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4. Exploration conceptuelle

4.4 L’analyse de besoins en formation

4.4.3. Processus et bonnes pratiques

Plusieurs auteurs dont Scallon (2007) considèrent l’analyse de besoins comme une pratique sociale complexe. Ainsi Roegiers, Wouters, Gerard (1992) citent Etienne Bourgeois (1991) en précisant que le but de l’analyse de besoins est la prise de décision et qu’elle ne se résume pas à une simple équation. Il n’existe pas non plus une réponse directe à un type de besoin. Chaque expression de besoin est unique et il en est de même pour la manière d’y remédier. En effet, une multitude d’inconnues varient sans cesse en influençant l’expression du besoin, son contexte d’expression, son analyse ainsi que la réponse qui y est donnée. Afin de garantir la pertinence du résultat de l’analyse, trois éléments sont essentiels. Il s’agit de conditions favorables à l’expression des besoins, de compétences spécifiques du côté des responsables de cette analyse et d’une référence constante au terrain. Selon ces mêmes auteurs, l’analyse des besoins comporte fonction de régulation dans le sens où elle cherche à « garantir qu’on ne se trompe pas de formation, et plus largement de type d’action » (1992, p.2). Il ne s’agit donc pas pour l’analyste d’être persuadé de la solution-formation à apporter et de convaincre avec force ses partenaires d’y adhérer mais plutôt de cherche une posture win-win où tous les acteurs de la situation se sentent entendus et respectés (Gordon, 1985). Rappelons-nous à cette occasion que la formation n’est qu’un moyen parmi d’autres permettant d’apporter une réponse à une expression de besoins. Pour finir, nous ajoutons que la récurrence des tensions impactant l’organisation induit nécessairement une haute fréquence d’analyse. Ainsi, Hougardy et Oger (2006) définissent l’analyse des besoins comme « un processus cyclique, progressif et éternel » (p.42).

En raison de la variabilité des forces, des tensions, des contextes professionnels et institutionnels et de l’unicité de chaque parcours professionnel, il nous semble difficile de prétendre à l’existence d’un seul outil général permettant d’analyser toutes les expressions de besoins et d’en déduire directement des solutions. Le revers d’une large palette d’outils dont l’analyse peut faire usage est que la manière dont certains outils sont utilisés peut avoir un effet discriminant (Barbier, 1976).

De ce fait, le choix de la méthode se fait de manière éclairée en fonction des interlocuteurs et du dysfonctionnement observé pour éviter une mauvaise communication ou une aggravation du problème.

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Détermination d’objectifs inducteurs de formation

Frances et Roland Bee (2003) affirment que l’analyse de besoins consiste principalement à produire des d’objectifs. Ainsi les objectifs découlant des problématiques sur la place de travail visent un changement pour les personnes concernées. Ces objectifs se nomment objectifs de changement. Lorsqu’ils sont traduits en termes de formation et de compétences à acquérir, ces objectifs deviennent des objectifs inducteurs de formation répondant aux questions De quoi seront capables les collaborateurs après la formation ? Ensuite seulement vient le choix de formation.

Barbier et Lesne (1977) déclinent quant à eux trois modes permettant de déterminer ces objectifs inducteurs de formation.

 Le premier se base sur la détermination des exigences de fonctionnement des organisations et se construit sur deux informations.

D’abord il y a le référent soit un « ensemble de compétences perçues comme nécessaires pour qu’une situation professionnelle soit maîtrisée » (Lang, 1987, p.44). Ce référent peut être le résultat d’un travail d’analyse plus ou moins scientifique donnant lieu à des résultats objectifs ou, a contrario, des jugements subjectifs. Ce constat nous fait prendre conscience que la bipolarité objectif-subjectif observée chez la notion de besoin caractérise la source d’information sur laquelle repose l’analyse de formation – soit le référant. Ensuite, le référé représente les compétences observées dans les situations professionnelles concrètes. La comparaison du référé au référant détermine des lacunes exprimées en termes de compétences à acquérir d’après la formule « être capable de… ». Globalement, ce mode illustre parfaitement l’approche de Kaufman (1972) car il mesure l’écart entre « ce qui est et ce qui devrait être » (p.5).

 Le deuxième mode se fait à partir de l’expression des attentes.

Il s’agit d’une approche davantage humaniste se focalisant sur les rapports de pouvoir bloquant l’expression des besoins. Cette approche laisse une place prépondérante aux désirs et aux attentes des acteurs tous domaines confondus. La fonction de cette production d’objectifs inducteurs de formation est de « libérer la parole » en créant de « nouveaux lieux d’expression » des besoins pour ainsi dire exempts de rapports de force inhibant leur expression. Cette procédure tend à « dé-pédagogiser » certains dysfonctionnements en discernant d’autres solutions que les solutions-formation.

 Le troisième mode se base sur la définition des intérêts sociaux dans les situations de travail.

Ici, les partenaires des analystes sont les syndicats. Ensemble, ils observent les tâches, les conditions dans lesquelles elles s’effectuent, les rapports sociaux et même la biographie scolaire, professionnelle et sociale du collaborateur exprimant le besoin. Étant propres à la situation de travail en question, ces caractéristiques forment la mémoire sociale de l’individu ou du groupe. Sur cette base, une négociation est engagée entre les objectifs sociaux – émergeant des expressions de besoins des salariés – et les objectifs de la Direction.

52 Un dernier type d’objectifs – moins importants – qu’évoquent Barbier et Lesne (1977) sont les objectifs inducteurs de changement structurel. Ces objectifs peuvent tout à fait s’accompagner d’objectifs de changement inducteurs de formation pour les individus et vice versa afin de soutenir, par exemple, une restructuration d’un ou de plusieurs services de l’organisation.

En matière de procédures d’analyses de besoin rigoureuse, les modes de détermination des besoins inducteurs de formation proposés par Barbier et Lesne (1977) nous semblent être un idéal pouvant peut-être être adapté au sein des organisations.

Etudes du besoin

En complément à l’éclairage que Meignant (2001) nous a apporté précédemment sur l’influence des environnements internes et externes sur l’analyse des besoins. Nous précisons que pour cet auteur une analyse de besoin orientée vers l’action se base sur trois sources d’information :

 la définition théorique du poste

 le point de vue des experts sur le contenu actuel et prévisible du poste et les exigences qui en découlent

le point de vue des personnes exerçant actuellement le poste.

(Meignant, 2001, p. 139) La multitude de processus standardisés d’analyse de besoin qu’il propose se regroupe au sein de trois catégories. Ces catégories sont en lien étroit avec les trois objectifs inducteurs de formation présentés par Barbier et Lesne (1977). Meignant (2001) y ajoute des méthodologies concrètes.

Méthodes centrées sur les besoins de compétences de l’organisation

Ces méthodes découlent de l’acception du besoin comme un écart qualitatif entre des ressources humaines disponibles et requises en situation de travail. Meignant (2001) en propose cinq. Nous en détaillons deux car notre objectif est d’apporter un bref aperçu de la multitude de procédures standardisées existantes et non de viser une présentation exhaustive et détaillée.

Analyse des compétences requises par un emploi

Il s’agit d’une description systématique des compétences requises et des compétences actuellement maîtrisées par le collaborateur détenant le poste. Trois types d’informations d’information sont nécessaires : les descriptions formelles relatives au poste, le point de vue d’experts et de titulaires du poste. Ces informations viennent s’organiser dans un canevas comprenant huit rubriques que nous ne détaillerons pas ici. Nous retenons que cette méthode requiert un processus méthodique nécessitant un grand effort de synthèse.

Méthode matricielle

Cette méthode se présente sous la forme de tableaux croisant les exigences de compétences requises par l’activité d’un service avec les compétences maîtrisées de chacun des collaborateurs. L’utilisation de codes visuels pour chaque salarié du service permet plusieurs constats. Il permet de déterminer les compétences que chaque collaborateur possède, les compétences les plus présentes au sein du service ainsi que l’indice de polyvalence de chaque collaborateur du service.

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Démarches centrées sur l’expression des attentes

Cette démarche-ci propose un recueil auprès de chaque collaborateur ou auprès de groupes. Il ne s’agit donc pas directement d’une récolte de besoins mais plutôt de la récolte de « l’expression par des personnes de leurs préoccupations en rapport avec leur travail et leur carrière » (Meigant, 2001, p. 165). Meignant (2001) met l’accent sur l’importance et la nécessité du travail d’analyse des entretiens, des « réunions de concertation » et des restitutions à présenter.

Méthodes accompagnant le changement d’une organisation

La dernière méthode propose un accompagnement dans la prise de conscience du propre besoin et la « nécessité de s’engager dans des apprentissages plus formels » (Meignant, 2001, p. 178). Ainsi, l’explicitation du besoin est facilitée.

Négociation et élucidation

Précédemment, nous avons pu avoir un aperçu de l’état d’esprit dans lequel une analyse des besoins peut être appréhendée. À présent, nous décidons de présenter différentes perspectives pour combler cet « écart mesurable entre ce qui est et ce qui devrait être » (Kaufman, 1972, p.5) que Kaufmann défini comme le besoin.

De manière similaire à l’idée du consensus win-win de Gordon (précédemment cité) entre les analystes des besoins et les acteurs exprimant ces besoins, Roegiers, Wouters et Gerard (1992) préconisent une logique d’élucidation du système des trois pôles du besoin de Bourgeois (1991) rappelés sur le schéma ci-contre. Selon eux, la première étape est de procéder à des allées et venues entre chacun d’eux afin de décoder le discours des collaborateurs touchés par la situation-problème. D’après ces auteurs, c’est de cette manière que la réponse au besoin la plus appropriée par rapport à l’environnement et ses conditions

humaines, matérielles, économiques, sociales peut être trouvée. La seconde étape consiste en de la négociation pour faire adhérer « tous les membres concernés par la décision. » (Roegiers, Wouters & Gerard, 1992). À nouveau, nul ne cherche à convaincre mais plutôt à réfléchir communément au type d’action ou à la combinaison d’actions à mettre en œuvre afin de pouvoir remédier à la situation-problème en y faisant adhérer tous les membres.

Figure 6 : Constitution d'un besoin selon Bourgeois (1991) Rappel

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Analyse des besoins reliée au service RH

Dans leur ouvrage entièrement consacré à l’analyse des besoins, Frances et Roland Bee (2003) conseillent de porter une attention particulière à la nature des problèmes ainsi qu’au niveau où ils s’expriment en distinguant le niveau de l’organisation, du groupe et de l’individu. Ils préconisent d’envisager toutes les méthodes formelles et informelles afin de scanner l’environnement.

Comme Bourgeois (1991), ces auteurs accordent une grande place au contexte de l’expression du besoin. Pour eux, les besoins en termes d’amélioration des compétences sont ceux pour lesquels le recours à la formation est le plus pertinent. Par ailleurs, Frances et Roland Bee défendent l’idée que la formation n’est pas isolée. Si elle souhaite être porteuse de résultats probants et être un vecteur de performance, sa collaboration avec le reste des entités de l’organisation notamment avec le département RH est indispensable. Selon eux, les incidents critiques rapportés au service RH et la planification des ressources qu’opèrent les RH sont des outils à intégrer à une analyse des besoins précise et prévisionnelle.

À retenir :

Cette pratique prend place dans un contexte mouvant et mobilise des acteurs singuliers et informations subjectives.

L’analyse de besoins en formation début avec une formulation initiale d’un dysfonctionnement soumise à une traduction en termes plus précis de formation pour finalement déboucher sur un besoin final de développement d’une capacité précise.

Il s’agit donc de la traduction d’une commande en demande.

L’analyse de besoins se construit au carrefour de différentes pressions. Les principales viennent du haut (bottom-up) et du bas (top-down). De plus, la pratique de l’analyse de besoins est structurée par les orientations et les représentations des acteurs actifs au fil de ce processus.

Les approches préconisées par les auteurs se différencient largement. Nous notons une tendance à la structuration du côté de l’approche de Barbier et Lesne (1977) et de Meignant (2001), tandis que les autres approches (Gordon, 1984 ; Roegiers, Wouter et Gerard, 1992 ; Bourgeois, 1991 ; Bee, 2003) attribuent davantage une certaine flexibilité ou adaptabilité et avance l’idée qu’il ne s’agit aucunement d’un processus linéaire.

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