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2 Cadre conceptuel et recension des écrits

2.6 Des facteurs liés à l’implication parentale dans la collaboration école-famille

2.6.3 Les représentations et attentes réciproques des acteurs

Comme concept, la représentation fait l’objet d’une abondante littérature et est analysée dans différents domaines : santé (Apostolidis, 2003; LeClair, 2009), communication (Cavallo & Iannaccone, 1993; Grize, 1993; Lalli, 2005) exclusion sociale (Abric, 2003a, 2003 b; Abric & Campos, 2003); racisme (Charette, 2009); etc. Tous ces travaux visent à montrer l’importance de tenir compte des représentations dans les relations interpersonnelles et intergroupes et donnent la possibilité de comprendre les visions socialement partagées par des groupes d’individus associés à une pluralité de jugements préconçus. En fait, il découle des recherches réalisées sur la présentation dans le champ social une convergence montrant une interrelation avec un ensemble de représentations

constituant l’environnement social et symbolique de l’individu (Abric, 2009; Jodelet, 2012; Pianelli, Abric, & Saad, 2010; Valence & Roussiau, 2009, 2014).

Ce concept a été défini depuis plusieurs décennies et figure, par son caractère transversal, parmi les plus célèbres théories de la psychologie sociale. Il a été donc emprunté à la psychologie sociale de Durkheim (1898) et a été utilisé pour déterminer un ensemble d’images intériorisées et créées, par exemple autour d’une personne. Fondées sur des jugements préconçus, ces images interprètent les actions posées par cette personne. Environ une décennie plus tard, Durkheim (1911) complète cette définition en ajoutant que ces jugements subjectifs sont le plus souvent colorés par les valeurs intériorisées et véhiculées dans l’environnement social de l’individu. Dans un ouvrage publié sur la psychanalyse, Moscovici (1976) fait valoir le riche potentiel de ce concept et définit la représentation sociale comme « un outil de pensée pour l’individu qui lui sert dans sa vie quotidienne ». Il s’agit donc d’une grille de lecture socialement construite en fonction des intérêts spécifiques d’un groupe donné, « une forme de connaissances sociale élaborée et partagée » (Jodelet, 1989). Plus tard, Moscovici (1994) attribue aux représentations un rôle spécifique dans la relation interpersonnelle puisqu’elles servent à rehausser et à orienter les messages véhiculés entre les protagonistes concernés.

Une des plus récentes définitions compare les représentations sociales à un « ensemble organisé et hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet. «Les représentations sociales résultent d’un processus d’appropriation de la réalité, de reconstruction de cette réalité dans un système symbolique (Abric, 2003 : 11).» Cette organisation signifiante intègre les caractéristiques de l’objet et les expériences antérieures du groupe en question. Par la représentation, un processus inhabituel devient familier et habituel (Cavallo & Iannaccone, 1993). En psychologie sociale, les représentations possèdent une dimension en devenir et renvoient à un processus et au produit d’une élaboration psychologique et sociale du réel (Roussiau & Bonardi, 2001). Donc, les représentations sont ancrées dans le contexte social et sont influencées par les rapports sociaux. En étant pourvues d’attentes, de contenus

mentaux, de jugements sur les groupes sociaux et les individus, elles précèdent les rapports sociaux (Palmonari & Doise, 1986) et participent dans leur dynamique pour guider leur déroulement. Valence (2010) souligne que ce processus serait en quelque sorte des processus de régulation de la situation conflictuelle. Bref, comme processus d‘appropriation et d’interprétation de la réalité ou comme produit constitué entre deux groupes, une représentation est produite par rapport à quelqu’un ou à un enjeu social.

Quant à la perception, malgré la présence d’une abondante littérature la traitant sous différents angles, ce concept est peu défini dans la documentation scientifique. Toutefois, la «représentation», relevant de réalités construites se distingue de la «perception» qui s’appuie sur des connaissances intuitives (Delorme, 2003; Délorme & Flückiger, 2003). Comme activités sensorielles, la perception renvoie à un processus dynamique pouvant diverger d’un individu à l’autre selon son milieu ambiant, ses attentes et sa réalité (Legendre, 2005).

Ainsi, comme dans tous les domaines, dans le cadre de la collaboration école-famille, des jugements préconçus, socialement structurés, sont à l’origine de la plupart des situations conflictuelles vécues dans des relations interpersonnelles. Selon Périer (2005), les représentations construites et utilisées dans les rapports des groupes sociaux justifient en partie le différend qui régit le rapport entre le personnel scolaire et les parents et définissent les normes qui régissent les relations vécues avec ces parents, notamment en contexte de défavorisation. Selon Thin (1998), bien avant de prendre contact avec les familles, dans bien des cas, les enseignants se forgent souvent une image des parents. L’auteur a essayé de comprendre le sens sociologique des relations vécues entre le personnel scolaire et les parents, suite à des entrevues croisant le regard de parents, d’enseignants et d’intervenants en milieux scolaires défavorisés en France. Il explique que, pour certains enseignants, il suffit d’observer les comportements des élèves à l’école pour cataloguer les parents. Selon l’auteur, les familles défavorisées apparaissent dans les discours des acteurs scolaires comme dépourvues de tout savoir et de toute référence culturelle pour aider leurs enfants dans leur processus d’apprentissage. Les enseignants véhiculent un discours disqualifiant et

dévalorisant : 58 % de ceux interviewés dans l’étude jugent les parents démissionnaires, 46 % évoquent leur manque d’autorité et 75 % leur attribuent les difficultés scolaires des élèves. De telles représentations condamnent les parents d’être à l’origine de tous les troubles psychopédagogiques et comportementaux décelés chez les élèves. Elles induisent également chez les enseignants qui les ont des attitudes de distanciation à l’égard des parents concernés (Dom & Verhoenven, 2006; Duru-Bellat & van Zanten, 2006; Manz, Mautone, & Martin, 2009; Périer, 2005; van Zanten, 2001, 2003).

Dans d’autres cas, néanmoins, lorsque l’image intériorisée est positive, les attitudes du personnel scolaire se dessinent autrement à l’égard des parents. Les enseignants témoignent de la confiance dans la capacité des parents d’intervenir adéquatement pour soutenir l’apprentissage de leurs enfants et font preuve d’une grande compréhension des difficultés éprouvées par les familles (Sheridan, & al., 2004). De telles attitudes tendent à renforcer chez les élèves leur capacité à surmonter les difficultés scolaires. Les chercheurs remarquent, toutefois, que les schèmes de pensées des parents et enseignants s’améliorent à mesure qu’ils progressent dans leurs échanges de discussion.

Pour ce qui est des parents, certains peuvent être sur la défensive face au personnel scolaire, en réaction à des attitudes qu’ils jugent « stigmatisantes » et « discriminatoires » à leur endroit (Henriot-Van Zanten, 1996; Lareau & Horvat, 1999). D’autres, au contraire, considèrent l’école comme un lieu de socialisation complémentaire aux actions éducatives des familles et perçoivent les enseignants comme des professionnels compétents capables de faire acquérir des savoirs et faire réussir leurs enfants (Favre, & al., 2004; Pujol & Gontier, 1998). Ces parents perçoivent leur collaboration avec le personnel scolaire comme favorable à l’amélioration de la qualité de l’éducation offerte à leurs enfants.

Il semble évident que les représentations réciproques tendent à influencer les attentes réciproques (Merton, 1948; Räty, Leinonen, & Snellman, 2002; Rosenthal & Jacobson, 1968; Seyfried & Chung, 2002). Monceau (2008) parle de la préoccupation des enseignants de voir les parents se transformer en parents d’élèves. Ils souhaiteraient une présence parentale à l’école qui s’informe sur la scolarité des enfants. Les attentes des enseignants ne

sont pas toutefois similaires à tous les niveaux scolaires. Selon Deslandes & Rousseau (2007), au secondaire, les enseignants attendent des parents un suivi serré des jeunes dans la gestion de leur temps, alors qu’au primaire, ils sollicitent un accompagnement dans les devoirs à domicile. Toutefois, malgré l’importante de l’implication parentale dans des devoirs, pour la réussite des élèves, ces tâches assignées à l’élève par l’enseignant pour réaliser en dehors des heures de classe constituent le plus souvent une importante source de tension entre l’école et la famille (Francis, 2008; Francis & Milova, 2011; Glasman, 2005) et ne semblent pas non plus rallier la communauté scientifique (Chouinard, Archambault, & Rheault, 2006). Une étude de Girardin & Schmutz (2014) montre en effet que les enseignants partagent l’idée liée quant à la pertinence de cette pratique pédagogique pour les élèves, mais ils tiennent pour acquis que les parents doivent comprendre les logiques scolaires et s’approcher de l’école. Toutefois, les auteurs relèvent des contraintes liées au contexte et au faible capital familial qui freinent la disponibilité de certains parents et limitent les actions pour encadrer leurs enfants dans des devoirs et leçons. Rubie-Davies, Hattie & Hamilton (2006) montrent, par ailleurs, que lorsque les attentes sont explicitement formulées, elles influencent positivement la réussite des élèves.

Les parents, quant à eux, indépendamment de leur condition ou de leur position sociale, s’attendent à être informés du vécu scolaire de leurs enfants et attendent que le personnel scolaire soit compétent. Dans une étude de Prévôt (2008), 81 % des 2492 parents questionnés expriment leur grand désir d’être informés du fonctionnement de leurs enfants à l’école, de leurs droits et de leurs devoirs comme parent face à l’école. Une recherche de Kanouté (2007) en milieux défavorisés souligne le désir des parents de voir le milieu scolaire se transformer en un univers convivial où chaque enfant est reconnu et respecté dans sa singularité et où le parent se sent accueilli. Bref, les parents souhaitent avoir plus de détails sur le vécu quotidien des établissements scolaires pour être plus au courant des besoins de leurs enfants. En plus de leur soif d’information, un besoin de formation est aussi manifesté chez certains parents pour mieux faire face à la parentalité. Toutefois, selon une étude de (Goutard, 2010), ce besoin se révèle plus intense chez les parents de jeunes enfants.