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2.3   Ville : une variable sociale 82

2.3.3   Acteur pluriel aux parcours singuliers 93

Certaines figures présentées plus haut nous rappellent qu’il s’agit de prendre en compte les représentations des uns et des autres mais la place de l’étranger ne peut se réduire qu’à cette activité. Céfaï (2009 : 21) rappelle les travaux des chercheurs, qui insistent sur une démarche praxéologique et une étude de « l’action telle qu’elle s’organise naturellement » par et pour ceux qui y participent72. Cet auteur rappelle les travaux de Widmer qui donnent le primat à l’action et

appréhendent les relations réciproques entre les pratiques des acteurs et le système gouverné qui tente d’encadrer ces actions. Ce dernier s’inspire des démarches ethnométhodologiques alors que notre intérêt est plutôt tourné vers l’interprétation et la construction du sens proposé par Ricœur. Plusieurs théories nous laissent croire en la possibilité de concevoir l’individu comme pluriel, comme actif et autonome. Suite aux concepts représentant l’étranger en termes de proximité- distance, il faudrait chercher une des figures qui seraient plus adaptées à la ville plurielle de nos jours et à ses enjeux qui la dépasse souvent, et sortent de son enceinte. L’approche qui nous semble correspondre au mieux pour appréhender notre problématique est celle qui induit la théorie de l’action (Lahire 2001). Selon cet auteur, les pratiques sociales et l’habitus d’une personne vont influencer le choix d’agir dans un espace. Ces habitus conditionnent la manière dont un espace est

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investi. La ville joue aussi un rôle dans la transformation de ces habitus. Elle est un stimulus important pour inciter et pour développer d’autres pratiques que l’acteur n’avait pas forcément dans son répertoire culturel et linguistique (lecture et décodage du paysage visuel de la ville). Les autorités municipales en sont très conscientes et développent toute sorte de manifestations pour faire « vivre » la ville (la fête de la bière, la fête de la Cité, la fête multiculturelle). Une façon de donner à leurs résidents un sentiment d’appartenance aux espaces urbains et à la ville, aux quartiers où ils vivent. Donc, l’appropriation de l’espace dépendra de l’expérience et de la culture vécue par les acteurs. Les parcours urbains de l’acteur vont inévitablement être imprégnés par ces facteurs. Nous pourrions dire que les influences vont dans les deux sens : autant le résident influence la ville, autant elle l’influence.

La pensée de Lahire nous fait entrer dans les rapports sociaux qui s’instaurent entre les locuteurs ou entre les acteurs. Un même espace, par exemple un espace privé, peut devenir un espace de travail et avoir les caractéristiques d’un espace public. Une femme de ménage qui travaille dans un espace privé, dans une famille, transforme cet espace en lieu de travail. Des rapports employeurs - employés sont introduits dans cet espace privé et sont réglementés par un contrat de travail. Donc, une sphère privée devient un lieu de travail et introduit une marge de sécurité pour la femme étrangère qui peut parfois être engagée au noir.

Cet exemple montre que la configuration spatiale et le type d'échange qui s'y déroule, le jeu du pouvoir, fournissent des éléments sur les propriétés sociales des personnes qui fréquentent un même espace : pour la femme de ménage, c’est la sécurité par rapport à la précarité de son statut, qui est primordiale. La (non)maîtrise de la langue assignée dans cet espace sera aussi un élément renforçant ce jeu de pouvoir. Donc, les capitaux linguistiques, symboliques, sociaux et professionnels de l’acteur sont visibilisés selon son statut dans un espace donné. Il est amené à les réactualiser en fonction de nouveaux contacts. Les espaces auxquels l’acteur urbain peut être confronté sont multiples et, selon leur configuration et la situation, certains de ces espaces sont plus accessibles que d’autres. S’impose alors la nécessité de définir une place à cette mobilité qui s’opère à plusieurs niveaux. Les facteurs de cette transformation qui sont décisifs se traduisent en termes de pertes, de gains, de fixation et de modulation de ses appartenances, de son projet de migration, de ses attitudes sociales et langagières. De notre point de vue, il importe de prendre en compte la pluralité, non pas en fragmentant la réalité de l’acteur mais plutôt en cherchant comment articuler des relations entre ses divers rôles. Se concentrer sur un seul rôle comme apprenant d’une nouvelle langue ou travailleur immigré, élève, jeune de banlieue est réducteur et peu apte à rendre compte de la complexité de l’insertion d’un étranger dans la ville qui elle-même

reste complexe et reflète, par son organisation, la pluralité de l’acteur. De notre point de vue, l’étranger n’est pas seulement nomade, migrant, marginal man ou flâneur mais tout cela à la fois. C’est par l’observation de ses actions et de cette évolution constante fondée sur l’enchevêtrement des tensions et des négociations identitaires et sociales que nous envisageons d’identifier ses dimensions et ses rôles multiples inscrits dans sa trajectoire et dans son récit. Mais le nœud de sa place se joue dans les « histoires racontables » (Cefaï 2009), dans les narrations qu’il construit sur son expérience. Par la narration, l’acteur se projette indirectement dans la sphère publique qui a ses propres attentes face aux citadins. La trame de sa narration peut prendre une « forme revendicative, militante ou être une épreuve existentielle ». Cefaï (2009 : 6) qualifie la narration d’appropriation, de réception et d’application d’une personne ou d’une collectivité pour redéfinir sa propre situation biographique, retravailler l’histoire de vie en lui donnant une autre séquenciation et une autre signification (…). Pour ce dernier, c’est à travers ces opérations que l’acteur noue de nouveaux liens et adopte de nouvelles pratiques. Ce travail de reconfiguration est fait en interaction avec les autres systèmes en place.

Se raconter est une façon de prendre place dans ces systèmes et de se rendre compte de fait que chaque acteur a son propre cadre de références, qu’il existe des décalages, qu’il y a des médiations à faire et que la réussite n’est pas garantie, car l’action peut être accompagnée d’insécurité, d’inconnu et de conflits entre l’existence individuelle et collective. Donc, au moyen de la narration l’acteur se met à douter, à questionner, à réfléchir sur sa condition, à critiquer et, dans certains cas, à revendiquer voire à capituler et à renoncer. Cefaï cite de Certeau qui dit : les récits marchent devant les pratiques sociales pour leur ouvrir un champ (de Certeau 1980 : 185).

Donc, ce qui nous intéresse ici est de voir quel est le dispositif à envisager pour provoquer ces récits et proposer une dernière figure de l’étranger que l’on intitule « acteur pluriel au parcours singulier ». Elle influence la suite de la recherche car elle sera développée davantage plus loin au moment où nous définirons la notion de parcours. Pour l’instant, nous nous arrêtons sur les questions de l’impact que le récit de soi exerce dans l’action d’endosser un/des rôles dans la ville. La figure de l’acteur pluriel au parcours singulier est une piste d’exploration pour voir aussi quel sens, quels mots, quelles images, il utilise pour parler de ses pratiques, participant indirectement à la construction d’une autre figure.

Figure de l’étranger : du modèle simmelien à l’acteur pluriel

• étranger  dans  une  

tension  entre   proche  et   lointain:  étranger   en  situabon   conflictuelle    

figure  1  

• étranger  un  "être  

de  mobilité"  

figure  2  

• étranger  citadin,  

citoyen  ou  acteur   urbain  

figure  5  

• étranger  

catégorisé  par   l'imaginaire   collecbf  et  les   représentabons  

figure  4  

• acteur  pluriel   aux  parcours   singuliers  

figure  3  

3 CHAPITRE III

DYNAMIQUES SOCIO-SPATIALES :