• Aucun résultat trouvé

Le changement dans le texte de l’initiative après son dépôt et la clause de retrait

démocratie directe

D. Le traitement de l’initiative valide

4. Le changement dans le texte de l’initiative après son dépôt et la clause de retrait

La jurisprudence du Tribunal fédéral sur la possibilité de modifier le texte initial d’une initiative est peu abondante parce que très claire :

648 AUER (1978), p. 153.

649 Arrêt du Tribunal fédéral du 23 novembre 1998, in : RDAT I-1999, n° 1.

650 Arrêt du Tribunal administratif de Bâle-Campagne du 21 décembre 1994, disponible sur www.baselland.ch/gerichte.

« Eine nachträgliche Abänderung des Initiativtextes durch das Initiativkomitee ist unbeachtlich. Massgebend ist der von den Stimmberechtigten unterzeichnete Text, der aus sich selber heraus auszulegen ist »651.

La jurisprudence cantonale, quoique toujours aussi claire, est plus abondante. Ainsi, dans le canton du Jura, le comité d’une initiative cantonale a modifié le texte de l’initiative après son dépôt pour la rendre compatible avec le droit fédéral. La Cour constitutionnelle a jugé un tel procédé non conforme au droit :

« Si de telles prérogatives étaient données au comité d’initiative, la sécurité du droit serait compromise. Le citoyen doit être au clair sur les conséquences découlant de l’apposition de sa signature sur l’initiative »652.

Le Tribunal administratif du canton de Schwyz a même annulé le résultat d’une votation sur une initiative communale qui avait subi un changement dans son texte et son contre-projet653.

Le fait de pouvoir modifier le texte initial soulève de nombreuses questions qui peuvent difficilement être résolues par la voie jurisprudentielle : il faudrait, en effet, fixer des délais pendant lesquels la modification est possible, instaurer des limites matérielles à la modification, désigner les personnes légitimées à faire cette modification,… Le législateur semble plus à même de répondre à ces questions que le juge.

La problématique de la clause de retrait se situe dans le prolongement des principes applicables au changement de texte dans l’initiative. La clause de retrait est réglée différemment suivant les cantons ; elle peut être tantôt facultative, tantôt obligatoire comme en droit fédéral. Quand elle est obligatoire, elle doit figurer sur toutes les listes de signatures, faute de quoi ces dernières sont nulles. Quand elle est facultative, le choix appartient aux promoteurs de l’initiative, mais ils doivent le faire avant le début de la récolte, car le retrait total n’est possible que si la délégation est expresse et qu’elle satisfait aux formes imposées par la loi. Toutefois, même en l’absence de base légale détaillée, on ne donnera pas effet à une clause qui ne confie pas clairement un pouvoir déterminé à des personnes nommées654.

Au contraire du retrait total, le retrait partiel peut complètement déformer le sens d’une initiative et par conséquent apporter une modification substantielle à la volonté exprimée par les signataires. On peut même se demander, suivant la Cour constitutionnelle du canton du Jura, si une clause de retrait partiel ne porte pas atteinte d’emblée aux droits politiques de ceux-ci. On comprend que les citoyens doivent accepter que leurs signatures soient privées de toute portée juridique dans le cas où, devenue sans objet ou sans

651 Arrêt du Tribunal fédéral du 5 décembre 1980, in : ZBl 1981, p. 257.

652 Arrêt de la Cour constitutionnelle jurassienne du 12 novembre 1997, in : RJJ 1998, p. 129.

653 Arrêt du Tribunal administratif de Schwyz du 30 janvier 1991, in : EGV-SZ 1991, p. 47.

654 GRISEL (2004), p. 182 à 184.

intérêt, l’initiative est retirée655. Mais on ne peut pas leur demander d’accepter que la portée juridique et le sens concret de leurs signatures soient altérés par la seule volonté d’une majorité du comité d’initiative656.

La question des personnes qualifiées pour le retrait d’une Einzelinitiative, lancée par un seul initiant, mais cosignée par d’autres personnes, a été tranchée par le Conseil d’Etat du canton d’Obwald :

« Es ist somit festzustellen, dass es sich bei den Mitunterzeichnern nicht um Initianten im verfassungsrechtlichen Sinn handelt, sondern lediglich um Petenten, weshalb der Einzelinitiant seine Initiative rechtsgültig ohne Zutun der Mitunterzeichner zurückziehen konnte »657.

Le Tribunal administratif du canton de Schwyz a admis le retrait partiel d’une Einzelinitiative à 658

E. Conclusion

Au terme de l’étude de la jurisprudence rendue en matière d’initiatives populaires cantonales et communales, nous relevons que, si l’empreinte laissée par le juge fédéral est stable et unifiée, elle représente surtout une source importante dans laquelle puisent allègrement tant les autorités cantonales législatives que les juges cantonaux.

Stable d’abord, parce que l’analyse juridique nous révèle que les principes, les définitions et les conditions établis depuis maintenant une trentaine d’années ont fait preuve d’une étonnante constance. Ainsi, les principes de l’unité de la forme et de l’unité du rang n’ont plus guère suscité de remise en question ; le principe de l’unité de la matière se décline toujours suivant les mêmes critères, bien que leur interprétation demeure très flexible ; les trois conditions relatives à l’exécutabilité sont toujours les mêmes ; la casuistique relative à la conformité au droit supérieur s’enrichit toujours plus, mais les principes de base demeurent. Cette stabilité de la jurisprudence nous donne un indicateur de bonne santé du système et contribue à maintenir la cohérence de l’ordre juridique. Loin d’être statique, cette stabilité d’ensemble n’exclut nullement un enrichissement.

Unifiée ensuite, parce que la jurisprudence cantonale prend très peu d’indépendance par rapport à la jurisprudence du Tribunal fédéral : les renvois aux arrêts du Tribunal fédéral sont fréquents ; si elle se réfère souvent à la doctrine cantonale spécifique, elle renvoie également à la doctrine citée par la Cour suprême. La jurisprudence du Tribunal fédéral a créé une sorte de

655 Arrêt de la Cour constitutionnelle jurassienne du 12 novembre 1997, in : RJJ 1998, p. 129.

656 AUER (1987), p. 81-82.

657 Arrêt du Conseil d’Etat obwaldien du 22 septembre 1992, in : OWVVGE X p. 5.

658 Arrêt du Tribunal administratif schwyzois du 26 janvier 2006, in : EGVSZ 2006, p. 144.

droit fédéral supplétif qui s’applique en l’absence d’une réglementation cantonale différente. Cela peut paraître étonnant, étant donné que l’autonomie des cantons, en matière de droits politiques et en matière d’initiative plus particulièrement, est très étendue voire complète : en effet, sous réserve des quelques obligations que leur impose la Constitution fédérale à l’article 51, les cantons sont libres de définir les titulaires, l’étendue et les modalités d’exercice des droits politiques, ainsi que le rappelle l’article 39 al. 1 Cst. Il est intéressant de relever que, même dans un domaine de compétence cantonale, les cantons ne font que peu usage de leurs compétences pour innover et reprennent quasi systématiquement les données fédérales. Le recours prévu à l’article 82 lit. c LTF s’est donc avéré être un puissant facteur d’unification des droits cantonaux.

L’unification de la jurisprudence a également des conséquences sur le droit fédéral. Même si elle ne concerne formellement que les institutions et la pratique cantonales, cette jurisprudence exerce maints effets indirects sur la démocratie directe fédérale. Les principes dégagés par le Tribunal fédéral, même s’ils restent formellement confinés dans le domaine du droit cantonal et communal, exercent ponctuellement une influence sur les institutions et les normes fédérales. Ainsi, les principes de l’unité de la matière et de l’unité normative, d’abord consacrés par le juge pour l’initiative cantonale, ont été inscrits formellement dans la Constitution fédérale du 18 avril 1999.

Source importante enfin, parce que le nombre d’arrêts rendus sur une question touchant le droit d’initiative est élevé. Une des raisons qui explique la prépondérance de la jurisprudence fédérale en matière d’initiative cantonale découle de la législation cantonale souvent lacunaire. En effet, la lettre des dispositions, surtout constitutionnelles, qui consacrent le droit d’initiative manque souvent de clarté. En outre, de nombreux aspects indispensables ne sont pas traités ou ne sont que vaguement évoqués. De plus, quand les cantons comblent leurs lacunes, ils s’inspirent souvent de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Ainsi, la jurisprudence fédérale sert de source non seulement aux autorités judiciaires cantonales, mais également aux autorités législatives cantonales. La pratique du Tribunal fédéral a clairement un caractère exemplaire. Par ailleurs, le fait que la dernière instance cantonale compétente pour analyser les initiatives communales soit dans beaucoup de cantons le Conseil d’Etat - et non pas un tribunal - a peut-être aussi favorisé la reprise de la jurisprudence fédérale : il est probable que, pour éviter que l’influence politique soit prépondérante et que le jugement se fasse en suivant des critères plus politiques que juridiques, les autorités aient tendance à prendre la jurisprudence du Tribunal fédéral comme référence, et ce surtout lorsque des questions juridiques pointues se posent. Le même raisonnement peut être tenu pour les initiatives cantonales dont la décision relative à leur validité est prise par les parlements cantonaux qui sont souvent en conflit politique avec les initiants. Comme les questions juridiques qui sont soulevées sont généralement difficiles, un tribunal serait plus à même d’y répondre.

Ainsi, les subtilités et les difficultés juridiques des initiatives pourraient être traitées en dehors de toute argumentation politique. Un tel changement dans

la répartition des compétences aurait le double avantage de décharger le Tribunal fédéral et les parlements cantonaux659.

En définitive, la jurisprudence en matière d’initiative populaire cantonale s’écoule, tel un long fleuve tranquille, dans un lit déjà passablement creusé.

Pourtant, ce fleuve jurisprudentiel ne comble pas toutes les lacunes et s’efface parfois devant le législateur cantonal. Tel est le cas en matière de soumission au vote populaire d’une initiative non conforme au droit supérieur. Parfois encore, la jurisprudence a plutôt la taille d’un ruisseau et tarde à se développer. Ainsi en est-il en matière d’abus de droit ou au sujet de l’admissibilité des initiatives portant sur la situation juridique de personnes déterminées, domaines dans lesquels la Cour suprême a encore des réponses à donner.