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1.7   Premières interrogations terminologiques 64

1.7.1   Vers un paradigme du parcours et de l’acteur pluriel 65

L’ensemble des mutations qu’induit la ville pour un étranger mono- bi- ou plurilingue, nous amène à choisir le parcours de l’acteur comme outil principal des traces visibles ou « simulées » de ses liens sociaux, de son attachement ou de son détachement de la ville (Augé 1994 : 132)58.Il

s’agit de relever le défi consistant à déceler l’imbrication de ces deux niveaux et à voir comment l’aspect individuel influence le collectif et vice versa. Se demander aussi si les étrangers passent par des espaces particuliers et, si oui, si ces passages sont en lien avec les pratiques langagières réalisées dans ces espaces.

Notre finalité est de répondre aux questions posées plus haut et de donner éventuellement des pistes qui aideront à prendre en compte la part langagière et spatiale dans la gouvernance et dans l’appropriation de la ville. Quelle place et quel rôle jouent les étrangers dans ces actions de négociation ? Selon le rôle adopté, ne devrait-on pas aborder différemment la figure de l’étranger et dépasser son statut assigné juridiquement ? Ne faudrait-il pas le considérer comme citoyen à part entière, puisque certains ont acquis le droit de vote ? Pourrait-on simplement considérer l’étranger comme acteur urbain qui vit et apprend différentes façons d’agir dans les espaces urbanisés ? Certaines recherches se situant à une autre époque et dans un autre contexte, notamment celles menées par l’école de Chicago, nous apprennent que c’est dans les apories et dans les lieux d’interstice qu’il faudrait investiguer les rôles joués par l’étranger. Ils posent également la question de l’action multiple de l’acteur et surtout la question de la conception de la collectivité sur cet acteur urbain. La ville plurielle ne devrait-elle pas induire la conception d’un acteur pluriel (Lahire 2001) qui construit ses liens sociaux par divers canaux, comme celui de la/des langues au pluriel sans négliger le fait qu’elles sont cotées sur une échelle de valeur ? Les discours collectifs, à leur tour, impliquent des grilles de lecture variées des systèmes en place. La figure emblématique de « l’étranger » contribue à la construction de ces grilles de lecture engendrant en même temps les questions de l’insertion sociale. Nous devrions avoir en tête

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Augé propose un travail sur trois mondes comme d’éventuelles possibilités d’étude des terrains qui seront à la croisée des mondes nouveaux : l’individu, les phénomènes religieux consécutifs à la colonisation et la ville. Il voit dans la ville un objet porteur de toutes les interrogations que suscite l’espace unifié de la planète. Il pose la question : la ville est-elle un monde ou

également le fait que les inégalités dans les conditions même de l’immigration sont des facteurs à prendre en compte dans les analyses. Parfois, les lieux sont marqués linguistiquement ou spatialement ce qui peut être un autre élément de catégorisation sociale de l’acteur.

La collectivité peut également exclure l’individu en favorisant ou freinant certaines pratiques sociales et linguistiques. Certains auteurs dont Kaufman (2008 :115) nous parlent d'inégalité et d’accès à la mobilité en nous rendant attentive aux marges de liberté très inégales dont disposent les acteurs sociaux. Ces marges dépendent également des ressources mobilisées par les acteurs ou des contraintes objectives qui délimitent la marge d'action d'un résident. Parler des trajectoires ne préjuge donc pas du degré de maîtrise que les personnes exercent sur leur propre mobilité. C'est, plus largement, faire l'hypothèse que les mobilités ont néanmoins un sens. Autrement dit, ces trajectoires peuvent être physiques, mais il s’agit également de les décrire et, surtout, d’en rendre le sens, à condition de les situer dans le contexte décrit et dans des logiques propres aux acteurs interrogés. Les facteurs de cette mobilité plurivalente dans la ville seront mis à l'épreuve lors de l'observation et de l’analyse des rapports entre structures et acteurs, entre leurs contraintes et leurs choix, entre leurs attitudes et leurs stratégies et les représentations, les images portées sur/par eux. La conception d’une mobilité polyvalente (sociale, spatiale, linguistique) se profile comme le lien qui traverse notre problématique. Le plus difficile consiste à trouver un concept opératoire adéquat traduisant cette mobilité multiple impliquant simultanément les différents niveaux et différents rôles de l’acteur dans la ville. La notion de mobilité est importante car elle induit indirectement les changements de statut de l’acteur, de ses rôles sociaux (dans la famille, dans ses groupes d’appartenances, dans son lieu de travail), par rapport à l’évolution de ses images mentales. Et selon son statut ou sa manière d’agir, on peut parler tantôt du citoyen ou du citadin, tantôt du résident étranger ou du migrant.

Un espace d’écriture plus détaillé sera consacré à la transposition et à la traduction de la mobilité polyvalente dans l’espace urbain. Nous optons pour la notion de « parcours urbain » qui sera également reprise dans le cadre méthodologique afin de favoriser une démarche informant davantage sur les organisations sociales des groupes et de l’individu. Todorov (1989 :124) propose de parler plutôt d’un universalisme de « parcours » en se méfiant du terme cosmopolitisme. Le discours officiel désigne trop souvent le résident étranger par des marques « d’arrivée ». La voie que cet auteur propose pour aller vers l'universel implique que l'on s'immerge profondément dans le particulier. Donc, nous nous inscrivons plutôt dans le paradigme du parcours que dans le paradigme d’arrivée en privilégiant le terme acteur pluriel plutôt que le terme migrant. Ce paradigme risque de faire évoluer également le terme résident étranger.

1.7.2 « Mise en mots » et « mise en images » de l’espace urbain

Les contradictions et les paradoxes que connaît le domaine de la migration s’ajoutent au renforcement d’un discours sur la ville augmentant la peur de l’étranger. Les images données dans le contexte à titre illustratif montrent que certaines campagnes politiques n’aident pas à améliorer l’image de cet acteur urbain. Au contraire, on le voit représenté métaphoriquement sur les murs de la ville par un mouton noir, par des gants de voleurs de passeports, par une botte noire écrasant le territoire rouge à croix blanche. Ces traces d’un discours politique « mis en mots et en images » développent un rapport à la ville suscitant auprès de la population la peur de celui qui vient d’ailleurs et qui nuit à la sécurité de la ville, la rend dangereuse. Ceci augmente la stigmatisation et la catégorisation de certains quartiers « occupés par l’étranger ». Plusieurs empreintes de cet imaginaire collectif marquant le discours sont visibles à différentes échelles de l’espace urbain (politique, public, privé, virtuel).

Ces discours et ces images ont été évoqués dans la définition de la problématique. Pour aller plus loin, nous souhaitons sortir d’une dynamique dichotomique et entrer davantage dans ce qu’Edgar Morin (1991) appelle, le paradigme de la complexité. Nous allons donc tenter de constituer un cadre théorique et méthodologique en partant du parcours individuel et de joindre, à l’autre bout de chaîne, des logiques des acteurs collectifs tout en identifiant les fonctions que prennent différents discours et pratiques langagières adoptées lors des interactions effectuées sur ce parcours et entre différents acteurs de la ville. Dès lors, nous nous intéressons à des questions de visibilité et de mise en mots des espaces institués ou des espaces inventés.