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démocratie directe

C. Le principe de l’unité de la matière

Le principe de l’unité de la matière dans le domaine du référendum financier a été établi par la jurisprudence du Tribunal fédéral (1.). Les juges cantonaux puisent directement dans les principes que la Haute Cour a dégagés (2.).

1. La jurisprudence du Tribunal fédéral

Le principe de l’unité de matière dans le domaine du référendum financier s’adresse aux autorités dont le devoir est de définir les objets soumis au scrutin populaire. Il n’a donc pas la même signification qu’en matière d’initiative populaire, où il s’adresse aux citoyens qui formulent l’initiative787.

Ce principe trouve son fondement dans le fait que les citoyens doivent pouvoir avoir une vue d’ensemble de la portée du projet. C’est seulement de cette manière qu’ils peuvent savoir s’ils considèrent le projet comme

785 Message du Conseil fédéral concernant une garantie de déficit en faveur de l'exposition nationale 2002 du 23 février 2000, FF 2000 p. 1994 et 1999.

786 Bulletin du Grand Conseil du canton de Vaud, séance du 13 novembre 2000, p. 4006.

787 AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 860, voir supra Titre deuxième, chapitre I C.4.

souhaitable au vu de la situation financière de l’Etat788. Le Tribunal fédéral l’a déduit de la liberté de vote garantie à l’article 34 al. 2 Cst. et considère les exigences qui en découlent comme une garantie minimale du droit fédéral que les autorités cantonales doivent appliquer strictement789. En l’absence d’une disposition spécifique du droit cantonal, le principe de l’unité de la matière découle ainsi directement du droit constitutionnel fédéral790.

Comme l'autorité jouit d'une importante marge de manœuvre pour décider si des crédits doivent ou non être intégrés dans un seul et même décret791, le principe de l’unité de la matière tend à empêcher deux types de situation : la division d’un crédit formant un tout en plusieurs parties (1.1) et le regroupement de plusieurs crédits sans lien entre eux (1.2).

1.1 La division d’un crédit en plusieurs parties

Le principe de l’unité de la matière exige qu’une dépense formant un tout ne soit pas scindée artificiellement en deux ou plusieurs parties dont aucune n’atteindrait la limite référendaire, de manière à éluder le référendum financier792. Il interdit de scinder de manière artificielle, dans le but de les soustraire indûment au vote populaire, des objets interdépendants ou qui ont un but commun qui les réunit par un lien réel et objectif793. Le décret d’octroi de crédit doit être soumis au référendum financier pour la totalité de la dépense.

Toutefois, à certaines conditions, l’échelonnement d’un projet est admissible. Ainsi, le Tribunal fédéral dit qu’ « il n'y a pas d'obstacle juridique à ce qu'un projet soit subdivisé lorsque les attributions respectives des diverses autorités ne sont pas modifiées et lorsqu’il y a une raison objective de procéder séparément à la réalisation de chaque étape ; dans ces conditions, les électeurs ne sont pas privés, une fois la première décision prise, du droit de se prononcer sur les étapes ultérieures »794.

Dans cette optique, les juges fédéraux ont jugé que deux crédits relatifs à une même manifestation peuvent ne pas être additionnés s’ils se rapportent à des objets suffisamment indépendants entre eux795. Tel est le cas de deux décrets distincts soumis au référendum facultatif pour des crédits destinés à la participation du canton de Vaud à l'Exposition nationale. Le premier décret tend à créer un fonds spécial de 2 millions de francs pour financer les activités

788 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.123/2002 du 25 juin 2003, consid. 3.1, in : ZBl 2004, p. 253.

789 Idem, consid. 3.2.

790 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.805/2000 du 9 mai 2001, consid. 2 c/ aa.

791 Idem, consid. 2 c ; GRAF (1989), p. 53.

792 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.123/2002 du 25 juin 2003, consid. 3.1, in : ZBl 2004, p. 253 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P805/2000 du 9 mai 2001, consid. 2 c/ aa ; ATF 118 Ia 184, consid. 3b ; ATF 112 Ia 221, consid. 2 b/ bb.

793 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.123/2002 du 25 juin 2003, consid. 3.1, in : ZBl 2004, p. 253.

794 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.805/2000 du 9 mai 2001, consid. 2 c/ aa.

795 Ibidem.

qui se dérouleront dans le cadre de l'Exposition nationale, lors de la journée cantonale vaudoise ; le second décret fixe les crédits nécessaires pour que le canton de Vaud assume pendant la durée de la manifestation sur son territoire les dépenses en matière de sécurité, de protection de l'environnement, d'aménagements routiers et d'animation. Comme le Grand Conseil vaudois était libre de renoncer à l'organisation de la journée cantonale vaudoise sans que cela ne remette en cause les engagements pris par le canton de Vaud à l'égard d'Expo.02 dans les quatre domaines faisant l'objet du second décret, et comme il aurait en principe également pu refuser de prendre en charge les frais liés à l'organisation de la manifestation sur son territoire tout en décidant de financer une journée cantonale vaudoise à l'Expo.02796, les crédits litigieux concernent des objets qui présentent entre eux une indépendance suffisante pour que le Conseil d'Etat puisse décider, sans excéder la marge d'appréciation qui lui est reconnue, de ne pas les soumettre au Grand Conseil dans le cadre d'un seul et même décret797.

De même, le Tribunal fédéral n’exclut pas, que dans certains projets de construction, différentes dépenses soient séparées, par exemple lorsqu’elles sont relativement espacées dans le temps ou lorsque chaque étape représente en soi une réalisation utilisable, indépendante et cohérente798. La liberté des citoyens de se prononcer pour ou contre les étapes ultérieures subsiste.

Lorsque des crédits, destinés à des projets poursuivant un but commun, doivent être accordés successivement au cours d'une longue période et qu'ils apparaissent à tel point indépendants les uns des autres qu'une décision commune n'est plus justifiée, les investissements peuvent être autorisés par étapes, sans violer le principe de l'unité de la matière799.

Ainsi, un projet d’élargissement d’une route et d’aménagement d’une piste pour piétons et cyclistes dans le canton de Zurich, divisé en tronçons nécessitant chacun des crédits inférieurs à la limite fixée pour le référendum financier, est admissible, car chacune des étapes représente une réalisation indépendante, cohérente et utilisable. Les tronçons pris séparément peuvent être utilisés sans que toute la route dans son ensemble soit terminée. En outre, lors de la réfection d’une route, les besoins d’entretien représentent un critère objectif pour le choix des priorités et la délimitation de différentes étapes de réalisation des travaux. Ces critères objectifs permettent d’assurer que la division n’a pas été opérée en vue d’éluder le référendum800.

En revanche, dans le canton de Berne, s’agissant d’un projet de construction d’une route cantonale pour desservir l’aéroport de Berne-Belp, le

796 ATF 110 Ia 183 consid. 4 p. 188 ; Bulletin du Grand Conseil du canton de Vaud, séance du 7 novembre 2000, p. 3941 ss.

797 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.805/2000 du 9 mai 2001, consid. 2 c/ aa.

798 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.123/2002 du 25 juin 2003, consid. 3.1, in : ZBl 2004, p. 253 ; ATF 118 Ia 184, consid. 3b.

799 Arrêt du Tribunal fédéral 1P805/2000 du 9 mai 2001, consid. 2 c/ aa ; ATF 118 Ia 184, consid. 3b = JdT 1994 I 136.

800 ATF 118 Ia 184, consid. 3b = JdT 1994 I 136.

Grand Conseil a séparé le tronçon en deux étapes, objets de décisions de crédit distinctes. Un premier crédit de 3,6 millions a été décidé pour le tronçon Giessenbad-Aéroport et un second de 9,2 millions pour le tronçon Kreisel Linde-Giessenbad. Le second crédit soumis au référendum facultatif a été rejeté par le peuple. Des recourants ont alors porté devant le Tribunal fédéral le premier crédit qui a échappé au scrutin populaire. Ils ont fait valoir une violation du principe de l’unité de la matière, arguant que les deux crédits auraient en réalité dû être traités conjointement. Le Tribunal fédéral les a suivis et a jugé que les deux crédits auraient dû être cumulés pour trois raisons : ils ont été présentés le même jour (« relation temporelle étroite », enger zeitlicher Zusammenhang), la discussion s’est faite conjointement pour les deux crédits (« relation matérielle étroite », enger sachlicher Zusammenhang), la procédure d’acceptation de la planification formait un tout (« relation juridique étroite », enger rechtlicher Zusammenhang)801. Il a été conforté dans son raisonnement par le droit cantonal bernois qui prévoit expressément que les dépenses qui se provoquent mutuellement et se trouvent dans une étroite relation matérielle et temporelle doivent être additionnées802.

1.2 Le regroupement de différentes demandes de crédit

Le principe de l’unité de la matière exige que le projet de dépense ne se rapporte pas à plusieurs objets, à moins que ceux-ci ne soient liés les uns aux autres ou qu’ils ne soient affectés à un but commun, ce qui crée entre eux un étroit rapport de connexité803. Il vise à empêcher que, pour des motifs de pure tactique électorale, l’autorité ne joigne en une seule décision susceptible de référendum des objets très différents sans lien objectif étroit entre eux804.

En application de ce principe, le Tribunal fédéral n’a pas permis au peuple de se prononcer sur un crédit portant sur la construction à la fois d’une école et d’un hôpital805.

Cette jurisprudence est toutefois nuancée comme le montre une affaire schwyzoise. Les travaux de rénovation et d’assainissement de l’île d’Ufnau, propriété du monastère d’Einsiedeln, ont fait l’objet d’un crédit unique. Un citoyen a estimé qu’ils auraient dû faire l’objet de deux crédits distincts, car le principe de l’unité de la matière était violé : celui se rapportant à l’aménagement de la rive et à la rénovation du restaurant avait pour but de créer un « temple gourmet », alors que celui portant sur la restauration de l’église suivait une finalité religieuse. Au contraire, les juges de Mon-Repos ont

801 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.123/2002 du 25 juin 2003, consid. 3. et 5, in : ZBl 2004, p. 253.

802 Art. 16 lit. d al. 2 Finanzhaushaltgesetz (FHG) du 10 novembre 1987, RS/BE 620.0.

803 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.557/2003 du 12 décembre 2003, consid. 3.

804 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.123/2002 du 25 juin 2003, consid. 3. 1, in : ZBl 2004, p. 253 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.805/2000 du 9 mai 2001, consid. 2 c/ aa.

805 ATF 90 I 74.

estimé que les travaux planifiés poursuivaient un même but de rénovation et d’assainissement et qu’une relation matérielle étroite les unissait806.

2. La jurisprudence cantonale

Le principe de l’unité de la matière est fortement imprégné de la jurisprudence fédérale. Dans tous les arrêts cantonaux qui s’y réfèrent, l’autorité cantonale saisie du recours effectue un rappel plus ou moins détaillé de la jurisprudence fédérale dans le domaine.

Ainsi, dans le canton de Bâle-Campagne, le Verfassungsgericht se réfère tout d’abord à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de construction pour conclure qu’un même projet peut contenir non seulement la construction d’une piste cyclable, mais également l’aménagement de trottoirs, sans violer le principe de l’unité de la matière807.

Dans le canton de Thurgovie, un projet qui visait une nouvelle organisation du secteur de la gare et qui touchait tous les utilisateurs de la route a été jugé admissible au regard du principe de l’unité de la matière808.

La même année, dans le canton de Zoug, un crédit pour un projet d’aménagement d’habitations prévoyait, d’une part, la transformation d’un bâtiment déjà existant et d’autre part, la construction de nouvelles habitations.

Le Tribunal administratif zougois a estimé qu’un tel crédit ne violait pas le principe de l’unité de la matière puisque la proposition poursuivait le même but, de sorte que l’étroite relation matérielle entre les différentes parties était réelle. Les citoyens peuvent se prononcer de façon générale sur un projet, il n’est pas nécessaire qu’ils prennent position séparément sur ses différentes parties809.

Quatre ans plus tard, le Conseil d’Etat bernois fait également un rappel de la jurisprudence fédérale avant de se prononcer sur le respect ou la violation du principe de l’unité de la matière dans l’affaire qu’il doit juger810. Les travaux d’entretien et de réparation de moulins ont fait l’objet de deux crédits différents. L’un des crédits était affecté à des mesures urgentes et nécessaires suite à un incendie et l’autre à des rénovations à long terme. Il a été jugé que ces deux crédits étaient suffisamment espacés dans le temps pour ne pas violer le principe de l’unité de la matière.

Le Tribunal administratif neuchâtelois a jugé que l’on peut saisir le corps électoral par un seul référendum de deux ou de plusieurs objets, pour autant

806 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.557/2003 du 12 décembre 2003, consid. 3.

807 Arrêt du Verfassungsgericht du 15 janvier 1992 disponible sur le site www.baselland.ch/gerichte.

808 Arrêt du Tribunal administratif thurgovien du 5 décembre 1990, in : TVR 1990, p. 62.

809 Arrêt du Tribunal administratif zougois du 5 avril 1990, in : GVP 1991/1992, p. 3 (7) : un recours de droit public pour violation des droits politiques contre cette décision cantonale a été rejeté par le Tribunal fédéral le 26 mars 1991.

810 Arrêt du Conseil d’Etat bernois du 5 avril 1994, in : JAB 1995, p. 1.

qu’ils soient étroitement interdépendants, réunis entre eux par un lien réel et objectif. Il s’agissait en l’espèce d’un référendum contre un arrêté portant sur l’octroi d’un crédit pour la réalisation d’une première étape du plan de circulation et la création d’un axe utilitaire pour les « deux-roues » et contre un arrêté portant sur l’octroi d’un crédit pour l’étude et la réalisation d’une première étape du plan directeur des aménagements cyclables comprenant notamment un axe utilitaire pour les « deux-roues ». Le juge cantonal se réfère au Tribunal fédéral, pour lequel le principe de l’unité de la matière est applicable comme tel et d’une manière générale à tous les cas où le peuple est appelé à voter811. Le Tribunal administratif en déduit que, dans le cas d’espèce, le principe de l’unité de la matière était suffisamment respecté, car les deux arrêtés prévoient la création d’un axe utilitaire pour les « deux-roues » et les dépenses sont étroitement interdépendantes. Peu importe que le plan de circulation comprenne différents éléments, dès lors que ces derniers, visant au même objectif, se trouvent liés par un rapport interne manifeste, de sorte qu’ils constituent un projet unique qui peut, comme tel et au même titre qu’une loi, être soumis au peuple812.

De même, le Conseil d’Etat soleurois a admis qu’un projet de construction pour la réalisation d’un centre communal pouvait contenir différents crédits sans violer l’unité de la matière813.

D. Le calcul du montant de la dépense et de la limite