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Chapitre 3. Théorie des représentations sociales

2. L’approche structurale

2.3 Pratiques et représentations sociales

Moscovici (1990) regrettait que les pratiques sociales soient si peu étudiées en psychologie sociale. Depuis, pour ce qui est des RS, beaucoup de chercheurs se sont intéressés aux différents liens entre pratiques et RS (Flament, 1987 ; Abric, 1994 ; Abric, 2001c ; Jodelet, 1989 ; Guimelli, 1996 ; Guimelli, 2001 ; Guimelli & Jacobi, 1990 ; Guimelli, 1998 ; Fraïssé, 1999 ; Flament, 2001 ; Ajcardi & Therme, 2007). Il a été démontré que pratiques et RS s’influencent mutuellement (Michel Guillou, 2006). Les RS participent à la construction des connaissances pratiques et socialement partagées, au travers des interactions sociales (Howarth & Gina, 2017). Mais les pratiques et les interactions sociales participent tout autant à la construction de la RS. Dès lors, s’aventurer dans une réflexion ayant pour enjeu de découvrir qui est à l’origine de quoi, ne s’avère pas pertinent. Flament (2001, p.55) vient abonder en ce sens « actions et rétroactions s’enchaînent et vouloir donner une priorité à l’un ou à l’autre relève plus de la rhétorique que de l’approfondissement » Pratiques et représentations sont ainsi entremêlées, « il n’est guère de règle ou de pratique qui ne soit suscité ou accompagné d’un ensemble de représentations » (Moscovici, 2001, p. 9). Bien qu’un changement de RS s’opère dans le temps long (Moliner, 2001a), la pratique est une variable qui a un fort impact sur l’élaboration, le contenu, mais aussi sur le changement d’une représentation. Dans une étude ayant pour objet la chasse, Guimelli (1989) parvient à démontrer qu’un changement de pratique peut engendrer un changement de représentation. Des modifications ou changements dans l’environnement des individus peuvent donc entraîner, un changement de représentations. Flament (1987) considère d’ailleurs les pratiques comme la principale source de changement d’une RS. En étudiant les RS de la médecine naturelle Fraïssé (1999, 2000) va montrer que les pratiques jouent un rôle dans la structuration des RS, mais aussi dans leur « emboîtement ».

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Des pratiques communes concourent à la constitution de la représentation par le groupe, ainsi « désigner les pratiques sous formes de système permet de prendre en compte les comportements (ou actions) comme un élément d’un ensemble constitué, dans lequel ils sont socialement liés » (Dany & Abric, 2007). Par ailleurs, différentes études empiriques ont aussi démontré que l’influence sociale (Butera, Huguet, Mugny, & Pérez, 1994) ainsi que l’idéologie (Gaffié & Marchand, 2001) sont elles aussi à même de modifier une RS.

D’autres études ont démontré le caractère structurant d’une certaine proximité ou pratique de l’objet (Stewart, 2000 ; Abric & Tafani, 1995 ; Dany & Abric, 2007). Lo Monaco & Guimelli (2008), ont interrogé des personnes ayant une consommation plus ou moins régulière du vin, ils vont eux aussi démontrer l’impact structurant des pratiques sur la RS. Morlot et Salès-Wuillemin (2008) puis Salès-Wuillemin, Morlot, Fontaine et al. (2011), vont étudier la RS de l’hygiène de trois groupes ayant plus ou moins de proximité avec l’objet. Un groupe est composé de personnels soignants (cadres de santé, infirmières), un autre d’étudiants spécialisés en soin infirmier et le dernier d’étudiants non spécialisés dans la santé. Morlot et Salès-Wuillemin (2008) sont parvenus à démontrer que le groupe des professionnels fournit un nombre de mots significativement plus consensuels que les deux autres groupes ainsi qu’un ancrage dans la pratique. Selon elles, « les pratiques ont un impact sur la structuration de la représentation sociale, du point de vue de son organisation hiérarchique (système central/système périphérique) et du point de vue de ses dimensions (descriptive, fonctionnelle, évaluative) » (Morlot & Salès-Wuillemin, 2008, p. 94). Moliner et Gutermann (2004) confirment que plus la distance (comprendre distance de façon générique) à l’objet est élevée, plus les éléments de la représentation sont ancrés dans la dimension descriptive ; tandis que l'orientation explicative augmenterait à mesure que le sujet se rapproche de l'objet.

La pratique a donc un effet sur la structure de la RS, mais aussi sur son contenu. La pratique a pour effet d’engendrer une RS pourvue d’éléments plus fonctionnels et descriptifs

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venant relater la description de l’objet ou des actions qui lui sont liées (Morlot & Salès- Wuillemin, 2008).

Le rapport entretenu entre les individus et l’objet a donné lieu à différentes approches épistémologiques, développant un champ de recherche prometteur. La variable du niveau de connaissance (Salesses, 2005a, 2005b), ainsi que celle de l’implication personnelle (Rouquette, 1997) ont notamment été sollicitées. Salesses (2005a, 2005b) parvient à démontrer que l’intensité avec laquelle les individus vont côtoyer l’objet, de façon directe, va aussi jouer un rôle sur son niveau de connaissance et avoir des conséquences sur la RS.

En nous appuyant sur la perspective ternaire de Moscovici (1984) illustrée par la Figure 2, la réflexion entre RS et pratique est illustrée, par le rapport ALTERàOBJET.

OBJET

(Physique, social, imaginaire ou réel)

EGO ALTER

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Comme nous l’avons expliqué, RS et pratiques vont s’engendrer mutuellement (Abric, 1994). Nous avons donc pris soin d’ajouter une flèche (verte) reliant OBJETàALTER, illustrant bien ce mécanisme d’interdépendance (cf. Figure 2). Abric (2001) suggère que le niveau de connaissance, de pratique et d’implication, contribue à déterminer la distance entretenue avec l’objet étudié. Dany et d’autres chercheurs (Dany & Abric, 2007 ; Dany, Apostolidis & Harabi, 2014; Boussoco, Dany, Giboreau & Urdapilleta 2016) se sont évertués à mesurer différents marqueurs tels que le niveau de connaissance, l’implication ou encore le niveau de pratique. Ces marqueurs, qui constitués sous formes d’échelle, permettent d’avoir un retour précis sur le lien entretenu par l’individu et l’objet. À l’aide de ces échelles, ils sont parvenus à constituer des groupes plus ou moins distants de l’objet. C’est donc une analyse du rapport EGOàOBJET qui a permis de constituer différents groupes (ALTER) afin d’étudier l’OBJET. Ce n’est pas le choix que nous avons pour fait pour la simple raison que pour mettre en lumière des rapports hiérarchiques, au sein de notre matrice sociale, seul le niveau de pratique prime. Nous avons cependant fait le choix, de questionner le rapport EGOàALTER, car comme nous l’avons vu via les travaux sur la catégorisation sociale ou encore des rapports de domination, le statut des groupes à des répercussions sur la façon dont les individus perçoivent l’endo, mais aussi les exogroupes. Nous supposons que cela peut avoir des répercussions sur les différentes RS. Nous y reviendrons dans la problématique.

Nous allons donc dans ce travail nous focaliser sur l’impact de la pratique sur la RS. Comme nous l’avons mentionné, les pratiques peuvent engendrer le changement de RS (Flament, 1987), aussi bien sur le contenu que sur la structure de la RS. Nous pouvons donc supposer que selon le type d’interactions que les individus vont avoir, les RS vont s’en trouver impactées de manière différente.

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Des études ont cependant mis en exergue des résultats différents de ceux que nous venons de présenter concernant le rapport entre pratique et objet. Nous pouvons d’abord mentionner l’étude d’Ajcardi et Therme (2007) qui avait pour objet d’étude le ski extrême. À l’aide de trois groupes, les non-skieurs, les skieurs de pistes et les skieurs hors-piste. Ils démontrent pour ce qui est de la structure de la RS, que les trois groupes partagent un nombre conséquent d’éléments consensuels. Ils démontrent aussi, une présence importante d’éléments évaluatifs chez les groupes de skieurs et de skieurs hors-piste, et non pas uniquement chez les non-skieurs. Les deux groupes de skieurs, faisant notamment appel aux sensations, au plaisir en lien avec la pratique. Nous pouvons aussi mentionner le travail de Rouquette et Rateau (1998) qui interrogent la RS de la maladie mentale auprès de trois groupes. Des étudiant(e)s infirmier(e)s en première année, des infirmier(e)s psychiatriques en poste depuis 12 ans et d’autres infirmier(e)s psychiatriques en poste depuis plus de 20 ans. Ils mettent en lumière que la RS des élèves infirmier(e)s qui n’exercent donc pas encore est bien structurée. La pratique a engendré pour les infirmier(e)s en exercice, une restructuration momentanée de la RS. Ce qui a engendré une RS structurée autour d’un nombre d’éléments plus importants. Des résultats contradictoires ont donc été mis en lumière aussi bien sur le contenu que sur la structure des RS, au regard du niveau de pratique. Il sera intéressant de voir ce que notre recherche met en exergue.

Étant donné que notre échantillon est composé de joueurs et joueuses de tennis professionnel(le)s, il nous a paru important de mentionner un type spécifique de représentations, à savoir les représentations professionnelles (Bataille, Blin, Jacquet-Mias, & Piaser, 1997 ; Blin, 1997). Il s’agit ici d’étudier des objets en lien étroit avec des groupes professionnels. « Les représentations professionnelles sont des représentations sociales portant sur des objets appartenant à un milieu professionnel spécifique et partagées par les membres de la profession. En se situant conjointement sur le versant du produit et sur celui

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du processus, elles constituent un élément de référence permanent grâce auquel les individus évoluent en situation professionnelle : opinions, attitudes, prises de position, etc. » (Piaser, 1999, p.19). Ce sont les différentes règles fixées dans le cadre de la profession, qui peuvent permettre la continuité d’une identité professionnelle partagée (Las, Mias, Labbé & Bataille, 2010). Les RP se situent au sein d’une configuration structurelle, ainsi selon « l’enjeu qui réside à l’élaboration représentationnelle se pose en terme d’identité » (Piaser, 1999, p.19). Ce dernier point soulevé par Piaser, est précisément le point que nous souhaitons éclairer à l’aide des RS. La question de l’enjeu, (Moliner 1993, 1996; Moliner, Rateau & Cohen-Scali, 2002) rattaché à l’objet, joue sur la cohésion sociale ou identitaire, permet le maintien ou la défense de l’identité. Comme nous l’avons vu via les TIS/TAC, le groupe d’appartenance peut fournir une identité sociale positive aux individus. L’objectif sera de constater si ces éléments peuvent être mis en exergue à l’aide des RS, au regard notamment du niveau de pratique, et l’organisation hiérarchique qui en dépend.

Organisation hiérarchique pour laquelle la dernière approche que nous allons maintenant introduire, porte un intérêt particulier. Le statut, le positionnement des différents groupes au sein de la matrice sociale se doit selon la perspective sociodynamique d’être pris en considération. Cette réflexion est à mettre au crédit de Doise (1986, 1990) et des chercheurs, de ce qui est communément appelé l’école de Genève.