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Chapitre 3. Théorie des représentations sociales

3. L’approche sociodynamique

Dans l’introduction de notre travail, nous avons vu combien le tennis de par sa nature et son histoire, fut souvent investi par les sociologues. Nous avons notamment déjà fait à plusieurs reprises référence aux travaux de Bourdieu. L’approche des principes générateurs de prises de positions, ou sociodynamique en fait de même. Bourdieu nous dit « la connaissance

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pratique du social {…} met en œuvre des schèmes classificatoires {…} schèmes historiques de perception et d’appréciation qui sont le produit de la division objective en classe » (Bourdieu, 1979, p. 245 cité par Deschamps & Moliner, 2012). Selon Bourdieu, la société assigne des positions au sein de la sphère sociale. Les individus, selon la place qu’ils occupent, vont en adopter les modes opératoires qui correspondent à ladite position. L’incorporation de cette hiérarchie sociale, avec les valeurs correspondantes à ce positionnement, aura pour effet l’absorption de la vision des différents schémas de pensées, propre à cette position (Bourdieu, 1979).

Les différents statuts établis via hiérarchisation deviennent des enjeux de lutte sociale, de distinction (Bourdieu, 1977, 1979) ou encore comme nous l’avons vu de domination (Lorenzi-Cioldi, 2002, 2009). Doise (1986, p.86) précise « la science sociale a […] comme objet d’étude la structure d’un champ, l’homologie et les liens de ses rapports internes avec les rapports dominants de pouvoir et de production, caractéristique d’une société ».

En 1976, Moscovici fait référence au « système » qu’il différencie du « méta- système ». Cette nuance va être éclairée par l’approche sociodynamique. Le système se voulant plus cognitif, va se focaliser de manière plus prégnante sur la catégorisation des éléments, ainsi que leurs classifications et connexions, ce qui n’est pas sans rappeler le processus d’objectivation.

Le méta-système va quant à lui se concentrer sur les aspects sociétaux, sociaux, qui répondent à certaines normes, logiques. Il va s’appuyer sur ces dernières pour en sélectionner les éléments, ce qui fait écho à l’ancrage. Si Doise (1992) décide de porter un intérêt tout particulier à l’ancrage, ce n’est pas pour renier l’importance de l’objectivation. Cette dernière va venir selon lui faciliter les échanges et les communications. Selon lui, il est important d’approfondir les savoirs produits et conçus au travers de l’objectivation, mais de surtout les prendre en compte via les positions, enjeux et valeurs que les groupes sociaux et les individus

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qui les composent leurs attributs. « Les représentations sociales ne sont pas seulement des croyances communes caractérisées par des modulations individuelles, elles sont aussi caractérisées par des ancrages dans des réalités collectives » (Doise, Clemence et Lorenzi- Cioldi, 1992, p. 122-123). Doise (1992) propose une approche tri-dimensionnelle de l’ancrage. Tout d’abord l’ancrage psychologique se focalise sur les communications qui participent à la constitution des différentes valeurs, croyances. Il se concentre de façon plus spécifique sur les prises de positions individuelles ainsi que l’organisation du contenu. L’ancrage psychosociologique va quant à lui être centré sur les positionnements sociaux, qui sont à l’origine de l’orientation des prises de positions. Les oppositions viennent créer des divisions qui vont régenter, déterminer des différences. Enfin, l’ancrage sociologique va comme son nom l’indique, porter son attention sur les groupes sociaux, leurs positionnements ou plus exactement leurs insertions dans l’environnement social. De ce fait, Doise (1986, p.85) définit les RS comme « {…} des principes organisateurs de prises de position, liés à l’insertion dans un ensemble de rapports sociaux et organisant les processus symboliques intervenant dans ces rapports ».

L’approche des principes générateurs des prises de positions se veut distincte de l’approche sociogénétique de Moscovici à différents égards. Moscovici a pour idée que le consensus est à mettre au profit du partage de croyances chez un groupe d’individus donné. Selon Doise (1986 ; 1994), le consensus d’une RS correspond au point d’ancrage, c’est-à-dire au cœur des rapports sociaux entre les différents groupes. Doise et al., (1992, p. 167) précisent « le problème qui nous intéresse maintenant est de savoir ce qui se passe quand les acteurs sociaux prennent collectivement position dans ces paysages en tant que groupes se définissant les uns par rapport aux autres ». Les RS permettent aux individus de se situer dans l’espace social, mais aussi d’élaborer une identité sociale positive. Elle doit être compatible avec les

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valeurs, normes, socialement et historiquement déterminées, à l’aide du processus de comparaison sociale (Mugny & Carugati, 1985).

Le statut, la position sociale des individus, le capital culturel, économique ou encore de genre comme le démontre Lorenzi-Cioldi (1988), sont autant de variables pouvant conditionner des positions asymétriques dans les rapports sociaux. Ainsi, « les différents membres d’une population étudiée partagent effectivement des croyances communes au sujet d’un enjeu social donné » (Doise et al, 1992, p. 121). Les pensées, croyances et donc RS des individus seraient donc en très étroite concomitance avec le système normatif, acquis durant la socialisation. Les RS sont donc exprimées via une prise de position dans la sphère sociale, mais elles dépendent aussi des circonstances dans lesquelles elles sont dégagées. Ainsi, une RS a des répercussions dans le jugement et dans l’action, et engendre des prises de position en étant liée par des relations attestées au sein d’un groupe spécifique à propos d’un objet (Flament & Rouquette, 2003).

En incorporant la prise en compte du positionnement de l’endogroupe et de l’exogroupe, pour l’analyse et la compréhension du contenu représentationnel, l’école Genevoise a apporté une perception déterminante à la bonne compréhension des RS.

Il a donc été indispensable pour ce travail de recherche, de nous approprier à la fois les caractéristiques de l’approche structurale, dès lors comme toutes les recherches sur les RS doivent nécessairement passer par une analyse structurale. Mais l’approche sociodynamique (Doise & Palmonari, 1996) nous a aussi poussé à approfondir la structure hiérarchique « institutionnalisée » du tennis. Cela étant dit, comme le rappelle fort justement Harabi (2018, p.30) concernant la perspective sociodynamique « il n’est pas question dans ces études d’une mesure explicite des distances identitaires, ni des identifications sociales à proprement parler

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(à l’endogroupe), ni de l’identification et de la distance à l’exogroupe et encore moins au rapport perçu entre endogroupe et exogroupe » et il ajoute en se référant à Bourdieu (1984)

« si les classes sociales sont objectivables sur le papier, encore faut-il que les individus se perçoivent eux-mêmes comme faisant partie d’une telle ou telle classe sociale ».

Ces constatations viennent renforcer la démarche que nous avons entreprise. Nous avons fait le choix de questionner le niveau d’identification à l’aide d’une échelle adaptée (Hogg, Cooper-Shaw & Holzworth, 1993) à l’endogroupe, afin de constater son potentiel impact sur la RS. De plus, nous avons aussi fait le choix de laisser les participants de s’auto- catégoriser, c’est-à-dire de déterminer eux-mêmes leur groupe d’appartenance afin, comme l’a rappelé Bourdieu (1984), de nous assurer que les individus se perçoivent comme faisant bien partie du groupe.

La mesure d’une RS passe nécessairement par la mise en évidence des différentes cognitions composant la structure de celle-ci, ce qui correspond notamment à identifier le NC de la RS. Toutes ces réflexions théoriques ont eu pour effet de créer une très forte émulation au sein de la communauté scientifique travaillant sur la TRS. Le double système, central/périphérique décrit précédemment via l’approche structurale bien qu’indispensable, se veut focaliser sur une analyse quantitative. Ces limites ont donc été compensées par la naissance de techniques, d’outils méthodologiques et statistiques divers et variés. Moscovici souhaitait des méthodologies permettant « l’observation systématique et expérimentale » (1961 p. 16). Fleurirent des méthodes illustrant la vitalité du champ d’étude, certaines se focalisant sur la négociabilité des cognitions, sur des mesures fréquentielles, sur la force associative, visant à combler les lacunes des unes et des autres. Trois étapes se trouvent cependant inhérentes à toutes recherches sur les RS. Le recueil, la ou les méthodes de repérages et enfin l’analyse des données. Apostolidis (2006, p. 213) prône la triangulation

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méthodologique, « la connaissance que les individus possèdent au sujet d’un objet et la manière dont celle-ci est organisée et utilisée par les individus et les groupes implique la perspective incontournable de la pluri-méthodologie ». Il est vrai que la complexité de la TRS, allant de l’extraction des données à leurs analyses, peut exiger l’apport de plusieurs méthodes permettant d’en affiner la qualité scientifique. C’est le choix que nous avons par ailleurs décidé de réaliser. Ainsi, que le chercheur utilise une approche plus anthropologique telle que Jodelet (1989) s’appuyant sur de l’observation, des recueils et analyses de témoignages. Ou comme Doise (1986), s’il vise à articuler différents niveaux explicatifs, des méthodes se trouvent être plus appropriées que d’autres. Nous allons maintenant nous évertuer à les décrire, en portant un intérêt plus conséquent aux méthodes que nous utilisons.