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démocratie directe

D. Le traitement de l’initiative valide

1. Le contre-projet et les modalités de vote

Si le droit d’initiative est utilisé le plus souvent dans sa variante directe, à savoir le projet rédigé de toutes pièces, qui ne souffre aucune altération de la part des autorités, il n’en laisse pas moins à celles-ci la possibilité d’élaborer un contre-projet. La plupart des cantons autorisent expressément l’autorité législative à opposer un contre-projet à une initiative populaire618.

616 Art. 20 al. 2 CO : « Si le contrat n’est vicié que dans certaines de ses clauses, ces clauses sont seules frappées de nullité, à moins qu’il n’y ait lieu d’admettre que le contrat n’aurait pas été conclu sans elles. ».

617 AUER (1978), p. 144.

618 Art. 67 cstc/GE ; art. 60 al. 1 cstc/BE ; art. 102 al. III et IV cstc/NEl ; pour une analyse de l’institution du contre-projet, voir ALBRECHT (2003).

La première empreinte que le Tribunal fédéral a laissée sur l’institution du contre-projet date déjà d’un demi-siècle. En effet en 1965, le Tribunal fédéral a précisé que, même dans les cantons qui ne prévoient pas expressément cette possibilité, l’institution du contre-projet existe, parce que celle-ci fait partie intégrante du droit public fédéral et cantonal619. La Cour suprême estime en effet que le contre-projet est un « élément important du jeu démocratique 620» qui offre une plus grande liberté de choix aux électeurs et qui contribue à l’accomplissement de la fonction dévolue à l’initiative populaire. Il fonde par ailleurs son raisonnement sur le droit d’initiative général et, en principe, illimité du Grand Conseil en matière constitutionnelle et législative, et non pas directement sur le droit d’initiative populaire621.

L’institution du contre-projet pose en outre trois sortes de problèmes techniques. Le premier concerne la formulation de la question qui sera soumise aux électeurs. Le droit fédéral ne donne aucune indication en la matière : seize cantons au moins se sont pourtant inspirés du système fédéral et connaissent le système qui pose aux citoyens deux questions indépendantes et une question subsidiaire622 et qui permet le double oui623. Quelques cantons ont gardé le système de la votation alternative, retenu naguère par le législateur fédéral, qui permet le double non mais exclut le double oui, tout en le nuançant624. Le Tribunal fédéral a jugé que cette réglementation ne porte pas, en tant que telle, atteinte à la liberté de vote, car même si elle tend à favoriser le statu quo625, elle conduit à un résultat plus juste626. La Cour suprême respecte le choix du constituant cantonal et n’impose aucune limite.

Un deuxième problème technique se pose en relation avec le moment de la soumission à votation. Le Tribunal fédéral a précisé à cet égard que, à défaut de base légale, le contre-projet ne peut pas être soumis au peuple avant l’initiative. Un tel procédé affaiblirait l’initiative et favoriserait indûment le contre-projet627.

La dernière question a trait au contenu du contre-projet et plus précisément au lien matériel qui doit exister entre le contre-projet et l’initiative. Dans un arrêt genevois de 1974, le Tribunal fédéral a tiré de la liberté de vote le

619 ATF 91 I 189, consid. 2 ; ATF 101 Ia 492, consid. 4a ; ATF 104 Ia 240 Jacob = JdT 1980 I 504, consid. 3b ; ATF 113 Ia 46, consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral du 4 mai 1994, in : ZBl 1995, p. 141, consid. 1b.

620 ATF 113 Ia 46 Landesring der Unabhängigen = JdT 1989 I 198.

621 ATF 113 Ia 46 (56) Landesring der Unabhängigen = JdT 1989 I 198.

622 Trois questions sont posées aux citoyens : 1. « Acceptez-vous l’initiative populaire ? » 2. « Acceptez-vous le contre-projet du Grand Conseil ? » 3. « Si le peuple accepte à la fois l’initiative et le contre-projet, est-ce l’initiative ou le contre-projet qui entre en vigueur ? » : les deux premières questions sont indépendantes, la troisième est subsidiaire, voir inter alia : art. 60 al. 2 cstc/BE ; art. 55 al. 5 cstc/NW ; art. 68 al. 2 cstc/GE ; art. 34 al. 4 cstc/VS ; art. 40 cstc/TI.

623 Sur ce système, voir : CHRISTOPH HAAB (1984), Die Ermittlung des wahren Volkswillens im Bundesstaat : das Verfahren mit bedingter Eventuelabstimmung (Doppel-Ja mit Stichfrage) als Lösung des Abstimmungsproblems bei Initiative und Gegenvorschlag, Zurich.

624 Art. 27 al. 4 et 5 cstc/TG.

625 Arrêt du Tribunal fédéral du 7 décembre 1979, in : ZBl 1980, p. 392.

626 Arrêt du Tribunal fédéral du 3 avril 1985, in : ZBl 1986, p. 172.

627 ATF 104 Ia 240 Jacob = JdT 1980 I 504.

principe général selon lequel les textes de l’initiative et du contre-projet doivent être en « étroit rapport (…) afin que l’électeur soit mis en présence d’une véritable alternative »628. Il a instauré ainsi un principe d’unité de la matière entre l’initiative et le contre-projet qu’un auteur a appelé « une seconde règle de l’unité de la matière »629. Le Tribunal fédéral a posé comme critère que le contre-projet doit viser le même but que l’initiative, mais qu’il peut prévoir des moyens différents pour pouvoir l’atteindre630. Ce faisant il s’est avancé dans un terrain délicat, parce que la définition du but peut être plus ou moins large. L’initiative en question proposait l’interdiction complète de la chasse avec une possibilité de dérogation très limitée, alors que le contre-projet se bornait à prévoir des mesures destinées à en restreindre l’exercice, tout en concernant également la pêche et en prévoyant des mesures positives en faveur de la faune. Si le Tribunal fédéral avait interprété l’initiative comme ne visant que l’interdiction de la chasse, le contre-projet aurait dû être considéré comme contraire à l’unité de la matière ; il n’a pu sauver ce dernier qu’en admettant qu’il visait, comme l’initiative, à protéger et à développer la faune indigène.

Une dizaine d’années plus tard, le Tribunal fédéral a changé d’argumentation lors de l’analyse d’une initiative zurichoise qui réclamait uniquement que l’imposition des couples mariés ne soit pas plus élevée que celle d’une personne seule, alors que le contre-projet prévoyait une réforme de l’ensemble de la loi fiscale631. Tout en évoquant la distinction entre le but et les moyens, il n’en a pas tenu compte, parce qu’elle ne lui aurait pas permis de sauver le contre-projet. Il a alors rappelé que le droit du Grand Conseil de proposer un contre-projet se fondait sur son pouvoir général en matière de législation, que ce pouvoir n’était en principe pas limité par l’exercice du droit d’initiative populaire et qu’il trouvait sa seule limite dans l’interdiction de l’abus de droit.

Ce dernier critère, qui est fondé sur le pouvoir autonome du Grand Conseil en matière de législation et qui lui réserve une large marge d’appréciation lorsqu’il oppose un contre-projet à une initiative populaire, tout en restant dans les limites de l’interdiction de l’abus de droit, doit être retenu. Le critère initial fondé sur la distinction entre le but et les moyens n’est pas pertinent. La seconde règle de l’unité de la matière n’est pas violée lorsque le Grand Conseil élabore, en réponse à une initiative populaire concernant un domaine limité, un contre-projet qui porte sur un domaine bien plus large englobant le premier mais le dépassant à maints égards.

Pour le reste, les juges fédéraux précisent que le contre-projet peut apporter une correction tantôt formelle, tantôt matérielle. Il ne doit cependant pas « poser au peuple une autre question que le projet ; tout ce qu’il peut faire,

628 ATF 100 Ia 53 (60) Comité d’initiative pour l’interdiction de la chasse dans le canton de Genève.

629 AUBERT (1967), n° 399.

630 ATF 100 Ia 53 (60) Comité d’initiative pour l’interdiction de la chasse dans le canton de Genève.

631 ATF 113 Ia 46 Landesring der Unabhängigen = JdT 1989 I 198.

c’est proposer une autre réponse »632. Le principe de la hiérarchie des normes n’implique pas forcément que l’initiative et le contre-projet se situent au même niveau normatif. Si une initiative concerne une loi, le contre-projet peut y répondre par une révision constitutionnelle633 et inversement634.

Le Tribunal fédéral a posé quelques principes fondamentaux dans la mise en œuvre de l’institution du contre-projet. Sa jurisprudence est toutefois plutôt rare et ancienne : aucun arrêt tant fédéral que cantonal n’a traité du sujet depuis 1987. Elle n’a par ailleurs jamais conduit à invalider un contre-projet et n’a jamais conclu à une violation du principe de l’unité de la matière entre l’initiative et le contre-projet.