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Ce premier survol des recherches menées sur la ville, ses langues, ses pratiques spatiales et langagières tente de rendre compte de la complexité des processus entre les dimensions spatiales, langagières, temporelles, identitaires, symboliques et leur impact sur les attitudes de l’acteur, son rôle et sa façon d’utiliser l’espace et ses langues. Les analyses liées à cette complexité divergent et se concentrent sur divers objets. Certains chercheurs (Landry & Bourhis, 1997, Backhaus 2007) donnent la primauté à l’analyse des traces langagières marquant le paysage urbain. Backhaus (2007) considère l’étude du paysage urbain comme une sous-discipline de la sociolinguistique. Ces analyses privilégient la production des pratiques au détriment du processus de leur

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Nous varions dans l’usage entre instance, institution, structures formelles en entendant par celles-ci des lieux normatifs se situant à différents niveaux de la ville, du canton ou de la Confédération.

construction du sens que les acteurs donnent à ces productions. Par ailleurs, l’écueil à éviter dans l’étude de l’appropriation de l’espace urbain consiste à ne pas s’arrêter sur la description et la classification de ces pratiques, mais plutôt d’être attentifs à la fois aux actions des migrants et aux logiques de déplacement (physiques, linguistiques, identitaires). On pourrait, à cet égard, citer les travaux de Robillard (2006) qui dressent, à partir de l’étude des affichages plurilingues, les tableaux de la catégorisation des langues, les modalités de leur participation de ces dernières à la vie sociale et collective. Cette recherche soulève d’autres perspectives mais questionne en même temps la réduction d’une « langue » à ses manifestations matérielles orales ou écrites.

D’autres recherches, comme par exemple celle de Mondada (2005), incluent les relations entre espace, langage et cognition et les mettent en articulation avec l’action et l’interaction. L’espace est considéré dans ces études non pas comme une détermination prédéfinie et préexistante à l’action mais comme une ressource pour l’organisation de l’action. Il est configuré à travers les pratiques langagières et socio-cognitives. En interaction avec d’autres disciplines, à partir de différents types de spatialité, certains chercheurs comme Söderstöm (2000) vont, par exemple, exploiter les espaces vécus quotidiens s’appuyant sur les vidéos permettant de documenter l’action et l’interaction.

2.2.1 Conceptions des langues, attitudes et représentations sociolinguistiques

Malgré l’intérêt que représentent les recherches citées, la description de la langue, des ambiances et des paysages urbains, nous privilégions l’étude des attitudes dévoilant les appartenances et les affiliations à certains lieux/structures/groupes donnés. C’est vers le statut symbolique attribué à la langue et exprimé par un discours ou par un récit de ville que se tourne notre intérêt. Ces orientations nous éloignent des théories linguistiques qui sont déjà bien dépassées et où la langue est traitée hors de son contexte. Les références qui prétendent pouvoir décrire la langue comme objet détaché de tout contexte, même de celui qui la parle, sont écartées depuis un moment. Mais elles interrogent encore car la conception de la langue comme une norme unique persiste dans certains milieux. Cette conception (Chomsky, Saussure,) a joué un rôle dans la construction de l’Etat-nation et inquiète encore, sachant que ce type de théorie est encore repris par certains politiques afin de construire une référence nationale autour d’une seule langue, standardisée, représentant la seule norme dominante. En conséquence, l’Etat écarte toute variante langagière venant de l’extérieur ou de l’intérieur (patois, dialectes) afin de renforcer cet idéal d’appartenance nationale véhiculée par une seule langue défendant sa stabilité et son homogénéité.

Le développement de la sociolinguistique et surtout les recherches de Labov (1987) interrogeant cette conception de la « norme », apportent l’idée que la langue est inséparable du social, qu’elle constitue en soi un objet social. Ce rapport entre le social et la linguistique n’est pas toujours évident, ni acquis par tous les acteurs. La conception qui perdure est celle d’une norme qu’il faut maîtriser. Malgré l’évolution et l’émergence de nouvelles approches qui défendent des idées que le linguistique et le social se modèlent mutuellement, certains acteurs sont loin encore d’être acquis à la cause. Les études des représentations qui accompagnent les langues sont une notion qui pour Robillard (2006) représente un véritable instrument de la recherche. Ce dernier rappelle également que les représentations entretiennent une relation ambiguë et complexe avec les actions car elles relèvent parfois des contradictions et ne correspondent pas toujours aux actes. Les propos de Blanchet (2007 :2) vont dans le même sens quand il pose la question de l’épistémologie de l’étude des phénomènes linguistiques. Il rappelle le paradoxe épistémologique des structurolinguistes qui appliquent une démarche « asociale » à un objet « social » qu’est la langue. De l’autre côté, il questionne le paradigme interprétatif qui met l’accent sur la notion, parfois surexploitée, de « représentation » dans le cadre constructiviste. Les résultats de la transformation de la linguistique sont visibles, particulièrement en didactique des langues et des politiques linguistiques, notamment dans le concept de « compétences plurilingues », nous y reviendrons plus tard. Les représentations linguistiques peuvent être partiellement matérialisées, sous formes d’images, d’affiches, d’écrits publics. Les représentations sur les espaces sont un autre trait qui caractérise l’appropriation de la ville. Elles influencent les rapports aux langues de la même manière que les langues ont des incidences sur la configuration des espaces urbains.

Concernant les catégorisations de la langue, Blanchet (2007) propose un schéma de modélisation complexe des processus sociaux tels que les unités sociolinguistiques. La langue est présentée comme un système complexe émergeant d’un processus d’interactions en hélice. Cette dernière est constituée de trois pôles : les pratiques sociales, les représentations sociales, les institutionnalisations socio-politiques se déployant selon les temporalités, les espaces, les organisations sociétales et les interactions entre les acteurs et leurs propres dynamiques parmi d’autres systèmes émergeants. Ces acteurs ne sont pas des acteurs « pluri-monolingues » (Grosjan 1982 ; Py & Lüdi 1986 ; Dabène 1999 ; Gumperz 1989a et b)65, mais ils possèdent un même

répertoire linguistique provenant de langues distinctes et se mélangeant selon les situations de communication. La didactique des langues s’efforce de prendre en compte ce répertoire plurilingue (Castelloti 2001 ; Billiez 2002) lors de l’apprentissage de la nouvelle langue.

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2.2.2 Articulation entre l’individuel et le collectif

Par rapport à la problématique de catégorisations linguistiques et des processus dynamiques des pratiques sociales qui leur sont liées, Blanchet rappelle qu’il ne faudrait pas déconnecter les analyses du vécu des personnes et ne pas cloisonner ou dissocier ces faits dans des catégories artificielles lorsqu’on propose des interprétations qui puissent les prendre en compte dans leur globalité et leur complexité. Par ailleurs, nous retiendrons cette idée en nous appuyant sur une autre affirmation du même auteur qui propose que ce « zoom-avant » ne doit pas négliger les « zoom-arrière » pour joindre aux caractéristiques individuelles les caractéristiques contextuelles. Cette méthode « en sablier » que nomme Blanchet (2007) se réfère à une analyse fine du degré d’identification des variétés linguistiques. L’étude des variations ne concerne pas cette recherche, toutefois nous retiendrons ce principe d’aller-retour entre l’individuel et le collectif car il touche à l’observation des attitudes et des représentations sociolinguistiques. Pour cet auteur, la prise en compte des acteurs fait la différence entre une approche qu’il nomme glottopolitique et une politique linguistique qui peut être imposée d’en haut.