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8. Analyse et discussion

8.1 Pratique contextualisée

En accord avec les propos de notre exploration contextuelle, nous notons que le contexte externe16 à l’organisation et le contexte interne17 de l’organisation ne sont pas deux univers déconnectés. De surcroît, ces deux contextes influencent la construction des analyses de besoins.

8.1.1. Environnements externes et internes

Comme nous le mettions en avant dans notre exploration contextuelle, en nous appuyant sur Bee (2003), deux types de facteurs généraux externes exercent des pressions sur les pratiques de formation au sein de l’organisation. Il s’agit, d’une part, de la transformation des modes de travail, de vie et d’apprentissage et, d’autre part, d’innovations des différents domaines tels que légaux ou technologiques. Les effets des facteurs internes découlant de la stratégie de l’organisation ne sont pas moins importants. Ces facteurs internes et externes participent ainsi à l’expression de nouveaux besoins et donc à la construction des pratiques d’analyse de besoins.

Premièrement, les tendances provenant de l’extérieur et se répandant au sein de l’organisation suscitent des envies de la part des collaborateurs. Par conséquent, le responsable de formation a le rôle d’analyser avec habileté et discernement si ces envies sont de l’ordre du besoin ou non.

Deuxièmement, le contexte interne caractérisé par les collaborateurs participe à la construction des pratiques d’analyses de besoins. À cet égard, la confrontation des divers entretiens démontre que le nombre croissant de demandes par rapport à une nouvelle thématique est une variable accélérant et facilitant le processus d’analyse des besoins car – selon nos informateurs – il permet de valider la pertinence du besoin. Ce type de validation n’est présente dans aucune procédure et est également absente de notre exploration conceptuelle mais semble être un critère répandu de manière transversale à toutes les organisations. Ce phénomène est observé tant pour l’offre de formation au catalogue que pour les formations sur mesure et peut être mise en relation avec l’orientation administrative de la formation (Laroche & Haccoun, 2000). À cet égard, le responsable de formation est particulièrement attentif aux besoins de l'organisation et aux expressions de besoins. Rappelons que Perrow (1970, cité par Livian, 2008) distingue quatre buts très différents pouvant être poursuivi par une demande de formation. En l’occurrence, l’analyse de besoins s’oriente donc en fonction des buts pouvant être atteints par le biais de la validation du besoin comme besoin réel à combler.

Troisièmement, en raison de formations obligatoires (normes de sécurité de certains métiers ou présence de nouveaux logiciels informatiques) ou de formations désirées par la Direction, des adaptations doivent être opérées sur les environnements de travail ou sur les pratiques professionnelles des collaborateurs. Par le fait même que l’injonction provienne d’une instance (légale) hiérarchiquement supérieure à l’organisation ou au responsable de formation l'importance accordée à l’analyse de demandese restreint drastiquement. L’analyse du contenu ne semble

16 Le contexte externe est l’environnement politique, économique, social, technologique et légal dans lequel s’inscrit l’organisation.

17 Le contexte interne concerne toutes les activités et les interactions prenant place au sein de l’organisation.

84 pas être primordiale. S’il y a lieu de faire une analyse de besoin, elle se situe principalement au niveau du public à former.

Les demandes descendantes internes et externes à l’organisation sont peu remises en question. Ainsi, la construction de l’analyse des besoins n’est pas très sophistiquée et n’implique que peu d’outils afin de valider la commande.

8.1.2 Niveaux hiérarchiques internes

De prime abord, il s’avère que le contexte interne des organisations dans lesquelles cette recherche exploratoire a été menée comporte différents niveaux hiérarchiques. Dans toutes les cinq organisations, les cinq niveaux principaux sont : les collaborateurs, les chefs de service, les responsables de formation, les RH et la Direction. Cette hiérarchisation rappelle la structure que propose Mintzberg (1989) déjà abordée dans l’exploration contextuelle. En reprenant ses termes, la technostructure et le personnel de support logistique semblent ne pas être impliqués directement dans l’analyse de besoins. Les acteurs principaux actifs lors de la construction de l’analyse de besoins sont donc le centre opérationnel, le sommet hiérarchique et la ligne hiérarchique.

Arrêtons-nous un instant sur la ligne hiérarchique et plus précisément sur le rôle du chef de service. En effet, nous constatons très clairement que les chefs de service ont un rôle prédominant dans la première phase de cette analyse. C’est entre ces derniers et les collaborateurs que la première validation prend place. Les chefs de service sont donc le premier filtre par lequel passe les expressions de besoins des collaborateurs. Par conséquent, le responsable de formation n’a pas forcément écho de tous les besoins exprimés par les collaborateurs à leur chef de service. Nous découvrons que l’analyse de besoins débute déjà dans les services avant même de remonter jusqu’au niveau du responsable de formation. Les auteurs sélectionnés pour notre exploration conceptuelle n’accordent pas autant d’importance au chef de service que le font nos informateurs. Nous analysons que cet acteur tamise fortement les besoins.

Ensuite, compte tenu des exemples fournis par nos informateurs, les chefs de service et les responsables de formation – définis par Mintzberg (1989) comme les éléments principaux de l’organisation – paraissent être ceux étant le plus au courant des besoins de formation des collaborateurs et de leur pertinence avec la stratégie de l’organisation. Ce constat nous renvoie aux propos de Bee (2003) énonçant que la pertinence d’une formation se calcule souvent en fonction de sa capacité à soutenir les objectifs de l’organisation. Néanmoins, nous remarquons que seule une organisation semble fortement insister sur ce point, tandis que deux autres n’en parlent que brièvement et deux autres n’expriment à aucun moment cette nécessité de cohérence avérée entre besoins des collaborateurs et besoins de l’organisation.

Cette constatation met en lumière un écart entre les propos de la littérature et les situations réelles rencontrées sur le terrain. Le manque d’importance que nos informateurs semblent accorder à une cohérence entre les buts poursuivis par les formations des collaborateurs et ceux de la stratégie de l’entreprise nous questionne. Sachant qu'une incohérence entre les buts des formations et ceux de l’organisation ne correspond pas à une vision stratégique de la formation et peut nuire à la performance de l’organisation, nous nous questionnons.

85 À ce sujet, nous dégageons cinq hypothèses qui nous permettent de percevoir ce constat d’un autre œil :

 Il s’agit d’un oubli ou d’un manque de précision dans les propos des informateurs.

 Le lien entre les demandes bottom-up et les volontés de la Direction est trop difficile à établir.

 Les demandes sont naturellement en lien avec la stratégie de l’organisation.

 L’intuition et le feeling pour cette cohérence est tellement intégrée dans les compétences des responsables de formation qu’ils n’en parlent pas.

 Les besoins des collaborateurs n’étant pas du tout en phase avec ceux de l’organisation sont directement refusés par le chef de service et ne parviennent même pas au niveau du responsable de formation.

Nous souhaitons développer la cinquième hypothèse car elle nous semble être la plus probable au vu des propos de nos cinq informateurs. En s’appuyant sur la typologie des besoins proposée par différents auteurs (Faisandier & Soyer, 2007 et Ardouin, 2003) et présentée dans les premiers chapitres de ce mémoire, il est observable que le chef de service s’avère être bien positionné pour analyser le besoin personnel18, individuel19, collectif20 et organisationnel21. Sa proximité avec le terrain opérationnel et sa connaissance professionnelle du métier exercé par les collaborateurs sont les atouts lui permettant d’effectuer cette opération de manière optimale. Le responsable de formation quant à lui semble être l’acteur le plus performant pour affiner l’analyse et transformer la commande en réelle demande en lien direct avec les difficultés rencontrées.

En faisant référence aux trois axes découlant de la stratégie interne de l’organisation que nous propose Meignant (2014), nous notons que les besoins correspondant à l’Axe Performance22 et l’Axe Projet23 sont traités de manière plus habile par le responsable de formation, tandis que les besoins relevant de l’Axe Parcours24 peuvent mieux être analysés par le chef de service. Cette analyse nous permet de comprendre que ces deux acteurs semblent se partager la tâche et collaborer d’une manière particulière car la première analyse du chef de service se fait – comme dit – sans l’intervention du responsable de formation et même sans que ce dernier en soit informé. Nous découvrons donc que l’analyse de besoins se construit sur la base d’un mode de collaboration qui semble s’exécuter de manière implicite et naturelle. Cette répartition des tâches et des responsabilités suggère une légère tendance à une division du travail25 entre chef de service et responsable de formation que nous n’avons pas pu appréhender de cette manière dans notre exploration conceptuelle.

Ce nouveau paramètre nous permet de pousser le raisonnement encore plus loin. Rappelons-nous que lorsque l’expression de besoins arrive chez le responsable de formation, nos

18faisant référence aux besoins ressentis par rapport à sa vie de manière générale.

19faisant référence à l’emploi occupé par le salarié et à sa potentielle évolution.

20 en lien avec les objectifs des différents secteurs composants l’organisation.

21faisant référence directement aux compétences et aux postes de travail.

22 englobant le niveau de performance individuel ou collectif nécessaire pour atteindre les exigences fixées par les emplois et la stratégie de l’organisation.

23englobant les projets découlant de la stratégie et de la politique GRH.

24englobant les attentes des salariés par rapport à leurs souhaits de trajectoire professionnelle ou personnelle.

25 théorie élaborée par Adam Smith et développée par Taylor (organisation scientifique du travail). Nous retenons l’idée d’une répartition des tâches et des responsabilités en vue de l’atteinte d’un objectif.

86 informateurs évoquent leur forte coopération avec la ligne hiérarchique et le sommet hiérarchique et, parfois, avec le centre opérationnel également par le biais d’entretiens. Tout semble donc indiquer que l’analyse de besoins en formation s’effectue grâce à une synergie des connaissances et compétences de ces cinq acteurs et à une certaine interdépendance entre les chefs de service et les responsables de formation. Si nous reprenons les buts poursuivis au sein d’une organisations (Perrow, 1970 cité dans Livian, 2008), il semble que la validation de la pertinence des besoins face aux buts de production26 pourraient davantage être faite par les chefs de service, tandis que la validation des besoins en regard des buts systémiques27 serait plutôt du ressort du responsable de formation aidé par l’appui des RH ou de la Direction, par exemple. C’est donc en s’alliant avec ces acteurs-ci que l’analyse du responsable de formation est la plus pointue pour traiter les besoins collectifs et organisationnels.

8.1.3. Ressources internes

Dans un autre ordre d’idées, chaque réponse à un besoin de formation crée à son tour de nouveaux besoins, c’est-à-dire que combler un besoin de formation nécessite notamment des ressources financières, matérielles et des ressources en termes de compétences.

De manière générale, le coût de la réponse à un besoin ne semble pas être un facteur décisif structurant dès le début toutes les pratiques d’analyse de besoins. Toutefois, ce n’est que dès que le coût atteint un certain niveau que le responsable de formation estime élevé que le critère budgétaire mobilise sa vigilance. L’analyse du besoin implique ensuite l’intervention de la Direction et de certains collaborateurs afin de soutenir la décision de valider le besoin et d’y donner suite par le biais d’une formation. Ces validations se recueillent sous forme de signatures à récolter notamment auprès de la Direction. Nous estimons que l’implication de la Direction permet de mieux sonder l’adéquation entre la formation coûteuse envisagée et la stratégie envisagée par la Direction pour l’organisation. Les collaborateurs exprimant le besoin semblent être mobilisés afin de préciser le type de besoin à combler. Il est intéressant de percevoir que cette adéquation (buts de la formation – buts stratégiques de l’organisation) que le couple d’auteurs Bee (2003) trouve centrale ne prend de l’importance que lorsqu’il est question de ressources financières conséquentes. De plus, la hauteur des ressources financières semble participer à la construction des analyses de besoins dans le sens où elle semble impliquer davantage d’acteurs et de validations.

Par contraste, les ressources en termes de compétences internes structurent les analyses de besoins de manière transversale, c’est-à-dire que la question autour de la présence des formateurs compétents est investiguée pour chaque expression du besoin. Lorsque les ressources en termes de formateurs internes manquent, une étape supplémentaire s’ajoute au processus et nécessite la recherche de ressources à l’externe de l’organisation. Pour ce qui a trait aux aspects logistiques et aux ressources matérielles, ils sont pris en compte tardivement

26liés aux produits et aux services

27liés au bon fonctionnement de l’organisation

87 dans le processus d’analyses de besoins et peuvent parfois surprendre les organisateurs et demander des ajustements.

Au final, nous repérons donc que le responsable de formation s’arme de différentes ressources.

Il semble surtout s’appuyer sur trois des quatre sous-systèmes de Soyer (1999) soit : organisationnel, social et humain. Ces systèmes sous-jacents sont propres à la culture de chaque organisation et aux règles implicites et explicites orientant les actions (Beitone, Cazorla, Dollo, 2007 & Blaise et al., 2010). Ainsi, la part implicite des règles complétant les procédures formelles et structurant la construction des analyses de besoins semblent être propre à chaque organisation.

Ce premier éclairage permet d’analyser que les demandes descendantes tendent à raccourcir le processus d’analyse de besoins et qu’ensuite le chef de service participe grandement à la construction des analyses de besoins. Finalement, certaines étapes de validation s’ajoutent au processus en lien avec l’ampleur du besoin et les ressources internes de l’organisation.