• Aucun résultat trouvé

Les différents points développés dans ce premier chapitre montrent que, depuis plusieurs décennies, la scolarisation des jeunes et des enfants en Haïti évolue dans un contexte social marqué à la fois d’instabilité et d’insécurité sociopolitiques, ainsi que de précarité socioéconomique et culturelle. Cette situation a transformé les structures familiales. Dans ce contexte social fonctionne un système scolaire pratiquement privé, limité dans sa capacité d’accueil, ses ressources humaines, ses infrastructures matérielles et son programme de formation, bref un système scolaire qui ne peut que difficilement soutenir l’apprentissage de ses élèves. En outre, l’insécurité linguistique, à cause de la situation diglossique créole-français instaurée dans les écoles, freine en quelque sorte le progrès des élèves. Au-delà des problèmes sociaux qui colorent les relations des parents avec l’école, les familles constituent la plus importante source de financement de l’éducation au pays. Cela traduit en quelque sorte leur détermination à éduquer leurs enfants, et leur croyance en l’école comme facteur de mobilité sociale.

Depuis plus d’un demi-siècle, la problématique de la réussite scolaire ne cesse de préoccuper la communauté scientifique (Bourdieu, 1966; Coleman, 1966; Epstein & Van Voorhis, 2001; Parent, 1966; van Zanten, 2001; Vieille-Grosjean, 2011). Il y a un consensus de plus en plus large à l’effet que les décideurs politiques devraient inscrire les ajustements et changements ciblant l’école dans une perspective écologique intégrant une pluralité de facteurs contextuels relatifs à différents espaces de l’environnement de l’élève, notamment l’école et la famille. Et ceci, même si les chercheurs approfondissent souvent de manière parallèle ces facteurs contextuels. Un autre grand consensus s’est fait autour de la nécessité d’un dialogue constant entre l’école et la famille pour soutenir la persévérance des élèves dans leur apprentissage (Epstein, 2001; Kanouté, 2007; Salyers, 2014). Nous pensons que ces consensus devraient s’appliquer à la situation en Haïti, en tenant compte de sa spécificité.

Face au cumul de vulnérabilités exposé dans cette problématique, nous sommes consciente que la problématique de la réussite scolaire des élèves en Haïti est multifactorielle. Par ailleurs, c’est un contexte riche en potentiel de sujets pertinents de recherche. Dans la dernière décennie, un momentum s’est installé avec plusieurs projets de recherche sur l’école haïtienne, entre autres : Motivation et activités de lecture; rapport aux savoirs scolaires et défavorisation; TIC et formation des enseignants, etc. (André, 2008; André & Cartier, 2012; Azarre, 2014; Eugène, 2013; France, 2011; Guervil, 2011; Lafortune, 2012).

Cependant, la collaboration école-famille en Haïti, comme facteur favorable à la réussite scolaire, a fait l’objet de peu d’études scientifiques dans le contexte haïtien. À notre connaissance, seules trois études ont déjà partiellement abordé ce sujet (Joint, 2006; M. L. Joseph, 1999; Saint-Fleur, 2007).

Voulant transposer le modèle de l’influence partagée (Epstein, 2001) dans une recherche quantitative réalisée dans 20 écoles de milieux contrastés de la métropole haïtienne, auprès de parents, d’enseignants et de directeurs d’école, M. L. Joseph (1999) analyse les interactions entre personnel scolaire et parents et l’influence de ces interactions sur la réussite des élèves. Dans cette étude, la collaboration école-famille se résume à une participation financière des parents dans l’éducation des enfants et à des réunions dans lesquelles la direction impose ses points de vue sur la gestion de l’école auxquels les parents doivent adhérer. L’auteur a également mis en évidence et critiqué la défaillance de l’implication parentale. Une autre étude mixte portant sur les inégalités sociales dans quatre écoles congréganistes de la capitale souligne une dynamique différentielle d’un établissement à l’autre (Joint, 2006). Dépendamment du leadership pédagogique instauré à l’école, l’auteur dit observer, dans certains cas, une certaine convivialité entre personnel de direction et parents, bien que ces derniers ignorent le fonctionnement et les structures pédagogiques des établissements scolaires. Dans d’autres cas, une situation conflictuelle tend à se transposer dans la relation maitres-élèves. Entre parents et enseignants, les relations sont également problématiques et, dans la plupart des cas, les élèves sont pratiquement méconnus de ces derniers. Une troisième étude qualitative, qui a croisé les regards de familles haïtiennes résidant en Haïti et de familles immigrantes au Québec en ce

qui concerne le suivi scolaire de leurs enfants, confirme la nécessité de promouvoir une culture de collaboration dans le contexte scolaire haïtien (Saint-Fleur, 2007). Cependant, ces études ne montrent ni comment, ni en quoi la dynamique vécue entre les divers microsystèmes d’éducation peuvent affecter la réussite scolaire des élèves. Elles n’expliquent pas non plus en quoi la dynamique école-famille peut contribuer de manière significative à l’amélioration de la problématique de la réussite scolaire au pays.

Selon Meirieu & Frackowiak (2008), la complexité de l’éducation nécessite qu’elle soit inscrite dans un paradigme et une perspective émancipatrice alliant l’école et la famille dans un travail de coopération et de collaboration pour renforcer l’apprentissage des élèves. En accord avec ces auteurs et nous appuyant sur les différents constats de la problématique, nous pensons qu’une étroite collaboration entre l’école et la famille en Haïti peut s’avérer indispensable pour soutenir les efforts des parents et les aider à mieux contribuer à relever le défi de la réussite scolaire des élèves. Et voici la question de recherche à laquelle aboutit cette problématisation :

• Quel est le regard d’élèves, de leurs parents, d’acteurs scolaires et communautaires sur l’école en Haïti, les enjeux de réussite scolaire et la relation école-famille?

Une analyse approfondie, des recherches liées à la problématique de la collaboration école- famille et de la réussite scolaire dans le cadre conceptuel, permettra de préciser la question sous forme d’objectifs de recherche.