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Chapitre 3. Théorie des représentations sociales

1. Des représentations collectives aux représentations sociales

1.3 L’approche sociogénétique

Comme nous l’avons vu, la façon d’aborder une représentation se veut beaucoup plus dynamique chez Moscovici que chez Durkheim. Le caractère évolutif d’une représentation, donnera notamment naissance au qualificatif de cette approche, sociogénétique. Kalampalikis et Apostolodis (2016) affirment que ce modèle va s’intéresser à la trajectoire d’un objet dans le temps, en prenant en compte sa genèse. Rouquette (1994) permet de compléter, en précisant qu’une représentation est à la fois un produit du devenir et un produit en devenir. Le changement d’une représentation sociale n’est pas un accident, mais sa nature. Une des études les plus influentes s’appuyant sur cette approche, est certainement celle de Jodelet (1989). Au sein d’une communauté rurale, Jodelet va étudier la RS de la folie de familles qui ont accepté contre rémunération, d’accueillir des personnes handicapées mentales, à leur domicile. L’objectif de cette étude était de mettre à jour, la formation des disparités concernant les

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appréciations de la maladie mentale. Cette dernière approche a pour essence une perspective anthropologique, en s’imprégnant de la RS, et en l’étudiant en milieu réel. Jodelet (1989) parviendra à démontrer que les savoirs naïfs, des individus qui ont accueilli les handicapés, ont engendré certains comportements adaptatifs, basés sur des éléments non-scientifiques. La constitution de savoirs naïfs, permet d’attribuer du sens au monde environnant, l’individu étant en perpétuelle interaction avec son environnement, vient à lui un nombre incalculable d’informations. Il est de ce fait, impossible pour tout un chacun de maîtriser l’ensemble des objets auxquels il est confronté au quotidien. Au même titre que pour la catégorisation sociale, va se mettre en place un mécanisme de simplification du réel. Elle va permettre aux individus de mieux saisir la réalité, ainsi que les conduites qui s’y réfèrent, à partir de leur propre système de référence (Rateau, 1995). Une RS est une véritable reconstitution du réel (Moliner, 1996), qui petit à petit, à l’échelle du groupe, deviendra un raisonnement qui se voudra argumenté puis une affirmation. Une RS est à la fois générée et acquise par les groupes et les individus qui les composent (Moscovici, 1989). Pour ce faire, une sélection de certains contours de ces objets polymorphes est opérée, constituant ainsi des savoirs de sens commun. Pour illustrer ce besoin d’attribuer du sens Moscovici (1961, p. 54) propose l’expression de « savants amateurs ».

1.3.1 Savoir naïf et savoir expert

Les RS se sont notamment focalisées sur les liens entre savoir profane et savoir expert (Hewstone & Moscovici, 1984). Le savoir profane ou de sens commun, s’appuie sur les différentes expériences du quotidien. Les pratiques, les ressentis, les opinions, sans se soucier de la véracité de celles-ci. Moscovici nous dit « rien nous impose la prudence d’un spécialiste, ne nous interdit de joindre les éléments les plus disparates qui nous ont été

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transmis, de les inclure ou de les exclure d’une classe logique suivant les règles sociales, scientifiques, pratiques dont nous disposons » (1961, p.53). Moscovici a finalement souhaité « {…} mettre à jour ce caché, à dévoiler les dessous des évidences du sens commun, et le système symbolique était le lieu d’élection de ce dévoilement, en cela qu’il révèle et cache dans un même mouvement » (Ohayon, 2015, p.6). Ce mode de pensée à différents objectifs. Les contenus naïfs, spontanés, vont être des « facilitateurs » de compréhension, d’échange et de communication. C’est donc bien l’environnement social et les différents lieux, d’échanges, de communications, d’interactions qui vont permettre cela. En ce qu’elles portent en elles, les RS « constituent une modalité de la connaissance dite de sens commun dont la spécificité réside dans le caractère social des processus qui la produisent » (Guimelli, 1994, p. 12).

La clairvoyance de Moscovici a été de considérer qu’il était tout à fait possible et nécessaire pour les chercheurs, de s’approprier le fonctionnement de ces contenus naïfs, à l’aide d’un Haut Niveau d’expertise. Par ailleurs, bien que non-scientifique, une pensée sociale se veut organisée, répondant à certaines logiques systémiques. La non-scientificité de cette pensée sociale ne veut aucunement signifier une « non complexité ».

Dans l’ouvrage princeps de Moscovici (1961), il apparaît très rapidement que celui-ci souhaite justifier l’intérêt ainsi que la nécessité qu’il peut y avoir à étudier ce savoir naïf. Dès lors, pour approfondir cette connaissance naïve et son fonctionnement, Moscovici met en place une méthodologie rigoureuse, pour recueillir des données empiriques afin de capter, saisir, analyser ces données, à propos de la psychanalyse. Moscovici va constater que bien qu’en possession des thermes « clefs », les 2 265 personnes qu’il a interrogées, possèdent des connaissances très élémentaires de la psychanalyse. L’étude des RS se veut donc être un savoir expert des savoirs naïfs. Dans ce travail, la perspective de la « naïveté » ou de « l’expertise » des sujets, sera une donnée importante de la réflexion. La pratique de l’objet ayant des conséquences sur la RS (Guimelli, 1989), nous pouvons supposer que le tennis ne

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fait pas exception. Par ailleurs, l’expertise a donné naissance à une forme spécifique de représentation à savoir les représentations professionnelles (RP) que nous prendrons le temps de développer.

Le savoir expert est présenté comme élitiste, aussi bien dans sa forme que dans son contenu. Il renvoie à une maîtrise qui résulte de la formation. De plus, la complexité du vocabulaire qui l’accompagne tend à renforcer cet entre-soi et cette étanchéité entre la communauté scientifique et le sujet tout venant. Bien que la pensée scientifique soit en « opposition » avec la pensée sociale (naïve), cette dernière demeure nécessaire et utile aux individus (Guimelli, 1999, Rouquette, 1992). Il est important de saisir la subtile nuance entre un concept scientifique et une représentation, celle-ci « n’est pas une différence de degrés, mais ils constituent deux modes de connaissances distinctes » (Migne, 1970, p. 67). Comme nous l’approfondirons dans la partie dévolue à la pratique, le niveau d’expertise dépend notamment de la pratique (Morlot & Salès-Wuillemin, 2008), la distance à l’objet (Dany, Apostolidis & Harabi, 2014; Urdapilleta, Dany, Boussoco, Schwartz & Giboreau, 2016), le niveau de connaissance (Salesses, 2005b) et l’implication personnelle (Rouquette, 1997). Nous y reviendrons.

Il est donc primordial de comprendre les mécanismes, enjeux, et changements qui peuvent s’opérer dans ce que nous pourrions symboliser par une graduation évolutive du niveau d’expertise d’un objet. Nous avons introduit ce rapport « expert – novice » avec la perspective d’une transposition à la matrice sociale du tennis. En supposant que le niveau de pratique « professionnel – loisir » pouvait en être une conversion.

Comme nous l’avons déjà signalé, dès la parution de son ouvrage princeps, Moscovici (1961, 1976) avait mis en avant le rôle déterminant de différents processus de communication, indispensables aux RS.

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1.3.2 Communication et représentations sociales

Le processus d’élaboration d’un objet va s’appuyer sur certains mécanismes qui vont permettre l’élaboration des RS. Moscovici (1961) propose trois processus. Tout d’abord, la dispersion de l’information. L’environnement social va permettre aux informations de se diffuser, au travers des différents lieux de communications. Ces communications sont empreintes d’enjeux et au regard du grand nombre d’informations auxquelles est soumis l’individu, il n’aura d’autre choix que de sélectionner certains éléments aux dépens de certains autres. Il va alors posséder des connaissances fragmentaires. Ce savoir s’appuie donc spécialement sur le contexte (Guimelli, 1999) mais aussi sur une logique sociale (Doise, 1993).

La focalisation, stipule que le parcours de vie étant propre à chaque individu, au même titre que son « rôle » au sein de la société, la façon dont il percevra chacun des objets auxquels il est confronté sera perçue via le spectre que l’individu souhaite investir, retenir ou se focaliser.

Enfin, la pression à l’inférence mentionne que dans une situation donnée, les individus se voient prendre certaines décisions. Les éléments dont ils disposent ne leur permettent pas de pouvoir être certains de prendre la/les bonnes décisions. Ils sont donc soumis à une certaine pression qui les poussent à s’appuyer sur de la généralisation correspondant à des formules ou idées préconçues.

Pour que ces processus puissent être en œuvres, Deconchy (2003) précise le besoin d’absence d’orthodoxie. C’est-à-dire que les connaissances socialement élaborées ne peuvent être le résultat d’une imposition, d’un contrôle de quelques instances régulatrices que ce soit. L’approche dialogique de Markova (2003, 2005, 2008) a approfondi la réflexion entre communication et RS, en s’inspirant de la linguistique. Elle définit le dialogisme comme « les

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caractéristiques essentielles de la cognition et de la communication humaine » (Markovà, 2008, p. 3). Cette dernière souligne que c’est finalement en s’exprimant que les individus vont asseoir leurs positions sociales (Markova, 2005).

Avant que l’objet, à l’aide des communications, puisse se concrétiser pour les individus, deux processus pourrions-nous dire d’assimilation sont nécessaires. L’objectivation ainsi que l’ancrage vont comme nous allons maintenant le voir, permettre de matérialiser l’abstrait en quelque chose de plus objectivable.