• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Fondement des processus identitaires et rapports de domination

4. Hiérarchie sociale et rapports inter-groupes

4.2 Les groupes agrégats et les groupes collections

L’approche des groupes sociaux de Lorenzi-Cioldi (2002, 2009) a pour principale dimension les rapports de domination. Lorenzi-Cioldi (2002) précise que cela permet d’accentuer l’attrait exercé par les groupes dominants sur les autres groupes. Cette réflexion

55

n’a pas pour autant l’objectif d’omettre d’autres marqueurs importants tels que le genre par exemple que Lorenzi-Cioldi (1994, 1996, 1998) a par ailleurs aussi beaucoup investit. Mais il semble malgré tout que les stéréotypes associés au genre et les jugements qui leur sont accolés sur les questions de tempérament, de traits, se trouvent être plus dépendant du statut des individus que de leur genre (Hoffman & Hurst, 1990 ; Lorenzi-Cioldi, 1996).

La réflexion de Lorenzi-Cioldi sur la façon d’aborder le groupe, passe notamment par une critique de certains sociologues et psychosociologues. Il considère comme réductionniste, la perspective avec laquelle les groupes ont parfois été étudiés. Pour ce faire, il s’appuie notamment sur Sorokin (1959) qui nous dit « il existe des groupements volontaires et des groupes ‘contraints’ ou plus exactement des groupements familiaux, contractuels, ou imposés. La différence fondamentale entre ces divers groupes tient de la diversité des ‘forces de cohésion’ qui apparaissent dans chaque type de groupement » (Sokorin, 1959, p.305, cité par Lorenzi-Cioldi, 2002, p.58). Il faut donc prendre en compte le fait que tous les groupes ne se constituent pas de la même manière. Interroger les rapports intragroupes peut permettre de mieux saisir les rapports inter-groupes. La conception des rapports de domination de Lorenzi- Cioldi (1988, 2002, 2009) passe notamment par le fait que l’appartenance à des groupes dominants aurait pour effet une conception de soi et du groupe plus individualisante, et inversement pour les groupes dominés. Lorenzi-Cioldi va quelque peu nuancer ce que nous avons pu voir dans les TIS et TAC. Comme nous l’avons vu, les TIS et TAC vont proposer différents niveaux d’abstractions dans lesquels les individus vont pouvoir se fondre, afin de se référer à l’identité la plus bénéfique selon eux. Nous avons aussi vu, que s’appuyer sur son identité sociale, son appartenance groupale, a pour effet de créer une uniformisation des perceptions, des comportements et attitudes. Le niveau personnel des TIS et TAC a quant à lui pour effet une mise en saillance des différences interindividuelles. Cependant, Lorenzi- Cioldi propose que la tendance à se focaliser sur son identité sociale ou individuelle n’est pas

56

la même selon le statut des individus. « Un problème avec la théorie de l’identité sociale est que dominants et dominés ne manifestent pas la même propension à personnaliser leur soi et à propager des croyances peu soucieuses de l’emprise du groupe d’appartenance » (Lorenzi- Cioldi, 2002, p.19).

Ce qu’il met en lumière est que la perspective de TIS positionne les différents groupes sociaux de façon horizontale. Or, la matrice sociale est structurée selon lui de façon hiérarchique, composée de groupes dominants et de groupes dominés. L’individualisme et le collectivisme ne peuvent selon lui se départir des matrices sociales dans lesquelles elles s’insèrent. Comme nous le verrons avec la théorie des partitions sociales (Castel et Lacassagne, 1993, 2011), trois types de catégorisation structurent les rapports asymétriques entre les groupes. À chaque type de catégorisation va correspondre un mécanisme particulier de discrimination. L’enjeu est de prendre en compte, entre autres, le statut, le niveau de reconnaissance, de prestige, que les groupes vont recueillir au sein de la matrice sociale, pour appréhender les rapports intergroupes. Pour illustrer son propos, Lorenzi-Cioldi va proposer la dénomination de groupe collection pour les groupes dominants et d’agrégat pour les groupes dominés.

Les groupes collections correspondent aux groupes dominants, au sein desquels chaque individu bénéficie de sa propre spécificité. Le groupe dispose ainsi d’une importante hétérogénéité. Les membres de ces groupes considèrent que leur appartenance à ces derniers est de leur propre fait.

Les groupes agrégats correspondent quant à eux aux groupes dominés. Ce sont des individus appartenant à des groupes de bas statuts, au sein desquels les personnes sont perçues comme interchangeables. Les propriétés des individus se fondent dans un ensemble, un tout cohérent.

57

Les études réalisées montrent que les groupes de haut statut sont perçus comme plus hétérogènes et que les groupes de bas statuts eux, sont considérés comme plus homogènes (Lorenzi-Cioldi, 1993 ; Lorenzi-Cioldi, Eagly, & Stewart, 1995 ; Lorenzi-Cioldi, Deaux, & Dafflon, 1998 ; Chappe, Brauer, & Castano, 2004 ; Doosje, Ellemers, & Spears, 1995 ; Lorenzi-Cioldi, 2008). Par ailleurs, comme le montrent Guinote, Judd, et Brauer (2002), ce résultat est à mettre en relation avec la production de comportements moins variés par les groupes de bas statut.

Si nous avons choisi de nous appuyer sur la réflexion des groupes collections/agrégats, c’est notamment parce que la matrice sociale du tennis peut illustrer clairement le propos. À l’aide de la Figure 1 (cf. Chapitre 1), qui illustre la pyramide de classement, nous pouvons constater que durant la saison 2017/2018, il y avait en bas de l’échelle de classement 99.527 hommes et 33.770 femmes qui bénéficiaient du classement le plus « faible » de la pyramide. Cet ensemble d’individus indissociables peut renvoyer aux groupes agrégats, dans lesquels les individus sont interchangeables. À l’inverse, plus les compétitrices et les compétiteurs progressent dans la matrice, moins ils sont nombreux. Pour illustrer cette hétérogénéisation, nous pouvons observer ce qu’il se passe une fois qu’un homme atteint la barre des 100 meilleurs joueurs français, ou une femme celle des 60. Dès lors, le joueur ou la joueuse ne partage plus son classement avec d’autres compétiteurs ou compétitrices. Ils obtiennent un numéro unique20 qui leur appartiendra tout au long de la saison. Ainsi, les groupes à la base de la hiérarchie comprennent un plus grand nombre d’individus. Par ailleurs, ce qui peut conduire les individus du groupe à se percevoir comme plus homogènes ; au sommet de la hiérarchie, les groupes comprennent un plus faible nombre d’individus dont certains ont même un numéro unique. La prise en compte de cette unicité peut favoriser l’émergence d’un sentiment d’hétérogénéité.

20 Il peut arriver que des joueurs partagent le même numéro si un joueur a été blessé durant la saison. Son classement peut se

58

Ces différentes positions hiérarchiques, statuts, au sein d’une matrice sociale, vont engendrer des rapports inter-groupes potentiellement dissymétriques. La théorie des partitions sociales va proposer que les interactions inter-groupes, peuvent être traduites à l’aide de trois positionnements inter-groupes que nous allons maintenant décrire.