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1.7   Premières interrogations terminologiques 64

1.7.3   De l’intégration à l’appropriation spatio-­‐sociolangagière 67

Tant que les acteurs étrangers resteront associés à un groupe d’origine considéré comme monoculturel et que leur intégration est associée à un autre groupe (celui de la société d’accueil) considéré également comme homogène et monolingue (alors que ces mêmes groupes sont pris dans les changements et les adaptations constantes), il sera difficile de sortir l’étranger pris entre deux positions extrêmes. Nous avons tenté de dégager le cadre légal, en lien avec les enjeux d’intégration le situant sur le plan macro tout en le mettant en miroir avec son influence sur l’échelle plus locale et communale. Le terme « intégration » 59 nous convient peu puisqu’il renvoie

59

Selon Schnapper (1991), ce terme relève du domaine des mathématiques (XVIIIe-XXe siècle) ce qui signifie « trouver une intégrale d’une différentielle » pour passer ensuite par la biologie, la sociologie et se trouver finalement dans les textes juridiques et le langage courant. Durkheim en parlait en termes d’intégration dans les sous-systèmes (familiaux, professionnels) et considérait que l’individu est d’emblée intégré dans la société même, prêt à confirmer son identité et pérenniser son existence. Mais l’unité à laquelle l’étranger doit s’intégrer n’est pas si stable et subit à son tour des

à l’idée de rester « intègre » et entier. Si nous transposons ce concept dans notre contexte de la ville à laquelle il faudrait s’intégrer, il est clair qu’il serait difficile de définir son identité tellement elle est hétérogène, dynamique et en mouvement. Il n’empêche que les autorités des villes modernes tentent par différents moyens de reconstituer cette identité propre (en organisant de grands festivals, manifestations sportives, etc.) pour susciter le sentiment d’appartenance non seulement nationale mais aussi urbaine, parisienne, berlinoise, lausannoise.

Pour tenter une autre perspective d’observation et d’analyse, nous avons croisé d’autres centres d’intérêt : la mise en mots de l’espace spatio-social (mouvant et en évolution) se centrant sur la figure de l’étranger et sur les dynamiques liées à ses mots qui circulent dans ces mêmes espaces au moyen desquels, l’acteur exprime ses représentations, ses attitudes et ses actions rendant l’espace « sien ». En fait, il s’agit d’établir des relations entre l’acteur, son milieu spatial et langagier pour, au final, appréhender ses actions, ses attitudes et ses représentations. Et puisque l’acteur est étroitement lié aux dynamiques collectives, nous avons décidé d’aborder ces relations de deux manières différentes. D’une part l’observation de l’action et des discours collectifs nous renseignera sur leur impact sur l’individu. D’autre part, l’acteur est pris dans les dynamiques spatio-sociolangagière qu’il s’agit de repérer et de nommer en passant par l’étude des mécanismes de son appropriation spatiale et langagière. L’appropriation implique pour l’acteur plusieurs déplacements qui se négocient entre plusieurs références (sociales, culturelles, linguistiques). Nous retenons pour l’instant une première définition d’appropriation formulée par Segaud (2009 : 280) qui dit : l’appropriation c’est rendre propre (sien) l’espace, c’est le singulariser pour le construire selon nos sentiments et notre culture. Ce processus implique l’identification ou la distanciation de l’acteur de certaines propriétés ou pratiques spatiales. Cette première définition qui sera développée davantage au sein du cadre théorique permet de poser le principe de « lecture » de la ville en privilégiant l’observation du processus d’appropriation spatiale et sociolangagière. Lefebvre parle de la représentation de l’espace : espace conçu et espace de représentations-espace vécu60. Ses perceptions s’expriment par la mise en récit qui, à son tour,

peut servir au processus d’appropriation de l’espace spatio-social de la ville. Selon Bruner, les récits ne sont pas seulement des produits du langage, déjà admirables de générativités, capables

changements par l’apport extérieur. Selon le même auteur, le terme intégration comporte en même temps l’idée de continuité et de processus évolutif. Ce qui reste figé est l’idée sur unité (Etat-nation) produisant une société imaginée (Anderson 1996). Cette idée devient une réalité et crée une identité (ex. identité nationale) où prime le sentiment d’appartenance nationale. Pour Schnapper, le processus identificatoire est souvent expliqué par une identification qui passe par le culturel enfermé dans l’idée qu’une culture correspond à une ethnie et une langue ce qui provoque la ségrégation, la discrimination et l’exclusion. Tous les acteurs ne s’identifient pas à ces notions culturelles prédéfinies.

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de produire plusieurs versions d’une même situation : le fait même de les raconter devient rapidement vital pour les interactions sociales. (…) A ce titre, raconter des histoires est intimement lié, pour ne pas dire constitutif de la vie culturelle (Bruner 2002 : 31). Cet auteur souligne que le récit, même fictionnel, donne forme à ce qui existe dans le monde réel et lui confère même une sorte de droit à la réalité (Bruner 2002 : 12). L’appropriation spatio- sociolangagière deviendra ainsi la notion-maîtresse pour cette recherche.

2 CHAPITRE II APPORTS DE LA RECHERCHE : LES ESPACES,

LES LANGUES ET LEUR ARTICULATION AVEC LA FIGURE DE

L’ÉTRANGER

L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace (…) mais de l’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire. (Perec 2000)