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2 Cadre conceptuel et recension des écrits

2.6 Des facteurs liés à l’implication parentale dans la collaboration école-famille

2.6.1 Le capital social des familles

Depuis les années 1960, le concept de capital social des familles retient l’attention d’un grand nombre de chercheurs, lorsqu’ils se sont aperçus que l’échec scolaire touche majoritairement les enfants d’ouvriers (Bourdieu & Passeron, 1964a). Le débat est alors orienté vers le vécu scolaire et la situation de l’élève selon son milieu sociodémographique et socioculturel d’origine.

Bourdieu (1966), pour sa part, parle plutôt de capital culturel pour problématiser l’impact du profil familial sur la réussite scolaire des élèves. Il définit le capital culturel comme un ensemble de ressources actuelles ou potentielles en possession d’un groupe socialement structuré. Quant au capital culturel de la famille, il l’associe à la maîtrise de la langue scolaire, au statut social des parents (statut socioprofessionnel et socioéconomique), aux ressources disponibles dans le milieu familial, à l’accès aux activités extrascolaires, enfin, à tous les facteurs qui contribuent à préparer l’enfant à appréhender et à s’approprier la culture scolaire. Dans une étude de cas de réussite scolaire d’élèves issus de parents de niveaux scolaires contrastés publiée en France en 1966, l’auteur a observé un taux de réussite supérieur chez les élèves de parents bacheliers (77 %). Il conclut qu’en termes de reproduction et de transmission de savoir, le capital culturel des parents peut avoir des impacts significatifs sur le type d’aide offert aux enfants et du fait même influencer leurs résultats scolaires. Donc, pour l’auteur, le capital culturel de la famille représente une force certaine pour promouvoir la chance de réussite scolaire des enfants. Plus tard, l’auteur montre aussi que, bien que le capital culturel soit un bien symbolique, il constitue également une véritable source de distinction sociale (Bourdieu, 1979).

Coleman (1966), de son côté, s’intéresse au capital social disponible dans le milieu familial. Dans un rapport de recherche diffusé aux États-Unis, « Equality of Educational

Opportunity », portant sur un nombre spectaculaire d’élèves (N=650 000) de 4 000 écoles, l’auteur identifie le capital social de la famille comme le facteur le plus déterminant de la qualité d’encadrement offert aux enfants à la maison pour renforcer leurs acquis scolaires. Dans cette étude, les variances relatives aux facteurs familiaux, notamment le niveau de scolarité des parents, expliquent dans une proportion de 10 à 25 % le faible résultat scolaire des élèves.

Pour Coleman (1988), le capital social regroupe l’ensemble de ressources inhérentes aux relations que l’individu possède ou qu’il peut obtenir dans son réseau social. Dans l’analyse des différents facteurs qui influencent la réussite des élèves, l’auteur considère le milieu familial à lui seul comme une entité et définit son capital social en termes d’éléments variés relatifs aux structures sociales qui facilitent des actions entre les protagonistes concernés. Le sociologue examine son utilité dans un contexte d’éducation et classe les facteurs familiaux susceptibles d’avoir de l’impact sur le développement du capital humain de l’élève et sa trajectoire scolaire en trois composantes insécables: une composante humaine, une composante économique et une composante sociale.

Selon l’auteur, la composante humaine renvoie au potentiel familial qui permet de construire un environnement cognitivement stimulant pour soutenir les apprentissages des élèves. Coleman inclut dans cette composante l’éducation des parents, leur potentiel intellectuel, leur statut socioprofessionnel et leur environnement psychosociologique, les structures familiales, la présence physique des parents et l’attention portée aux enfants. Selon l’auteur, chacun de ces facteurs imprime sa marque sur la réussite de l’élève à l’école. Il juge important d’avoir un cadre approprié à la maison pour les activités scolaires des enfants et un climat familial harmonieux, car une déficience à ce niveau peut jouer défavorablement sur la réussite des élèves. D’autres études (Lareau & Horvat, 1999; Oubrayrie-Roussel, & al., 2011; Zimmerman, 2008) confirment les difficultés qui réduisent la marge de disponibilité des parents de faible capital social pour assurer l’encadrement scolaire de leurs enfants. Ces difficultés sont souvent liées à la flexibilité professionnelle et

à l’incompatibilité d’horaire et touchent particulièrement les parents de familles de faible statut professionnel et ceux de familles monoparentales.

Quant à la composante économique, Coleman (1988) la mesure par rapport aux revenus et ressources matérielles de la famille favorables à l’apprentissage des élèves. L’auteur inscrit le statut socioéconomique et le capital humain de la famille dans une dynamique d’inter- influence et soutient que la carence à un niveau handicape le développement de l’autre et affecte la réussite des élèves. Il établit, par exemple, une relation causale entre le statut socioéconomique et l’implication parentale. En fait, si le capital humain des parents ne complète pas le capital social incarné dans la famille, son influence est moindre pour le développement de l’éducation des enfants. Les difficultés éprouvées par les parents de faible statut socioéconomique pour soutenir les enfants dans leurs travaux à domicile sont analysées dans plusieurs études. Ce manque d’encadrement crée dès le départ une inégalité de chance de réussite entre les enfants de familles plus nanties et ceux de familles défavorisées (Arnold, Zeljo, Doctoroff, & Ortiz, 2008; Jeynes, 2007; McDonald, 2008; Seyfried & Chung, 2002).

À la composante sociale, Coleman (1988) associe aussi la qualité d’interactions vécues entre l’enfant et ses parents concernant son projet scolaire. Pour l’auteur, cette composante occupe une place importante dans le capital familial et joue un rôle médiateur entre les ressources humaines et financières de la famille et le développement du capital humain de l’élève. L’auteur inclut également dans cette composante sociale la présence physique des parents dans la famille et l’attention portée aux enfants. En effet, au plan du développement des compétences sociales et académiques, des études (Gregory & Rimm-Kaufman, 2008; Reynolds & Clements, 2005) soulignent l’impact important des interactions parents-enfants en lien avec le vécu scolaire, du soutien affectif des parents à l’égard des enfants, des discussions liées aux projets d’avenir des enfants. Ces chercheurs soulèvent des questions touchant l’influence et la pertinence de la présence de chaque parent dans la vie de l’enfant pour assurer un certain équilibre dans son développement cognitif à l’école et consolider son processus d’apprentissage tout au long de sa formation.

La réflexion sur l’impact du capital familial a questionné la proximité et connivence du milieu scolaire avec certains capitaux, au détriment d’autres. D’ailleurs, Coleman met lui- même en lumière des facteurs liés aux problèmes linguistiques et la méconnaissance du système scolaire qui expliqueraient l’écart observé parfois dans la présence des parents à l’école. Pour Bourdieu (1966), tous les individus ont un capital social à investir ou à activer dans divers champs d’action; mais l’effet d’un capital diffère selon la valeur qui lui est attribuée, le champ dans lequel il est investi et l’accès à des ressources pour le bonifier. Aussi, malgré leur faible capital social et culturel, plusieurs parents parviennent à développer des stratégies pour aider leurs enfants. Au Québec, Hohl (1996) a mis en évidence le fort investissement affectif de parents analphabètes, d’origine haïtienne et salvadorienne dans la scolarité de leur enfant, des parents pourtant situés à une « distance maximale de l’école ». Lee & Bowen (2006), dans une étude touchant environ 415 élèves du primaire au Sud-est des États-Unis, révèlent les efforts consentis par des parents défavorisés de la communauté noire pour superviser les travaux de leurs enfants et leur offrir une aide appropriée. Duru-Bellat (2002) soutient que les inégalités observées dans la performance scolaire des élèves de familles de milieux socioculturels contrastés ne signifient pas pour autant que l’origine sociale d’un élève le condamne définitivement à l’échec. Elle se distancie pratiquement de toutes théories déterministes et s’oriente vers une sociologie de l’éducation qui vise à transformer l’école en un lieu d’apprentissage animé d’une dynamique psychosociale capable de mobiliser toutes les forces vives et les ressources efficaces pour créer un cadre formateur qui répond aux besoins particuliers de chaque élève. Duru-Bellat & van Zanten (2012) mentionnent, par conséquent, qu’à l’impact d’un faible capital familial, le capital scolaire peut intervenir pour préserver l’élève. Le capital scolaire renvoie à l’ensemble des ressources tant humaines, communautaires pédagogiques matérielles que structurales disponibles dans les écoles pour soutenir le processus d’apprentissage des élèves (Kamanzi, Ying Zhang, Deblois, & Deniger, 2007). D’autres études sur les inégalités sociales (Bautier & Rayou, 2009; Dubet, & al., 2010; Dumay, 2010; Rayou & Ria, 2009; Vieille-Grosjean, 2009) et la résilience scolaire (Bouteyre, 2008; Mannoni, 2007; Pourtois & Desmet, 2007) soulignent la nécessité pour

l’école de s’engager dans des actions orientées vers les élèves défavorisés afin de maintenir la constance dans leur performance scolaire. Également, il ne faudrait pas aussi sous- estimer la détermination des enfants qui réussissent malgré la précarité et la non- disponibilité de leur famille.

Finalement, selon Trivette & Dunst (2013), les problèmes des familles combinent une diversité de facteurs. Pour ce faire, la mobilisation du capital social de l’école, par l’engagement de ses acteurs et la mise en place de structures favorables à réussite, est importante pour bonifier le capital socioculturel des parents afin qu’ils soient plus en mesure d’encadrer leurs enfants (Kamanzi, & al., 2007). En effet, d’autres études plus récentes abondent dans le même sens (Dubet, & al., 2010; Duru-Bellat, 2014; Duru-Bellat & Bydanova, 2011; van Zanten, 2009a, 2009 b). Pour ces auteurs, lorsqu’il s’agit de chance égale de réussite pour les élèves de toutes les catégories sociales, le rôle de l’école est crucial. Il importe donc à l’école d’engager des actions susceptibles d’améliorer et de renforcer son capital pour une plus grande équité entre les élèves (Chapman & Fullan, 2007; Goddard & Hart, 2007). Le milieu scolaire est donc exhorté à s’ouvrir sur la réalité complexe des parents d’enfants qui la fréquentent (Dubet, 2000; Meirieu, 2000; Cizeau, 2011).