour ses membres en se comparant et se distinguant, d’autres groupes de comparaison à l’aide de dimension saillante qui ont une valeur différentielle claire »13 (Commins et Lockwood,

1979b, p.281-282). Ces enjeux vont au même titre que pour les objets physiques, engendrer un biais d’assimilation (Tajfel, Sheikh & Gardner, 1964 ; Doise, Deschamps & Meyer, 1978) qui consiste donc en une maximisation des ressemblances (homogénéisation) des individus au sein d’un groupe. Le biais de contraste génère une accentuation des différences (Macgarty & Turner, 1992). Tajfel, Sheik et Gardner (1964) sont parvenus à valider l’hypothèse suggérant que les membres d’un même groupe ethnique seront considérés comme plus ressemblant sur des traits en lien avec des stéréotypes accolés au groupe que sur les autres éléments. Pour ce qui est de la discrimination, il a été démontré par Castel (1999), Duflos et Lauvergeon (1988) que ce phénomène est plus facilement observable sur des objets sociaux que physiques. Ce qui renforce l’interprétation de Castel (2007), qui proposera que la catégorisation sociale agisse comme un filtre à la perception, générant la mobilisation de stéréotypes en lien avec le groupe cible.

De plus, les perceptions sont aussi influencées par d’autres éléments comme la composition des groupes. Comme le montrent Hogg et Turner (1987) lorsqu’un groupe est exclusivement composé d’hommes ou de femmes, les comportements ne sont pas les mêmes qu’au sein de groupes mixtes. Les individus ont une tendance plus importante à intensifier leurs similarités avec les personnes du même genre dans les groupes mixtes (Oakes, Turner & Haslam, 1991). D’autres études (Mullen & Hu, 1989 ; Pickett & Brewer, 2001 ; Chappe & Brauer, 2008) ont aussi fait émerger des biais perceptifs, les individus percevant l’exogroupe comme plus homogène que l’endogroupe. Ce qui correspond à un effet d’homogénéisation

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exo-groupale. Il s’avère cependant que l’effet inverse, à savoir l’effet d’homogénéisation endo-groupale, a aussi été rencontré (Simon & Mummendey, 1990). Le processus de catégorisation sociale génère un ensemble important de biais. Nous pouvons mentionner les biais évaluatifs qui ont pour effet de favoriser les individus de l’endogroupe (auto- favoritisme) et de sous-évaluer les membres appartenant à l’exogroupe (allo-défavoritisme). Doraï (1993) illustre le biais d’auto-favoritisme en sollicitant la variable de la nationalité. Les résultats démontrent que les sujets vont évaluer plus positivement les membres de l’endogroupe que ceux de l’exogroupe. D’autres travaux (De Cremer, 2003 ; Ellemers, Spear, & Doosje, 2002) illustrent le biais d’homogénéité endogroupe, mais aussi la possibilité d’une attribution plus importante de traits à l’endogroupe ou à soi-même.

C’est au travers des interactions sociales que les groupes vont construire des savoirs sur les autres et sur eux-mêmes (Vinet & Moliner, 2006). Ces interactions vont donner lieu à des comparaisons sociales (Festinger, 1954). Si l’individu parvient à se déterminer comme appartenant à certains groupes et non à d’autres, c’est bien qu’au travers des interactions sociales, il parvient à comparer un certain nombre d’éléments, d’attributs qui lui permettent de s’auto-définir. À l’aide du processus de comparaison sociale, les individus vont pouvoir mettre en saillance des différences ou ressemblances avec d’autres individus ou groupes sociaux qui vont lui permettre de pouvoir se situer dans l’espace social. Ce mécanisme de comparaison est lui aussi fondamentalement lié à la théorie de l’identité sociale.