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L’appropriation de la ville par les résidents étrangers est mise en lien avec l’histoire et l’évolution des politiques migratoires mais également avec l’évolution du regard porté sur l’étranger au cours de cette histoire. A la lumière de son rapport aux lieux de la ville, à ses langues, à sa façon de lire et de s’inscrire dans l’espace urbain, nous souhaitons montrer comment se construit l’idée sur la ville et ses populations dans un contexte de tensions constantes entre une logique collective et individuelle.

1.2.1 Assignation des lieux, des langues et transformation urbaine

La ville de Lausanne utilise le terme « cosmopolite » (citoyen du monde) dans une « mise en scène de soi ». Quant à nous, nous nous posons la question de la réalité de cette image du « cosmopolitisme », est-ce un vœu ou tout simplement une « vitrine » qui ne montre que la surface de la texture urbaine ? 21 Si nous nous intéressons aux espaces urbains22 à l’instar des aspects

sociolangagiers, c’est pour élargir le cadre de recherche et pour introduire la question des langues dans le débat « intégration-exclusion ».

Partons des trois piliers d’intégration fixés par la dernière Loi sur les étrangers (1.1. 2008). Un durcissement des conditions pour l’obtention des permis de séjours se fait sentir en posant la maîtrise de la langue comme le premier pilier de l’intégration pensant que l’intégration des étrangers serait ainsi facilitée. Donc la langue est au cœur de ce processus et les tensions sociolinguistiques dans le milieu urbain interrogent la notion d'appropriation de l'espace urbain et se manifestent, entre autres, à travers l’assignation des lieux aux étrangers.

L’appropriation de la ville au moyen d’une langue et suite à une injonction administrative et politique n’est pas dénuée de risques dont celui de l’exclusion, puisqu’en cas de non-maîtrise une sanction est prévue. En conséquence, on observe des manifestations relatives à l’introduction massive des cours en langue française. Une certaine ambiguïté demeure dans cette promotion intensive des cours de langue. L’appropriation d’une langue n’est pas une action neutre. Elle est porteuse d’une dimension politique, identitaire23

, économique, mais aussi un vecteur potentiel d’exclusion. Sans mettre en question le travail bénévole, les formateurs qui constituent le corps

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Nous reprendrons cette question plus loin dans ce même chapitre en parlant des traces d’inscription sociolangagière et des tensions sociolinguistiques.

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Bulot (1998) considère l’espace urbain comme lieu d’échanges langagières et de mise en mots du réel social, spatial et historique. Dans sa recherche sur la ville de Rouen, il s’interroge sur les langues dans lesquelles est tenu le discours des habitants qui font une des composantes de la réalité urbaine.

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enseignant dans plusieurs associations ont souvent ce statut. Ils ne reçoivent pas toujours une formation en didactique de langue seconde adaptée au public d’adultes migrants avec un profil et parcours d’apprenants très hétérogène demandant des compétences particulières d’enseignement24.

Mais la situation est beaucoup plus complexe car l'enseignement et l’apprentissage des langues impliquent indirectement les questions de représentations sociales, de rapport des participants à l’altérité et à l'identité. On peut observer un autre élément qui augmente cette ambiguïté : une soudaine promotion des premières langues des migrants, amenée plutôt comme un effet de mode qu’un véritable facteur de l’apprentissage ou prenant ces pratiques plurilingues comme élément constitutif de l’identité de la ville. Ces pratiques sont introduites par rapport au deuxième pilier de l’intégration qui consiste en une distribution des informations aux primo-arrivants. Nous y reviendrons plus loin.

1.2.2 Articulations entre les politiques à trois niveaux et leur application

Selon la Loi fédérale sur les étrangers, l’intégration est une tâche conjointe, répartie entre la Confédération, les cantons et les communes. Il n’est pas toujours facile de saisir comment s’opère cette articulation. Le rapport de forces entre les niveaux politiques est à prendre en compte car il se perçoit non seulement sur le plan de l’intégration mais aussi sur d’autres plans de la politique suisse : en éducation, dans les domaines de la santé et du social. Les tensions fréquentes autour des décisions relatives aux conditions-cadres ou aux financements des projets se font sentir. Le poids des communes dans la politique fédérale et l’impact de la politique dans la mise en œuvre des projets d’intégration sont difficiles à évaluer25. Les actions menées pour l’accueil des

étrangers, organisées sur le plan de la Ville, reflètent indirectement la collaboration réussie (ou non) entre la Confédération qui édicte les recommandations et le Canton de Vaud qui les finance. La Ville intervient dans les unités les plus petites (les quartiers, rues, associations), illustrant au moyen de ses actions cette articulation à trois niveaux. Elle se trouve donc au bout du processus appliquant les recommandations. En outre, la notion de l’intégration définie par la Loi reste controversée et ambiguë ce que le BLI (Bureau lausannois d’intégration des immigrés) reconnaît également26. L’aménagement urbain révèle quelques indices par rapport à cette articulation et par

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Les formations disposées aux formateurs dans certaines associations durent quelques jours, dans d’autres quelques semaines alors que le domaine d’enseignement des langues étrangères et secondes exige une formation universitaire donnant lieu à un Bachelor ou un Master.

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A titre d’exemple 16 millions ont été alloués pour l’année 2008-2010 par la Confédération dont la majorité pour les cours de langue et 30 millions versés aux cantons pour les réfugiés (aussi les cours de langues). Les chiffres ont été tirés du Curriculum cadre pour l’encouragement linguistique (2009 : 9)

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Voici la définition d’intégration donnée par la ville reposant sur trois volets : - la pédagogie des droits humains ;

rapport au suivi des recommandations venues des deux autres niveaux, traduites par un dispositif d’accueil. Nous en donnerons ici quelques exemples.

Il faudrait distinguer deux modèles de formation du dispositif d’intégration : le premier se situe sur le plan formel et inscrit le dispositif d’intégration dans le cadre public et le deuxième relève du semi-public, comme des associations privées mais sollicitées par les autorités pour un partenariat en lien avec l’accueil des étrangers. Ces associations sont très souvent subventionnées par les autorités. Le domaine associatif est très dense dans la ville. Il suffit de feuilleter la brochure du canton « Bienvenue dans le canton de Vaud » ou celle de Lausanne « Vivre à Lausanne » pour se rendre compte de la diversité de l’offre et des associations dont la préoccupation est l’acteur étranger. Certaines de ces structures se focalisent sur le plan linguistique (écoles de langues), sportif (nombreux clubs de foot ou d’autres sports pratiqués déjà dans les pays d’origine). D’autres encore s’orientent vers les activités religieuses, culturelles ou de loisirs. La commune est soucieuse de rendre visibles ces structures associatives et, en conséquence, édite chaque année un catalogue avec leurs coordonnées. D’autres organismes, FEEL – Forum des étrangères et étrangers de Lausanne et la CTI - commission tripartite pour l’intégration, font partie de la structure actuelle et représentent officiellement les communautés étrangères, la plupart d’entre elles viennent de ce tiers- secteur. La CTI est composée de représentants du Conseil communal, de la Municipalité, de l’administration ainsi que des associations d’étrangers. Le FEEL a le statut d’une association à but non lucratif avec un mandat de représentation de la population étrangère résidant à Lausanne. Selon le dernier rapport publié par le BLI, le FEEL ne semble pas satisfaire les attentes de la municipalité. Ce qui importe de constater ici, ce sont les moyens mobilisés dans le renforcement du partenariat avec les associations au sein de la municipalité. Ce dispositif est constitué des trois organes cités plus haut (BLI, CTI et FEEL). Sur le schéma présenté par le BLI montrant la hiérarchie entre ces différents niveaux, le FEEL a plutôt un statut consultatif. Donc, dans l’organisation de la ville, les étrangers sont confinés dans un organe qui est formalisé mais n’a pas de rôle décisionnel. Voici le tableau récapitulatif qui résume les compétences à plusieurs niveaux.

- le respect des valeurs communes ;

- la construction d’une citoyenneté ouverte et participative.

Figure : trois niveaux des compétences (Confédération, Canton, Commune)

Niveau  Confédérabon  

• Lignes  directrices,  polijques   fédérales,  input  aux  cantons,   financement  

Compétences  :  niveau   canton  VD  

• Applicajon,  financement,  input  aux   communes  

• Distribujon  des  informajons,   accueil,  partenariat  et  coordinajon   des  associajons,  consjtujon  d’une   Commisson  cantonale  des  immigrés.   • Encouragement  et  mise  en  place  des  

cours  de  langue  française,   promojon  de  ces  cours,  

financement,  promojon  des  cours   de  langue  et  de  culture  d’origine  

Niveau  commune  de   Lausanne  

Distribujon  d'informajon,  mise  en   place  des  cours,  financements  des   projets  divers  

• Niveau  groupe/associabon   Promojon  des  associajons  des   domaines  de  santé,  du  social  et  de   l’éducajon  chargées  de  la   transmission  des  langues  et  des   cultures,  consjtujon  du  FEEL.  

Individu:  

• Votajons  pour  certains,  devoir  de   suivre  des  cours  de  langue  locale  et,   si  échec,  sancjons  

Figure : textes officiels en lien avec l’intégration des étrangers

1.3 Dispositif d’intégration des étrangers : marques d’aménagement structurel et