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Le problème de la pitié

Dans le document Nietzsche et le problème de la souffrance (Page 97-105)

Chapitre 2 – Volonté de puissance et souffrance

2.3.2 Le problème de la pitié

Afin de mieux comprendre ce que signifie le discours de Zarathoustra sur la pitié, nous devons faire un retour à la deuxième période (1876-1882) de l’œuvre de Nietzsche421.

À cette époque, notamment dans l’aphorisme §133 d’Aurore que nous trouvons exemplaire pour notre propos, il a pour but la déconstruction de la morale de Schopenhauer qui pense

417 Zara, De l’homme supérieur, §11, p. 365. 418 Ibid., Des miséricordieux, p. 107-108. 419 Ibid., De l’homme supérieur, §3, p. 360-361. 420 Ibid., De la vertu amoindrissante, §3, p. 212. 421 Goedert, p. 161.

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que seules les actions altruistes peuvent être appelées morales422. Nietzsche s’attaque à

cette conception en mettant de l’avant une panoplie de raisons qui sont susceptibles d’inciter quelqu’un à porter secours à autrui, ou simplement à le prendre en pitié, afin de montrer que la compassion n’est pas ce que Schopenhauer croit qu’elle est, c’est-à-dire un acte purement désintéressé, altruiste et bon423. Nietzsche rejette tout d’abord la possibilité

de participer immédiatement à la souffrance d’autrui424. Une simple expérience en la

matière nous renseigne sur cette impossibilité. Schopenhauer croit que l’homme peut vivre la souffrance d’autrui « en lui425 » par l’abolition du principe d’individuation426. La

suppression de la barrière entre « moi » et « autrui » a ainsi un caractère métaphysique chez Schopenhauer : il pense que notre être « en soi » est identique à la « volonté universelle »427. Or, pour Nietzsche, toute interprétation métaphysique est désormais

422 Goedert, p. 144. Pernin, p. 243 : « L’importance de la pitié ne nous surprendra pas. Si la souffrance est le fond de toute vie, vouloir faire du bien à autrui, c’est essentiellement compatir à ses souffrances et tenter de les soulager ». Schopenhauer, Le fondement de la morale (FM), trad. Burdeau, A., Le livre de poche, Classiques de la philosophie, 1991, §18, p. 180 : « Mais qu’une action bienfaisante vienne à avoir quelque autre motif, elle ne peut désormais être qu’égoïste, si ce n’est même méchante ». Et §19, p. 184-185 : « La vérité que je viens d’exprimer, que la pitié, étant le seul motif pur d’égoïsme, est aussi le seul vraiment moral ».

423 Ironiquement, Schopenhauer n’a pas poussé assez loin son doute alors qu’il écrit dans Le fondement de la morale : « ce que l’expérience saisit, c’est l’acte seulement; les motifs échappent au regard : il reste donc toujours possible que dans un acte de justice ou de bonté, un motif d’égoïsme ait eu sa part ». FM, §15, p. 150. VP, tome 1, livre 1, §256, p. 117, 1884. Aurore, livre 2, §133, p. 110-111.

424 FM, §18, p. 180 : « la part que je prends immédiatement au mal d’autrui avec plus ou moins de vivacité et d’émotion […] La participation aux maux d’autrui, participation immédiate, qui n’est pas longuement raisonnée et qui n’en a pas besoin ». Aurore, livre 2, §133, p. 111-112.

425 FM, §18, p. 183 : « la barrière entre le moi et le non-moi se trouve pour un instant supprimée : alors seulement la situation d’un autre, ses besoins, sa détresse, ses souffrances me deviennent immédiatement propres : je cesse de le regarder, ainsi que l’intuition empirique le voudrait, comme une chose qui m’est étrangère, indifférente, étant distincte de moi absolument; je souffre en lui, bien que mes nerfs ne soient pas renfermés sous sa peau. […] Ce phénomène est, je le répète, un mystère ». Pernin, p. 243 : « C’est dans la personne de l’autre que nous souffrons, nous avons abandonné la nôtre : c’est “sa” douleur qui devient nôtre. […] La pitié réalise cet échange métaphysique par lequel nous réalisons que notre être véritable est en dehors de notre être phénoménal dans un autre être, dont les souffrances alors deviennent nôtres ».

426 FM, §22, p. 233 : « la multiplicité, la division n’atteint que le phénomène; et c’est un seul et même être qui se manifeste dans tout ce qui vit. Ainsi ce n’est pas quand nous supprimons toute barrière entre le moi et le non-moi que nous nous trompons : c’est bien plutôt dans le cas contraire. […] L’autre, comme nous l’avons vu, fait le fond même du phénomène de la pitié : la pitié n’en est que la traduction en fait. Ce serait donc là la base métaphysique de la morale; tout se réduirait à ceci : qu’un individu se reconnaîtrait lui-même et son être propre, en un autre ». Voir aussi les pages 234-235.

427 Goedert, p. 145. FM, §21, p. 222. Au §22, p. 226, Schopenhauer affirme clairement que ce qu’il explique ne repose sur aucune expérience possible. FM, §22, p. 229 : « Le substrat lui-même de toute cette apparence, l’être en soi, l’être intérieur, celui qui veut et qui connaît, nous est inaccessible […] cette grande et essentielle partie qui demeure pour nous voilée et inconnue. Pour celle-là, il est du moins possible qu’elle soit en nous tous comme un fond unique et identique ». Voir aussi les pages 230-231.

85 écartée pour expliquer la pitié428. Une « union dans la souffrance429 » avec autrui, dans

l’optique où chacun éprouverait exactement le même contenu affectif, est tout simplement une mauvaise interprétation.

Comment serait-il possible de ressentir la souffrance d’autrui430 ? En 1885, soit dans

Ainsi parlait Zarathoustra, c’est là un faux problème pour Nietzsche, car toute souffrance

est éminemment personnelle : « À chaque âme appartient un monde à part ; à chaque âme, chacune des autres âmes est un outre-monde431 ». Il en va ainsi en raison de la structure

même de l’affectivité : le sentiment de soi-même est refermé sur lui-même et n’est pas accessible à autrui. Toute forme d’affectivité est un « se sentir soi-même », c’est-à-dire une auto-affection de la chair432. Lorsqu’on sait qu’autrui souffre, on va peut-être soi-même en

souffrir, mais on ne ressent pas sa souffrance comme lui-même la ressent433. En 1881 dans

Aurore, il est déjà clair qu’on ne peut pas avoir accès à l’affectivité d’autrui : « Que

comprenons-nous donc de notre prochain, sinon ses frontières, je veux dire ce qui lui permet en quelque sorte de s’inscrire et de s’imprimer sur nous et en nous? Nous ne comprenons rien de lui, sinon les modifications qu’il provoque en nous434 ». En ce sens, la

peine dont nous souffrons devant le spectacle interprété comme étant la souffrance d’autrui435 ne devrait pas être appelée compassion, au sens de « com-pâtir » ou de « souffrir

avec ». Nous ne pensons pas que Nietzsche adhère pour autant à la doctrine selon laquelle la seule réalité serait celle de l’ego. Nous avons bien vu au début de ce chapitre que

428 Goedert, p. 146.

429 Aurore, livre 1, §63, p. 56 : « ce que Schopenhauer nomme compassion, et qui s’appellerait plus justement union dans la souffrance, unité de souffrance ».

430 FM, §19, p. 203.

431 Zara, Le convalescent, §2, p. 274.

432 Henry, Michel, La barbarie, PUF, Quadrige, 1987/2008, p. 3. Nous reprenons ici l’interprétation de l’affectivité de Michel Henry comme épreuve de soi-même. Voir aussi le chapitre sur Nietzsche dans Généalogie de la psychanalyse. Le commencement perdu, PUF, Collection "Epiméthée", 1985. La vie comme auto-affection est un thème que nous pouvons aussi retrouver dans l’article de Michel Henry « Qu’est-ce que cela que nous appelons la vie? », Philosophiques, Vol. 5, N°1, 1978, pp. 133-150, p. 143.

433 Aurore, livre 2, §133, p. 111 : « Il est trompeur d’appeler com-passion (Mitleid) la souffrance que nous cause un tel spectacle et qui peut être de nature très variée, car dans tous les cas c’est une souffrance dont celui qui souffre devant nous est exempt : elle nous appartient en propre, comme lui appartient la sienne ». 434 Aurore, livre 2, §118, p. 99.

435 FM, §18, p. 179 : « bien que la cause en soit toute mystérieuse, la pitié atteint un second degré : alors la souffrance d’autrui devient par elle-même, et sans intermédiaire, le motif de mes actes ».

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l’affectivité elle-même dépend d’une excitation, c’est-à-dire d’une donation étrangère à l’ego436. Ainsi, ce n’est pas parce l’auteur soutient qu’autrui et ego ont leur propre

affectivité, que leur chair s’auto-affecte, qu’il souscrit à la thèse du solipsisme.

Le « partage » d’un sentiment ou d’une émotion nécessite la médiation du langage et du signe. La pitié est un état d’âme de nature affective qui, comme tout sentiment, est essentiellement déterminée par l’élément intellectuel qu’il contient. Ce que nous appelons la « souffrance d’autrui » est médiatisé par nos impressions et notre propre perspective. Il y a toute une série de processus qui sont nécessaires pour pouvoir ressentir de la pitié. Il y a la perception des sens, qui présuppose toute une histoire dans laquelle cette perception s’est formée, dans laquelle les signes communs qui symbolisent la souffrance dans le visage et les gestes du corps, ou encore les plaintes et les cris, doivent apparaître. Cette perception doit encore être interprétée et synthétisée afin qu’un jugement tel que « cette personne souffre » soit possible. Enfin, c’est seulement par cette prise de conscience que notre propre souffrance et pitié sont ressenties et en fonction desquelles nous tentons par la suite de porter secours à autrui. Comprendre qu’autrui souffre dépend de la sollicitation de notre propre capacité affective. La souffrance d’autrui demeure donc toujours à distance, puisqu’elle dépend à la fois d’un rapport cognitif qui interprète le contexte dans lequel autrui se trouve ainsi que d’une mise à contribution de notre propre affectivité qui est ensuite transposée par la pensée sur la situation d’autrui. Toute compassion est issue d’une médiation, d’une certaine distance qui nécessite des processus interprétatifs qui permettent, à terme seulement, un rapprochement sur le plan affectif avec autrui. Pour Nietzsche, c’est l’imagination qui permet, entre autres choses, de ressentir ce qu’on nomme communément de la compassion437.

En 1882, dans le Gai savoir, Nietzsche affirme que notre souffrance est éminemment personnelle et qu’elle demeure, dans la plupart des cas, dissimulée pour

436 Stiegler, p. 82.

87 autrui : « Ce dont nous souffrons de la manière la plus profonde et la plus personnelle est incompréhensible et inaccessible pour presque tous les autres : en cela nous sommes cachés au prochain438 ». En conséquence, ce qui est éminemment personnel risque d’être

incompréhensible pour autrui439. Aucune personne ne peut vivre la souffrance à la place de

celui qui souffre et seuls les amis les plus proches peuvent approcher ce que nous vivons affectivement, sans pour autant être en mesure de le vivre sans distance avec nous440. De

plus, la souffrance éprouvée s’avère difficilement communicable, souffrir c’est d’abord être seul dans sa souffrance. Même si la communication de ce que nous vivons affectivement est possible et qu’autrui peut éprouver des émotions qui ressemblent aux nôtres par cette occasion, la barrière entre soi et autrui est ultimement infranchissable : autrui ne peut pas prendre sur lui-même notre souffrance, bien qu’il puisse nous assister et tenter de se mettre à notre place. Autrui peut interpréter notre situation affective par la médiation de la connaissance, mais cela ne lui permet pas de partager notre affectivité441. Déjà en 1878

dans Humain, trop humain, Nietzsche mentionne que la souffrance d’autrui est quelque chose qui doit s’apprendre, mais qui ne peut toutefois jamais être totalement comprise442.

Pour Nietzsche, même dans l’acte d’aider autrui, nous pensons à nous-mêmes à tout le moins d’une manière inconsciente, ce qui fait que les actes dits altruistes sont encore égoïstes443. Il écrit que nous décidons parfois de nous comporter en héros, en venant au

secours d’autrui, afin de contrecarrer notre impuissance, pour réclamer des approbations, ou encore afin de s’arracher à l’ennui. L’acte inspiré par la compassion, agir pour le bien-être des autres, peut aussi être le masque d’une tentative d’échapper à la souffrance causée à la

438 GS, livre 4, §338, p. 314. 439 HTH, 1, §81, p. 71.

440 Zara, De l’amour du prochain, p. 73. GS, livre 4, §338, p. 317. Voir p. 96 de ce mémoire.

441 Elle ne peut pas être ressentie d’une manière immédiate, même par le biais de la connaissance. La position de Schopenhauer présuppose un fond unique dans lequel tous les hommes peuvent se rejoindre affectivement. Or, si nous rejetons ce fond affectif unique, soit la « volonté », il semble désormais que le seul moyen de s’identifier à la souffrance d’autrui se limite à un acte de connaissance, ce qui ne peut justement pas correspondre avec une expérience directe de la souffrance d’autrui. Cette citation est exemplaire à ce titre : « Mais je ne peux me glisser dans la peau d’autrui : le seul moyen où je puisse recourir, c’est donc d’utiliser la connaissance que j’ai de cet autre, la représentation que je me fais de lui dans ma tête, afin de m’identifier à lui, assez pour traiter, dans ma conduite, cette différence comme si elle n’existait pas ». FM, §16, p. 156. 442 HTH, 1, §101, p. 83.

443 Aurore, livre 2, §133, p. 110 : « dans la compassion […] nous ne pensons plus à nous consciemment, certes, mais inconsciemment nous y pensons fortement ».

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suite du spectacle de la souffrance d’autrui. Dans ce cas, il semble que ce soit seulement notre douleur personnelle que nous tentons de surmonter et de vaincre par ces actes de compassion. D’un autre côté, Nietzsche écrit dans Aurore que nous cédons aussi parfois à une impulsion de plaisir en agissant de la sorte444.

La compassion découle, selon Nietzsche, principalement de la peur et du désir de puissance, qui sont tous deux des motifs égoïstes. Premièrement, Nietzsche interroge l’origine de la sympathie et pense la retrouver dans le sentiment qui caractérise l’homme au plus haut point dans la nature : c’est la peur qui a engendré la compréhension vive des situations dangereuses. La sympathie peut être interprétée comme une compréhension rapide du sentiment de l’autre par le biais de l’imitation445. Nietzsche pense d’ailleurs

discerner derrière la morale actuelle, qui commande que les actions morales soient altruistes, un puissant instinct grégaire de peur qui se masque : « cet instinct réclame, comme le but suprême, majeur, immédiat, que l’on enlève à la vie tous les aspects dangereux qu’elle possédait autrefois, et que chacun travaille de toutes ses forces pour ce résultat446 ». En d’autres termes, cette morale n’est que l’expression d’un désir de sécurité

pour certains : seule une vie décadente peut véritablement souhaiter une telle chose447. On

en vient à appeler « bon » uniquement les actions qui renforcent la sécurité du groupe, et

444 Aurore, livre 2, §133, p. 111 : « le plaisir naît à la vue d’un négatif de notre situation, à l’idée que nous pourrions venir en aide si nous le voulions, à la pensée des louanges et de la reconnaissance […] la réussite progressive permet à son auteur d’avoir plaisir à lui-même, mais surtout du sentiment que notre action met un terme à une injustice révoltante ».

445 Ibid., §142, p. 118. 446 Ibid., livre 3, §174, p. 136.

447 Deleuze, p. 172 : « Qu’est-ce que la pitié? Elle est cette tolérance pour les états de vie voisins de zéro. La pitié est amour de la vie, mais de la vie faible, malade, réactive. Militante, elle annonce la victoire finale des pauvres, des souffrants, des impuissants, des petits. Divine, elle leur donne cette victoire. Qui éprouve la pitié? Précisément celui qui ne tolère la vie que réactive, celui qui a besoin de cette vie et de ce triomphe, celui qui installe ses temples sur le sol marécageux d’une telle vie. Celui qui hait tout ce qui est actif dans la vie, pour l’opposer à elle-même ». La maladie et la faiblesse rendent doux. Cette douceur décadente, à ne pas confondre avec la douceur de la santé renaissante (Aurore, livre 2, §114, p. 95), est pour Nietzsche le symptôme d’une vie affaiblie. Le faible déguise ses manques et veut faire passer sa douceur pour un acte «bon », mais c’est en réalité, en raison de sa faiblesse, la seule action qui lui permet de se conserver : « La “religion de la pitié”, dont on voudrait nous convaincre ̶ oh, nous connaissons bien ces petits bonhommes et ces petites bonnes femmes hystériques qui aujourd’hui ont précisément besoin de cette religion comme voile et comme fard! ». GS, livre 5, §377, p. 397.

89 ce, au détriment des individus forts448. Le besoin du faible est celui de la protection, il

désire le sentiment de sécurité. Il ne peut pas se permettre de courir de risque, contrairement au fort. Au fait, la religion de la compassion en cache une autre plus profonde qui est « la religion du confort449 ». Dans le Gai savoir, Nietzsche critique cet

idéal de sécurité et de confort en ce qu’il ne permet, par l’élimination à tout prix de la souffrance et du danger, qu’un petit bonheur450. Le problème c’est que la pitié conserve ce

qui est mûr pour le dépérissement451. Notons que Nietzsche condamne vivement cette

situation dans l’Antéchrist lorsqu’il affirme que la pitié découle d’un instinct qui est « tant comme multiplicateur de la misère que comme conservateur de toute misère, un instrument capital d’accroissement de la décadence452 ».

Deuxièmement, le faible veut aussi se sentir plus fort, mais c’est là un désir qui se rattache à son narcissisme. Nietzsche pense que nous pouvons éprouver de la satisfaction par la comparaison de notre état avec les malheurs de notre prochain453. En ce sens, on est soulagé

de ne pas être la personne qui est en mauvaise posture, blessé ou en danger, mais il faut aussi comprendre cet état comme un sentiment de puissance. Nietzsche veut montrer que la bienveillance n’a pas nécessairement pour motif la réalisation du bonheur d’autrui. Cette bienfaisance peut simplement découler d’un besoin qui veut être satisfait454. Dans la

troisième période (1882-1889) de son œuvre, la compassion est envisagée par Nietzsche comme un produit du ressentiment et vise la vengeance455, soit une forme d’agression qui

répond à une frustration. Les frustrations d’une vie pauvre et d’une infériorité par rapport

448 Ure, Michael, « The Irony of pity : Nietzsche contra Schopenhauer and Rousseau », The Journal of Nietzsche Studies, issue 32, autumn 2006, pp. 68-91. Pages 81-83.

449 GS, livre 4, §338, p. 315. 450 Ibid.

451 Aurore, livre 2, §136, p. 114 : « La pitié devient le remède contre le suicide, en tant qu’elle recèle un plaisir et fait goûter par petites doses un sentiment de supériorité ».

452 AC, §7, p. 50.

453 Aurore, livre 4, §224, p. 175 : « Il est dans le malheur, et voici qu’arrivent les “compatissants” qui lui dépeignent son malheur, ̶ à la fin ils s’en vont satisfaits et exaltés : ils se sont repus de l’épouvante du malheureux comme de leur propre épouvante et ils ont passé une bonne après-midi ».

454 Ibid., §334, p. 207 : « Le bienfaisant satisfait un besoin de son âme quand il fait le bien. Plus ce besoin est fort, moins il se met à la place de l’autre, qui lui sert à apaiser son besoin, il devient rogue et blessant à l’occasion ».

455 Nous sommes ici loin de ce que Schopenhauer avait en tête lorsqu’il écrivait que la pitié était le contraire de la cruauté! Voir en ce sens FM, §19, p. 187.

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aux forts engendrent un esprit de vengeance456. Le compatissant manque de pudeur, car il

veut jouir du sentiment de supériorité que lui procure la compassion, mais ce faisant, il veut aussi l’humiliation de celui qui en est l’objet457. Cette sorte de pitié ressemble à une

revanche, c’est un chemin détourné de la volonté de puissance. La compassion du faible mène droit au cœur de celui qui est plus fort, et ce, afin de le dominer458. À l’inverse, un

homme souffrant et qui est encore rempli de fierté voit comme une injure qui le rabaisse toute compassion que les autres lui témoignent. Le fait de porter atteinte à la fierté d’autrui par l’acte de compassion risque fort d’engendrer du ressentiment chez l’autre plutôt que de la gratitude. Aussi Zarathoustra affirme :

l’homme au cœur noble s’impose de ne jamais humilier personne; il s’impose une juste honte en présence de tout ce qui souffre. En vérité je ne les aime point, ces

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