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C’est seulement à partir des années 1950, notamment à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, que le quotidien des familles paysannes commençait à attirer l’attention de quelques anthropologues haïtiens. Bastien (1951) s’est particulièrement intéressé à la perception des parents face à l’éducation des enfants et Romain (1959), aux structures familiales traditionnelles. Suite à ces deux pionniers, Bijoux (1995) a critiqué le caractère traditionnel de l’éducation offerte en milieu familial et lié cette tendance à certains effets de la culture coloniale qui ont façonné l’histoire du pays. L’auteur insiste sur l’arrimage de cette culture à l’éducation aussi bien dans les familles qu’à l’école. Explicitement, aucune de ces études anthropologiques n’a fait cependant mention du rapport école-famille en Haïti, mais elles dégagent l’enthousiasme des parents à faire éduquer leurs enfants.

Plus tard, vers la fin du 20e siècle, quelques chercheurs œuvrant dans le domaine de l’éducation portent une attention particulière à la place des familles dans les enjeux scolaires, surtout l’engagement financier des parents, même dans un contexte de précarité. Contrairement à ce qui se vit ailleurs, les études révèlent que la famille haïtienne a toujours été décrite comme la principale pourvoyeuse du financement de l’éducation (François, 2004; MENFP, 2007; Moisset & Mérisier, 2001; USAID, 2008). Selon François (2004), Haïti est l'un des rares pays au monde où le coût de l'éducation est presque totalement pris en charge par les parents et serait également le pays où les parents dépensent le plus pour la scolarisation de leurs enfants. Malgré la précarité économique, en plus des dépenses associées au coût de l’inscription, à l’achat des manuels scolaires et des uniformes, au transport, les parents défraient plus de 65 % du financement de l’éducation (MENFP, 2007; Moisset & Mérisier, 2001). En fait, même quand les établissements scolaires financés par l’État exonèrent les élèves des frais de scolarité, aucune école en Haïti n’est complètement gratuite. Par exemple, la scolarité d’un seul enfant au primaire coûte à une famille moyenne plus de 25 % de son revenu annuel (USAID, 2008). Cette charge financière s’avère réellement lourde pour les parents. Par contre, si ce n’était de cet effort indéfectible des familles, le taux de scolarisation au pays serait plus catastrophique.

En plus de payer pratiquement le plein coût de la scolarité des enfants, la plupart des parents délèguent la responsabilité d’encadrer leurs enfants dans la réalisation des devoirs et leçons à une tierce personne, souvent un tuteur salarié, afin de consolider les apprentissages réalisés en classe pour augmenter leur chance de réussite (M. L. Joseph, 1999; Saint-Fleur, 2007). Ces efforts témoignent de leur forte motivation et de leur foi en l’éducation comme garante de changement de leurs conditions de vie et de celles de leur progéniture. La réussite scolaire constitue pour eux un indicateur de la réussite sociale de leurs enfants.

Cependant, malgré cet engagement financier des parents, la communication école-famille en Haïti reste apparemment problématique. Dans bien des cas, l’enfant est le principal vecteur entre l’école et la maison, comparable au « Go-between » dont parle Perrenoud

(2005 b) dans la relation école-famille. La plupart du temps, les parents ne se présentent à l’école qu’en vertu des normes prescrites par l’école (Joint, 2006; M. L. Joseph, 1999). Lorsqu’ils sont convoqués par la direction administrative pour des raisons disciplinaires ou pour payer les frais scolaires, la convocation est écrite exclusivement en français, une langue peu familière pour la majorité d’entre eux, ou est livré verbalement à l’élève qui, à son tour, charge de la leur transmettre. Dans certains cas, le message est interprété et traduit en sa faveur lorsqu’il lui est défavorable (Joint, 2006). Quant aux enseignants, les premiers acteurs responsables de rapprocher l’école de la maison afin de s’assurer que les élèves soient soutenus dans leurs activités scolaires, ils disposent de peu de temps pour rencontrer les parents qui souhaiteraient s’informer du progrès de leurs enfants. Ce problème de communication amène les enseignants à considérer les parents comme démissionnaires dans le processus éducatif de leurs enfants, une démission dont ils se perçoivent victimes (G. Romain, 2007).

Objectivement, la situation dans laquelle évoluent la majorité des parents peut rendre leur communication plus complexe avec l’école. Pour les parents peu instruits et vivant dans la précarité, leur profil les éloigne du milieu scolaire. Quant aux parents instruits qui semblent plus à l’aise avec la structure et la culture de l’école, les conjonctures de toute sorte les accaparent et les empêchent de s’y rendre fréquemment pour rencontrer des enseignants qui eux-mêmes ne sont pas souvent disposés à les entendre. Ainsi, en général, les parents comptent beaucoup sur l’école pour faire réussir leurs enfants, mais ils inventent aussi à leur manière des stratégies pour les encourager à persévérer. Finalement, on ne peut pas dire que ces parents, si présents dans le financement de l’école, entretiennent avec elle une relation formelle de collaboration. Il y a cependant l’émergence d’écoles à caractère communautaire, financées par les organismes non gouvernementaux (ONG) qui permettent, même si c’est de manière symbolique, de s’ouvrir sur une nouvelle forme de participation parentale au pays. Selon USAID (2008), plus de 70 % de ces écoles fonctionnent avec une soi-disant association de parents d’élèves ou de comité de gestion d’école. Le projet éducatif de la commission épiscopale des écoles catholiques encourage également des initiatives orientées dans ce sens (CEEC, 2007).

1.4 Les bénéfices perçus de la collaboration école-famille dans divers