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L’initiative populaire contraire au droit international en matière de droits de l’homme 677matière de droits de l’homme677

démocratie directe

B. L’initiative populaire contraire au droit international en matière de droits de l’homme 677matière de droits de l’homme677

S’il est une contradiction fondamentale que notre ordre constitutionnel n’est pas parvenu à ce jour à résoudre de façon satisfaisante, c’est bien celle entre la souveraineté du constituant démocratique et le respect du droit international en matière de droits de l’homme. La tâche de l’Assemblée fédérale lorsqu’elle est confrontée à une initiative populaire qui est contraire aux droits de l’homme est délicate. Celle du juge, qui peut être amené, en cas d’acceptation de l’initiative, à appliquer et à interpréter des dispositions constitutionnelles contraires aux droits de l’homme, ne l’est pas moins.

Après l’acceptation en février 2004 de l’initiative populaire « Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables »678, c’est l’initiative populaire « Pour des naturalisations

675 Il s’agit de l’initiative populaire fédérale « pour une politique d'asile raisonnable », déclarée nulle par le Parlement le 14 mars 1996, de l’initiative populaire fédérale « pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix », déclarée nulle le 20 juin 1995, de l’initiative populaire fédérale « contre la vie chère et l'inflation », déclarée nulle par le parlement le 16 décembre 1977, de l’initiative populaire fédérale « pour la réduction temporaire des dépenses militaires (trêve de l'armement) », déclarée nulle le 15 décembre 1955.

676 STEINMANN (2003), p. 507.

677 Ce chapitre reprend largement l’article de AUER/TORNAY (2007), p. 740 ss.

678 FF 2004, p. 2045. Le 8 février 2004, le peuple et les cantons ont accepté l’initiative populaire fédérale

« Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendables » et partant, le nouvel art. 123a Cst. D’après celui-ci, les délinquants sexuels ou violents qualifiés d’extrêmement dangereux et non amendables doivent être internés à vie, tout congé étant exclu.

Sur nombre de points, l’art. 123a Cst. est sujet à interprétation. Pour cette raison, le Conseil fédéral a proposé une législation d’application de la nouvelle norme constitutionnelle qui est destinée à compléter la nouvelle partie générale du Code pénal adoptée par les Chambres fédérales en décembre 2002 (Message du Conseil fédéral relatif à la mise en œuvre de l’art. 123a Cst. sur l’internement à vie du 23 novembre 2005, FF 2005, p. 869).

Le Conseil des Etats a accepté ce projet de loi le 20 juin 2006 (BO-CE 2006, p. 552).

Le 24 novembre 2006, la commission des affaires juridiques du Conseil national a rejeté le projet de loi visant à mettre en œuvre l’initiative qu’elle juge incompatible avec la CEDH et a recommandé au Conseil National de ne pas entrer en matière. Le 17 septembre 2007, le Conseil National n’a pas suivi la recommandation de sa commission et a décidé de mettre en pratique le projet du Conseil fédéral.

Le délai référendaire contre ce projet de loi court jusqu’au 17 avril 2008.

démocratiques »679, qui a rallumé le débat sur les limites que la protection internationale des droits de l’homme doit imposer à la démocratie directe680.

Que peut, que doit faire l’Assemblée fédérale lorsqu’elle est confrontée à une initiative populaire contraire aux droits de l’homme ? En simplifiant beaucoup, on peut discerner en doctrine et dans la pratique, deux tendances opposées, la première plutôt traditionnelle (1.), la seconde apparamment progressiste (2.). Après avoir montré les limites auxquelles chacune d’elles est confrontée, nous proposerons une solution pragmatique (3.).

1. La réponse classique

La réponse classique, traditionnelle, consiste à rappeler à l’Assemblée fédérale qu’elle n’a pas le choix et qu’elle doit soumettre au peuple et aux cantons toute initiative populaire, à moins que celle-ci ne soit contraire au droit international impératif681. Sous cette seule exception, qui est récente et qui n’est guère susceptible de trouver beaucoup de cas d’application682, le dogme de l’absence de limite matérielle à la révision de la Constitution est profondément ancré dans l’histoire et la pratique de la démocratie directe. Si le peuple est souverain en matière de révision de la Constitution, il doit aussi pouvoir disposer de la faculté de se prononcer sur des initiatives qui ont pour effet ou pour but de restreindre, voire de suspendre les droits fondamentaux.

Il n’y a pas de raison de limiter le pouvoir normatif du constituant. Bien au contraire, dans un tel cas problématique, la tradition suisse et la conception helvétique de l’Etat encouragent à laisser dans la mesure du possible le peuple et les cantons décider des révisions constitutionnelles683. Le droit d’initiative est une composante si importante du système politique suisse qu’il ne devrait pas être trop limité. Cette approche préconise qu’en cas de doute, il faut s’en

679 Pour un exposé de cette initiative, voir infra Titre cinquième, chapitre III C.1.

680 Voir aussi l’initiative populaire fédérale « Contre la construction de minarets », dont le délai imparti pour la récolte des signatures expire en novembre 2008, FF 2007, p. 3045 ; l’initiative populaire fédérale « Pour le renvoi des criminels étrangers (initiative sur le renvoi) », dont le délai imparti pour la récolte des signatures expire en janvier 2009, FF 2007, p. 4725.

681 Art. 139 (ancien) al. 3 et art. 139 (nouveau) al. 2 Cst. ; art. 75 al. 1 LDP. Pour définir le droit international impératif appelé aussi jus cogens, les autorités fédérales reprennent la définition de l’art. 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités entrée en vigueur pour la Suisse le 6 juin 1990 (RS 0.111) :

« Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère », voir notamment FF 2006, p. 8489 ; FF 2004, p. 3087.

Le jus cogens comprend notamment l’interdiction de la torture, du génocide et de l’esclavagisme, les garanties de la Convention européenne des droits de l’homme qui ne souffrent aucune dérogation, même en état de nécessité, les principes du droit humanitaire applicables en temps de guerre et l’interdiction du refoulement des réfugiés dans un pays où ils risquent la torture ou des traitements inhumains : voir FF 1997 I 1, p. 454 ; HÄFELIN/HALLER (2005), n° 1756 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 751.

682 Jusqu’à présent, seule l’initiative « Pour une politique d’asile raisonnable » qui visait à renvoyer avec effet immédiat tous les requérants d’asile entrés en Suisse illégalement ou qui avaient vu leur demande d’asile rejetée a été invalidée par l’Assemblée fédérale en 1995, au motif qu’elle ne respectait pas l’interdiction du refoulement des personnes exposées à la persécution : FF 1994 III, p. 1471, p. 1483.

683 BAUMANN (2007), p. 206.

remettre au jugement du constituant. Une mauvaise décision prise par le peuple et les cantons doit être préférée à une mise sous tutelle du pouvoir du constituant 684.

Lorsque les droits fondamentaux touchés sont garantis par la seule Constitution fédérale, l’acceptation de l’initiative aura pour effet d’en limiter le champ d’application, sous la forme d’une règle d’exception. Lorsqu’elle égratigne une liberté consacrée par une convention internationale que la Suisse a ratifiée, l’initiative qui est acceptée par le peuple et les cantons sera interprétée dans la mesure du possible de façon à éviter un conflit avec la norme supérieure685. Telle est la piste qu’a suivie le Conseil fédéral dans son message relatif à une initiative de l’UDC686. Si l’imprécision du texte de l’initiative permet une interprétation conforme au droit international, cette dernière peut parfois aller à l’encontre de la volonté des initiants et priver l’initiative de sa portée. Il en découle des frustrations et une certaine insécurité juridique687.

Lorsqu’en revanche l’initiative ne se laisse pas interpréter de façon conforme, le Conseil fédéral devra tenter de négocier une adaptation du traité pour qu’il soit conforme à l’initiative. Si cette tentative échoue, l’acceptation de l’initiative par le constituant comportera implicitement un mandat à charge du Conseil fédéral de dénoncer les traités qu’elle remet en cause688. La révision constitutionnelle entrera en vigueur dès que le délai de dénonciation du traité sera écoulé689.

Cette explication aurait à la rigueur été concevable il y a une trentaine d’années. On ne peut pas en dire autant aujourd’hui : si la souveraineté populaire et l’absence de limites matérielles à la révision de la Constitution fédérale, qui reposent sur l’idée qu’une génération n’a pas le droit de lier les générations suivantes, sont toujours aussi essentielles, les droits de l’homme ont acquis aujourd’hui une telle densité au niveau international que le peuple n’est plus souverain en la matière. Face à l’imprégnation croissante des droits de l’homme sur notre ordre juridique, il est impensable de dénoncer des traités aussi importants et essentiels que la CEDH, les Pactes de 1966 ou les conventions spécifiques élaborées dans le cadre de l’ONU ou du Conseil de l’Europe. Le tissu international des droits de l’homme représente une telle

684 Ibidem.

685 LUZIUS WILDHABER (1987), « Commentaire de l’art. 118 aCst. », in : AUBERT/EICHENBERGER/MÜLLER/RHINOW/ SCHINDLER (éd.), Kommentar zur Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft von 1874, Bâle, n° 88 ; WALTER KÄLIN (1993), « Internationale Menschenrechtsgarantien als Schranke der Revision von Bundesverfassungsrecht. Das Beispiel völkerrechtswidriger Asylinitiativen », in : PJA 1993, p. 249 (254) ; HANGARTNER/KLEY (2000), n° 546 ; MARTIN KAYSER (2001), Grundrechte als Schranke der schweizerischen Verfassungsgebung, Zurich, p. 172 et 173 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 750.

686 FF 2006, p. 8497 à 8499, voir infra Titre cinquième, chapitre III. C. 1.

687 GIOVANNI BIAGGINI, « Völkerrechtlich problematische Initiativen. Rechtlich verbieten oder politisch bekämpfen? », article paru dans la NZZ du 16 mai 2007.

688 HÄFELIN/HALLER (2005), n° 1757 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 750.

689 BAUMANN (2007), p. 209.

réalité aujourd’hui qu’il ne peut plus être remis en cause, fût-ce au nom de la souveraineté populaire.

2. La réponse progressiste

L’autre piste, apparemment dictée par le bon sens, conduit dans la direction qui permettrait à l’Assemblée fédérale, voire qui l’obligerait, à déclarer invalide, totalement ou partiellement, une initiative qui contredit les droits de l’homme consacrés par les conventions internationales690. Au lieu de faire voter le peuple sur un texte dont on sait qu’il ne pourra pas trouver application, on lui épargnerait cette humiliation et ferait en même temps l’économie d’un vote inutile. La dignité de la démocratie et le respect des droits fondamentaux seraient ainsi tous deux sauvegardés.

Seulement, la Constitution fédérale en vigueur ne permet pas de suivre cette piste. Il nous paraît difficile d’étendre la notion de droit international impératif au point de la faire englober le respect des libertés et droits de l’homme conventionnels691. La lettre et les travaux préparatoires des dispositions constitutionnelles qui consacrent cette notion (art. 139 (ancien) et art. 139 (nouveau), art. 194 Cst.) s’y opposent résolument. Lors de la réforme des droits populaires, le Parlement et le Conseil fédéral ont en effet renoncé à

690 YVO HANGARTNER (1993), « Völkerrecht und schweizerisches Landesrecht », in: WALTER SCHLUEP (éd.), Recht, Staat und Politik am Ende des zweiten Jahrtausends. Festschrift zum 60. Geburtstag von Bundesrat Arnold Koller, Berne, p. 676 ; TRISTAN ZIMMERMANN (2007), « Quelles normes impératives du droit international comme limite à l’exercice du droit d’initiative par le peuple ? », in : PJA 2007, p. 748.

691 Dans ce sens, HANGARTNER/KLEY (2000), n° 557 à 561 ; HANGARTNER (2002), n° 29 ; AUBERT (2003), n° 9 ; TSCHANNEN (2007), § 44, n° 25 ; NOBS (2006), p. 112 à 116 ; BAUMANN (2007), p. 208.

En faveur d’une interprétation plus large de l’expression « règles impératives du droit international » de l’art. 139 Cst. : GIOVANNI BIAGGINI (1999), « Das Verhältnis der Schweiz zur internationalen Gemeinschaft Neuerungen im Rahmen der Verfassungsreform », in : PJA 1999, p. 722 ss (728) ; RENE RHINOW (2000), Die Bundesverfassung 2000, Bâle, p. 370 ; HÄFELIN/HALLER (2005), n° 1756 ; DANIEL THÜRER (2001),

« Verfassungsrecht und Völkerrecht » , in : THÜRER/AUBERT/MÜLLER (éd.), Verfassungsrecht der Schweiz, Zurich, p. 179 ss, n° 14 et 15.

En faveur d’une extension de l’expression « règles impératives du droit international » de l’art. 139 Cst. aux traités non dénonçables : WALTER KÄLIN (1993), « Internationale Menschenrechtsgarantien als Schranke der Revision von Bundesverfassungsrecht. Das Beispiel völkerrechtswidriger Asylinitiativen », in : PJA 1993, p.

243 ss (249 et 256) ; LUZIUS WILDHABER (1996), « Neues zur Gültigkeit von Initiativen », in : ZEN-RUFFINEN/ AUER (éd.), De la Constitution. Etudes en l’honneur de Jean-François Aubert, Bâle, p. 293 ss (299).

En faveur d’une extension de l’expression « règles impératives du droit international » de l’art. 139 Cst. à tout le droit international coutumier : DIETRICH SCHINDLER (1992), « Die Schweiz und das Völkerrecht », in : RIKLIN/HAUG/PROBST (éd.), Neues Handbuch der schweizerischen Aussenpolitik, Berne, p. 99 à 119 (115) ; JÖRG PAUL MÜLLER (1997), « Diskussionsvotum », in : RHINOW/BREITENMOSER/EHRENZELLER (éd.), Fragen des internationalen und nationalen Menschenrechtsschutzes, Symposium zum 60. Geburtstag von Luzius Wildhaber, Bâle, RDS supplément n° 25, 1997, p. 67 ss (85).

En faveur d’une extension de l’expression « règles impératives du droit international » de l’art. 139 Cst. à tout le droit international : ASTRID EPINEY (1994), « Das Primat des Völkerrechts als Bestandteil des Rechtsstaatsprinzips Ein Diskussionsbeitrag zur Stellung des Völkerrechts im Verhältnis zum innerstaatlichen Recht », in : ZBl 1994, p. 537 à 561 (560) : « … keine völkerrechtswidrigen Verfassungsbestimmungen dürfen dem Volk zur Abstimmung unterbreitet werden. Der Bundesversammlung kommt dabei die Kompetenz zu prüfen, ob und gegebenenfalls inwieweit eine Vorlage völkerrechtswidrig ist und daher dem Volk nicht unterbreitet werden darf und für ungültig zu erklären ist ».

élargir la notion de jus cogens692. Le Conseil fédéral a fait valoir que le problème des initiatives contraires au droit international adoptées par le constituant se règlerait au cas par cas, pour éviter que « le peuple [puisse]

avoir l’impression que ses décisions ne sont pas prises au sérieux »693. Comme l’exécutif fédéral estime que la probabilité qu’une initiative contraire au droit international soit adoptée par le peuple et les cantons est minime, il lui paraît plus judicieux de prendre le risque d’une éventuelle collision entre une initiative populaire et le droit international.

Enfin, il nous paraît encore plus difficile d’élargir la notion d’inexécutabilité, qui devrait être limitée à une impossibilité matérielle de mettre en œuvre l’initiative694, pour l’appliquer aux cas où il est juridiquement impossible de réaliser l’initiative dans un sens conforme au droit international695. Dans le silence de la Constitution, on ne peut pas jouer ainsi avec une notion qui est elle-même controversée696.

Il faut donc une révision de la Constitution. Cela pourrait d’ailleurs être l’occasion de régler enfin de façon satisfaisante les rapports tendus entre le droit interne et le droit international. Mais sur la question de l’invalidation des initiatives populaires, cette solution est moins facile qu’il n’y paraît.

Comment définir la nouvelle barrière ? L’initiative devrait-elle respecter tous les traités, même les plus insignifiants ? Ou seulement ceux qui garantissent des droits de l’homme ? Mais quels droits de l’homme ? Les libertés classiques, les droits économiques et sociaux, y compris le droit à l’eau et à l’alimentation ? Quid des accords bilatéraux, des accords de l’OMC et de l’OIT, des traités d’extradition ?

Mais le plus grand inconvénient de cette solution, à supposer même qu’elle soit un jour ancrée dans la Constitution, nous paraît être le fait qu’elle assigne à l’Assemblée fédérale un rôle qu’elle ne peut pas jouer697. Savoir si un texte constitutionnel proposé par voie d’initiative porte atteinte à une liberté, viole un droit fondamental ou contredit un droit de l’homme est une question délicate, qui doit être tranchée avec des arguments juridiques et non pas dans la perspective politique qui est nécessairement celle d’un parlement. On connaît la difficulté qu’éprouvent les parlements cantonaux à évaluer correctement, c’est-à-dire juridiquement, la validité formelle et matérielle des

692 Voir le rapport de la commission des institutions politiques du Conseil d’Etat du 2 avril 2001 (FF 2001, p.

4590) sur l’initiative parlementaire « Suppression de carences dans les droits populaires » n° 99.436 lancée par la commission de la révision constitutionnelle du Conseil des Etats ; voir également l’avis du Conseil fédéral du 15 juin 2001 (FF 2001, p. 5783).

693 FF 2001, p. 4615 et 4616.

694 FF 1997 I 1, p. 453 ; FF 1995 II, p. 333 ; voir supra point I. C. 5 ; CAVIEZEL (1990), p. 152 ; HANGARTNER/KLEY

(2000), n° 499 ; HANGARTNER (2002), n° 29 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 753 ; NOBS (2006), p.

117 ; contra : AUBERT (2003), n° 10.

695 Telle est l’opinion exprimée par l’ancien président du Tribunal fédéral GIUSEP NAY dans un article paru dans Le Temps du 4 mai 2007 à propos de l’initiative populaire fédérale « Contre les minarets » ; voir également GIUSEP NAY, « Sollen Volksinitiativen ungültig sein, wenn sie nur gegen nichtzwingendes Völkerrecht verstossen ? », in : Plädoyer 2007, n° 3, p. 29.

696 Dans ce sens, TSCHANNEN (2007), § 44, n° 26b.

697 Contra : KELLER/LANTER (2008), p. 153.

initiatives populaires cantonales698. Heureusement qu’il y a, dans ce cas, le Tribunal fédéral et dans certains cantons une autorité de recours cantonale699 pour, au besoin, corriger le tir.

Il faudra donc non seulement autoriser l’Assemblée fédérale à invalider les initiatives populaires contraires aux droits de l’homme, mais prévoir une intervention, d’office ou sur recours, du Tribunal fédéral. Autant dire qu’une telle révision constitutionnelle n’est pas pour demain. Redéfinir dans un seul et même mouvement les rapports délicats entre le droit interne et le droit international, entre le droit d’initiative et les libertés conventionnelles et entre l’Assemblée fédérale et le Tribunal fédéral paraît énorme est, à vrai dire, utopique.

3. La réponse pragmatique

Pour résoudre le conflit entre le droit international en matière de protection des droits de l’homme et la démocratie directe, les solutions simples consistant à donner la préférence à l’un ou à l’autre de ces éléments sont condamnées à l’échec. Proclamer la souveraineté absolue du peuple, même en matière de droits de l’homme, ne manquera pas d’entraîner une condamnation de la Suisse par le juge international, impossible à esquiver.

Priver le peuple de la possibilité de se prononcer sur une initiative qui remet en cause les droits de l’homme conduira à des marchandages parlementaires douteux qui dévalorisent la démocratie tant représentative que directe.

Puisque aussi bien la démocratie directe que la protection internationale des droits de l’homme se trouvent ancrées au cœur même du système constitutionnel helvétique, ce système doit réussir à les concilier, quitte à égratigner les intégristes des deux côtés.

Nous dirons donc que l’Assemblée fédérale est tenue de soumettre au peuple toutes les initiatives, y compris celles qui sont contraires aux conventions internationales en matière de droits de l’homme. La Constitution fédérale l’exige explicitement (art. 139 (ancien) al. 3 et art. 139 (nouveau) al. 2 Cst.). Mais si le peuple accepte pareille initiative, les autorités législatives, administratives et judiciaires sont tenues de refuser de la mettre en œuvre si et dans la mesure où elles arrivent à la conclusion qu’elle viole effectivement ces conventions. La Constitution fédérale l’exige également (art. 5 al. 4 et art. 190 Cst.).

Entre l’obligation de respecter la Constitution, fût-elle contraire aux libertés, et l’obligation de respecter les conventions internationales qui

698 Par exemple dans le canton de Genève où le parlement cantonal est très divisé, les initiatives populaires cantonales se trouvent systématiquement soumises au jugement du Tribunal fédéral et ce depuis trente ans.

699 Tel est le cas du canton de Bâle-Ville (art. 16 Gesetz betreffend Initiative und Referendum du 16 janvier 1991 (RS/BS 131.100)) et du canton de Vaud (art. 123g de la loi sur l’exercice des droits politiques du 16 mai 1989 (RS/VD 160.01)).

garantissent celles-ci, la seconde doit donc l’emporter. Si la Suisse se fait condamner par la Cour de Strasbourg ou le comité compétent de l’ONU, elle est tenue de s’amender et, dans le pire des cas, de refuser d’appliquer la disposition constitutionnelle en cause. Autrement dit, la volonté du souverain de restreindre les droits de l’homme garantis au plan régional ou international ne pourra pas être exécutée.

Les libertés conventionnelles posent une limite non seulement à la souveraineté du peuple, mais également à celle de l’Etat. Au vu de l’importance croissante que tendent à prendre au sein de l’ordre juridique suisse le droit international en général et les droits de l’homme en particulier, il nous semble que les autorités suisses – le parlement, le gouvernement, l’administration et le juge – doivent refuser d’appliquer une disposition constitutionnelle clairement contraire aux libertés garanties par des conventions internationales. S’il existe un doute, elles l’appliqueront et ouvriront ainsi la voie à des procédures permettant de prendre l’avis du juge international compétent. Et la décision de ce dernier l’emportera, qu’on le veuille ou non, sur la volonté de la majorité du peuple et des cantons.

Par ailleurs, cette manière de procéder s’inscrit parfaitement dans la logique de la pratique du Tribunal fédéral à l’égard de la conventionalité des lois fédérales. Tempérant toujours davantage leur jurisprudence relative à l’article 190 Cst., les juges de Lausanne n’appliquent plus aveuglément une loi fédérale contraire au droit international : bien au contraire, ils refusent de l’appliquer s’ils arrivent à la conclusion qu’elle contrevient à un traité liant la Suisse, en particulier dans le domaine des droits de l’homme700. Le même raisonnement doit valoir pour la conformité des dispositions constitutionnelles au droit international en matière de droits de l’homme. Les dispositions constitutionnelles incompatibles avec les garanties des droits de

Par ailleurs, cette manière de procéder s’inscrit parfaitement dans la logique de la pratique du Tribunal fédéral à l’égard de la conventionalité des lois fédérales. Tempérant toujours davantage leur jurisprudence relative à l’article 190 Cst., les juges de Lausanne n’appliquent plus aveuglément une loi fédérale contraire au droit international : bien au contraire, ils refusent de l’appliquer s’ils arrivent à la conclusion qu’elle contrevient à un traité liant la Suisse, en particulier dans le domaine des droits de l’homme700. Le même raisonnement doit valoir pour la conformité des dispositions constitutionnelles au droit international en matière de droits de l’homme. Les dispositions constitutionnelles incompatibles avec les garanties des droits de