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démocratie directe

C. Les conditions de validité de l’initiative

1. L’interprétation de l’initiative

1.3 L’interprétation in dubio pro populo

Last but not least, les juges de Lausanne rappellent que l’initiative doit être interprétée dans le sens le plus favorable aux initiants : le principe in dubio pro populo signifie que des textes desquels peuvent ressortir plusieurs interprétations toutes conformes au droit supérieur doivent être soumis au vote populaire en cas de doute323.

317 Arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2001, in : SJ 2001 I 253, consid. 2b ; ATF 125 I 21 (43) Grüne Bewegung Uri.

318 Voir infra chapitre D 3.

319 Arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2007 1P.387/2006, consid. 3.1.

320 ATF 133 I 110, consid. 2.5.

321 Voir infra chapitre 6.1.2.

322 ATF 133 I 110, consid. 7.3 ; ATF 121 I 334, consid. 2c.

323 ATF 133 I 110, consid. 2.5 ; ATF 130 I 134 (136) ; ATF 128 I 190, Michel Rossetti, consid. 4 ; ATF 125 I 227, consid. 4a ; ATF 111 Ia 292 "Für gerechtere Spitaltaxen".

Si les arrêts du Tribunal fédéral sont nombreux à évoquer le principe in dubio pro populo324, nous n’en avons trouvé aucun qui se fonde véritablement sur ce principe pour interpréter une initiative325. Seul un arrêt du Conseil d’Etat du canton de Soleure a admis un recours formé contre la décision d’invalidité d’une initiative communale prise par le conseil communal, en préconisant une interprétation in dubio pro populo326. Le conseil municipal avait invalidé une initiative qui demandait que soit édicté un règlement sur le bruit dans les stands de tir, au motif qu’elle n’entrait pas dans le champ des compétences dévolues au législatif et au peuple. Pour le Conseil d’Etat, l’expression litigieuse « städtisches Reglement » contenue dans le texte de l’initiative doit être interprétée de la façon la plus favorable aux initiants. La compétence d’édicter ce règlement doit revenir au législatif, malgré la délégation de compétence tacite à l’exécutif qui semblait prévaloir jusqu’à présent en la matière. L’interprétation in dubio pro populo permet de renverser cette présomption de compétence. L’initiative populaire porte dès lors sur un domaine de compétence relevant du législatif et doit être validée.

Une partie de la doctrine a émis des critiques à l’encontre de l’adage in dubio pro populo qui préconise, somme toute, la capitulation du juridique devant le politique327. En pratique, ce principe n’a toutefois que peu d’importance. Il est bien souvent éclipsé par le principe de l’interprétation conforme au droit supérieur qui est décisif328.

1.4 Appréciation

La mission d’interprétation qui incombe au juge est périlleuse. S’il interprète telle ou telle disposition d’une initiative dans un sens trop restrictif, il peut empêcher une initiative d’être soumise à votation populaire et se positionner en frein à l’expression populaire démocratique. Il doit, de ce fait, prendre garde à ne pas étouffer le fond par la forme. Au contraire, s’il se lance dans une interprétation large, il risque de violer le principe même de la liberté de vote (art. 34 al. 2 Cst.) qui garantit au citoyen le droit à la libre formation de l'opinion des citoyens et à l'expression fidèle et sûre de leur volonté. En effet, le fait de soumettre au peuple une question trop large ou imprécise à certains égards ne permet pas aux citoyens d’exprimer clairement leur volonté. Le juge doit donc veiller à ne pas semer de confusion auprès des électeurs. Il doit déployer tout son art pour effectuer cette délicate pesée des intérêts, et c’est

324 ATF 133 I 110, consid. 2.5 ; ATF 130 I 134 (136) ; ATF 128 I 190, Michel Rossetti, consid. 4 ; ATF 125 I 227, consid. 4a ; ATF 111 Ia 292 "Für gerechtere Spitaltaxen".

325 Notre période de recherche s’étend de 1990 à fin septembre 2007.

326 Arrêt du Conseil d’Etat du canton de Soleure du 22 février 1994, in : GER 1994, n° 1.

327 KÖLZ (1982), p. 43 et 44 : « Die Anwendung der in dubio pro populo -Regeln bedeutet daher letztlich eine Kapitulation der juristischen Hermeneutik vor der Politik, indem sie dem unbedachten Einfliessen von aus der Rechtsordnung nicht abzuleitenden Wertungen Vorschub leistet » ; voir également GIACOMETTI,KUTTLER, KÄGI, cités par KÖLZ (1982),p.44.

328 Cf. par exemple in : ATF 133 I 110 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.451/2006 du 28 février 2007 ; ATF 130 I 134.

somme toute pour cet exercice qu’il est formé. L’interprétation objective du texte de l’initiative, l’interprétation conforme à la Constitution et l’interprétation historique subjective fondée sur les travaux préparatoires sont autant d’aides qui se sont avérées indispensables. Même si, en pratique, il n’est souvent pas nécessaire d’appliquer l’adage in dubio pro populo pour décider de la validité d’une initiative litigieuse, ce principe a le mérite de rappeler que lorsque le juge doute, c’est au peuple de trancher.

Par ailleurs, les principes d’interprétation du Tribunal fédéral pour l’analyse des initiatives cantonales et communales sont semblables à ceux préconisés par le Conseil fédéral et le Parlement lors de l’examen de la validité des initiatives fédérales. Pour le Conseil fédéral, il y a lieu, en principe, de se référer à la lettre et non à la volonté subjective des auteurs de l’initiative329. Il ajoute souvent ensuite qu’« une éventuelle motivation de la volonté populaire [ainsi que] les opinions exprimées par les auteurs de l’initiative peuvent cependant être prises en considération. Si les circonstances qui ont donné lieu à une initiative peuvent certes également jouer un rôle pour l’interprétation, l’interprétation du texte lui-même se fait selon les règles reconnues en la matière »330. La pratique des juges de Lausanne a très certainement exercé une influence importante sur la pratique du Conseil fédéral et de l’Assemblée fédérale. Au niveau aussi bien fédéral, cantonal que communal, les initiatives doivent être déclarées invalides seulement en cas de violation manifeste du droit et doivent être interprétées dans un sens qui les sauve de l’invalidité331. 2. L’unité de la forme

Les initiatives populaires – cantonales et communales - peuvent se présenter, soit sous la forme d’un projet rédigé de toutes pièces, soit sous la forme d’une demande conçue en termes généraux. La règle de l’unité de la forme se déduit directement de la distinction entre ces deux formes qui suivent des voies différentes au niveau de la procédure332. En cas de projet rédigé (initiative formulée), le texte est soumis au peuple sans aucune altération ; le parlement peut toujours lui opposer un contre-projet. Dans le cas de la demande conçue en termes généraux, le parlement est libre d’exposer au vote, soit le vœu des

329 Cf. MCF relatif à l’initiative populaire fédérale « Droits égaux pour les personnes handicapées » du 11 décembre 2000, FF 2000, p. 1605 (1646 ss) ; MCF relatif à l’initiative populaire fédérale « Pour le versement au fonds AVS des réserves d’or excédentaires de la Banque nationale suisse (Initiative sur l’or) » du 28 février 2001, FF 2001, p. 1311 (1320) ; MCF relatif à l’initiative populaire fédérale « Services postaux pour tous » du 9 avril 2003, FF 2002, p. 2931 (2935) ; MCF relatif à l’initiative populaire fédérale « Pour des naturalisations démocratiques » du 25 octobre 2006, FF 2006, p. 8481 (8497 ss).

330 MCF concernant l’initiative populaire fédérale « Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables » du 4 avril 2001, FF 2001, p. 3565 (3269).

331 VON ARX (2002), p. 282.

332 AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006I), n° 830.

initiateurs, soit un projet qui en réalise les idées333. Les juges ont rappelé que le principe de l’unité de la forme interdit le mélange entre ces deux formes334. 2.1 La jurisprudence du Tribunal fédéral

Le fondement (2.1.1) et les critères de distinction entre les deux formes (2.1.2) étant bien ancrés dans la pratique du Tribunal fédéral, ce dernier n’a plus jamais retenu le grief d’une violation de la forme pour déclarer invalide une initiative depuis 1922335. En 1988 cependant, il a longuement analysé ce critère avant d’estimer qu’il n’était pas violé en l’espèce336. Il s’agissait d’une initiative entièrement rédigée qui contenait des normes de délégation (2.1.3).

2.1.1 Le fondement

Le Tribunal fédéral part de l’idée qu’en matière d'initiatives populaires le mélange des formes n'est pas admissible s'il est de nature à produire des effets fallacieux sur la formation de la volonté des citoyens. En effet, lorsque le principe de l'unité de la forme est violé, l'initiative est dépourvue de la clarté et de la précision nécessaires ; les citoyens ne savent pas ce qu'il va advenir, en cas d'admission de la partie formulée, de l'autre partie non formulée. Le principe de l’unité de la forme découle ainsi directement de la liberté de vote : la jurisprudence fédérale a clairement établi que le résultat d'une votation ne doit pas être reconnu s'il n'est pas l'expression fidèle et sûre de la libre volonté des citoyens337.

2.1.2 Les critères de distinction entre les deux formes

La jurisprudence s’est intéressée aux éléments de l’initiative populaire qui exercent une influence importante sur la détermination de la forme. Une question essentielle se pose à ce propos. Que faire lorsqu’une initiative, de par son texte, apparaît comme non formulée et que le comité l’a désignée comme rédigée, ou inversement ? Est-ce le texte ou la volonté des initiants qui prime pour déterminer la forme de l’initiative ? Si un auteur affirme que c’est avant tout l’intention des promoteurs qui est déterminante338, la doctrine dominante fait prévaloir le texte sur la volonté du comité339. La jurisprudence du Tribunal fédéral semble se rallier à cette position :

333 GRISEL (2004), p. 262.

334 ATF 114 Ia 413, consid. 3c = JdT 1990 I 226 ; TSCHANNEN (2007), p. 648 ; VON ARX (2002), p. 299 ; HANGARTNER/KLEY (2000), n° 836, voir toutefois la nuance au n° 2526.

335 ATF 48 I 156.

336 ATF 114 Ia 413 Sozialdemokratische Partei des Kantons Zürich = JdT 1990 I 226.

337 ATF 114 Ia 413 Sozialdemokratische Partei des Kantons Zürich = JdT 1990 I 226 : voir également arrêt du Tribunal fédéral 1P.531/2006 du 8 novembre 2006, consid. 4.1.

338 GRISEL (2004), p. 263, n° 678, voir également p. 232, n° 591.

339 TSCHANNEN (2002), p. 24 ; HANGARTNER/KLEY (2000), n° 839 et n° 2110 ; KÖLZ (1982), p. 18.

« C'est essentiellement en interprétant le texte de l'initiative que l'on peut décider si un mélange des formes était propre à fausser la formation de la volonté des citoyens. Pour déterminer s'il s'agit d'une initiative entièrement rédigée, il faut examiner si, en cas d'acceptation, elle pourrait être appliquée sans autre »340.

Ainsi, de la jurisprudence de la Cour suprême peut se déduire une distinction entre un véritable mélange des formes (Formenvermischung) et une simple désignation erronée de la forme choisie (Fehlbezeichnung)341. Dans le premier cas, l’initiative doit être déclarée invalide pour violation de l’unité de la forme ; dans le second cas, la doctrine majoritaire342 appuyée par le Tribunal fédéral se fonde sur une conception objective de la forme du texte de l’initiative. Elle qualifie la différence entre la forme objective dans le texte et la forme déclarée de simple désignation erronée de la forme choisie et corrige cette erreur par un changement de désignation343.

La différenciation entre les deux formes demeurant toutefois difficile, le Tribunal fédéral conclut rarement à une invalidation d’une initiative pour violation de l’unité de la forme.

2.1.3 L’initiative entièrement rédigée contenant des normes de délégation

L’initiative déposée en ville de Zurich qui prévoyait de créer une fondation d'utilité publique en vue de maintenir des logements à bon marché a été jugée non conforme au principe de l’unité de la forme par la dernière instance cantonale, car elle portait à la fois sur une autorisation de crédit (formulée) et sur une délégation législative à l’exécutif (non formulée). Le Tribunal fédéral, au contraire, a estimé que dans une collectivité publique où chaque citoyen a la possibilité de lancer une initiative sur tout objet qui peut être soumis au référendum obligatoire ou facultatif, une initiative peut proposer, en même temps, l'adoption de normes juridiques et une délégation de la compétence législative à l'autorité exécutive ou au parlement.

« Si l'on suit l'opinion du Conseil d'Etat, les initiatives en forme de projet entièrement rédigé ne pourraient donc pas contenir de norme de délégation, ce qui revient à limiter le droit d'initiative, qui ne concorderait donc plus avec le domaine de compétence des citoyens. Une telle limitation est donc inadmissible » 344.

Les initiatives présentées sous forme de projet entièrement rédigé peuvent donc contenir des normes de délégation. Cependant, pour que le citoyen soit en mesure de déterminer la portée de son vote, le principe de l'unité de la

340 ATF 114 Ia 413 Sozialdemokratische Partei des Kantons Zürich = JdT 1990 I 226.

341 TSCHANNEN (2002), p. 24 ss.

342 HANGARTNER/KLEY (2000), n° 839 et n° 2110 ; KÖLZ (1982), p. 18.

343 ATF 114 Ia 413 Sozialdemokratische Partei des Kantons Zürich = JdT 1990 I 226 ; TSCHANNEN (2002), p. 19.

et p. 24.

344 Ibidem.

forme exige que la délégation de compétence soit claire et sans équivoque345. C’est seulement quand il ressort clairement du droit cantonal que, pour la réalisation d’une initiative, il est nécessaire d’opérer une modification législative et constitutionnelle, qu’une initiative législative sans base constitutionnelle doit être déclarée invalide.

L’importance pratique de l’unité de la forme est peu significative. Certains auteurs plaident même pour qu’elle n’entraîne pas l’invalidité de l’initiative346.

2.2 La jurisprudence cantonale

Les arrêts cantonaux qui sanctionnent une initiative pour violation de l’unité de la forme sont relativement peu nombreux. On trouve un arrêt du Conseil d’Etat argovien qui avait à se prononcer sur l’initiative communale non rédigée «Wettingen nimmt Mass» pour un changement dans l’affectation des zones. Après avoir rappelé qu’une initiative formulée en termes généraux peut certes comporter des postulats relativement concrets qui précisent les vœux des initiants, le Conseil d’Etat précise qu’elle ne doit pas présenter une densité normative telle qu’elle peut être appliquée et exécutée directement. Il est toutefois arrivé à la conclusion que l’initiative litigieuse ne violait pas l’unité de la forme, car elle était clairement de caractère général non formulé et laissait suffisamment de marge de manœuvre aux autorités347.

En revanche, un arrêt zougois s’est fondé sur une violation de l’unité de la forme pour déclarer invalide l’initiative communale « Pour une vieille ville sans circulation et une place de Landsgemeinde sans voitures »348. Contrairement au Conseil d’Etat, le Tribunal administratif, tout comme le conseil communal, a estimé que l’initiative en question ne respectait pas l’unité de la forme puisque les points concernant le champ d’application personnel et géographique de l’interdiction de parquer et de circuler étaient entièrement rédigés alors que le point relatif aux mesures de construction à entreprendre pour rendre impossible la circulation dans ces zones n’était pas rédigé.