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démocratie directe

B. La notion de dépense

2. La dépense liée et la dépense nouvelle

2.1 La jurisprudence du Tribunal fédéral

Le référendum financier n’a pas pour finalité de consulter l’organe électoral deux fois : une première fois sur la décision relative à une tâche déterminée et une seconde fois sur la dépense entraînée par cette tâche742. Il est dès lors exclu lorsque sont en cause des dépenses que le canton est tenu d’effectuer, soit en vertu du droit fédéral ou cantonal, soit lorsqu’il s’agit d’exécuter une décision qui a déjà été approuvée par le peuple743. Pour cette raison, la jurisprudence du Tribunal fédéral744 a établi que seules les dépenses nouvelles (2.1.2) sont soumises au référendum financier, à l’exclusion des dépenses liées (2.1.1). A certaines conditions, elle admet une pratique cantonale dérogatoire (2.1.3).

2.1.1 La dépense liée

Pour les juges fédéraux, une dépense est liée « lorsque son principe et son étendue sont fixés par une norme légale, lorsqu’elle est absolument nécessaire à l’accomplissement d’une tâche ordonnée par la loi, ou encore lorsqu’il faut admettre que le peuple, en adoptant précédemment le texte de base, a aussi

739 Arrêt du Conseil d’Etat bernois du 4 mai 1994, in : JAB 1995, p. 1.

740 Arrêt du Conseil d’Etat zurichois du 30 janvier 1991, in : ZR 1995, p. 217.

741 Arrêt du Conseil d’Etat lucernois du 7 décembre 1999, in : LGVE 1999 III, p. 423.

742 AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 856.

743 ATF 100 Ia 370 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (2006 I), n° 856.

744 Ainsi que certaines législations cantonales.

approuvé la dépense qui en découle, soit qu’il s’agit de répondre à un besoin prévisible, soit que le choix des moyens à mettre en œuvre est indifférent »745.

La casuistique relative à la dépense liée est très développée et il est difficile de remarquer des tendances plus ou moins restrictives dans l’interprétation de cette notion.

Pour le Tribunal fédéral sont liées les dépenses relatives à l’entretien des routes746 ou des bâtiments qui relèvent du patrimoine administratif747, les indemnités à payer en vertu d’une loi relative au bruit des avions748, la location d’un bâtiment à condition qu’elle soit nécessaire à l’accomplissement d’une tâche déjà résolue et que les clauses du contrat ne s’écartent pas des formes habituelles749 ou encore une indemnité d’expropriation750.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral a considéré que l’acquisition d’un scanner par l’hôpital cantonal de Zoug constituait une dépense liée dans la mesure où cette dépense était nécessaire pour l’accomplissement des tâches prévues par la loi et incombant à l’hôpital. Lors de l’adoption de la loi, bien que l’acquisition d’un scanner n’était pas expressément prévue, les citoyens devaient supposer que la réalisation des tâches dévolues à l’hôpital impliquerait l’utilisation de nouvelles technologies inconnues lors de l’adoption de la loi751.

De même, un crédit d’étude destiné à la réhabilitation de l’ancienne caserne de Zurich a été considéré comme dépense liée puisque la marge de manœuvre laissée par la loi à l’administration ne portait pas sur des points suffisamment importants752.

Le Tribunal fédéral a également admis qu'en décidant de transférer les sections de mathématiques, de physique et de chimie à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour axer l'enseignement et la recherche dans les domaines des sciences de la vie et des sciences humaines, l'Université de Lausanne a agi dans le cadre de sa tâche principale définie dans la loi sur l’Université753 et que les dépenses qui en découlent répondent à un besoin prévisible754. En s'abstenant de définir plus précisément dans la loi les tâches de l'Université, le législateur vaudois a permis des changements dans

745 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.722/2000 du 12 juin 2001, consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 52/2001 du 29 mars 2001, consid. 3c ; ATF 125 I 87, consid. 3b = JdT 2001 I 22 ; ATF 117 Ia 59. consid. 4c = JdT 1993 I 258 ; ATF 115 Ia 139, consid. 2c = JdT 1991 I 7.

746 ATF 105 Ia 80 = JdT 1981 I 322 ; ATF 100 Ia 372, consid. 3c.

747 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.818/2006 du 9 mars 2007, consid. 3 ; ATF 113 Ia 390 ; ATF 111 Ia 34 = JdT 1986 I 264.

748 ATF 96 I 705 = JdT 1972 I 518.

749 ATF 117 Ia 62.

750 Arrêt du Tribunal fédéral du 7 juin 1985, in : ZBl 1986, p. 450.

751 ATF 116 Ia 1, consid. 4 = JdT 1991 I 16.

752 ATF 125 I 87, consid. 4c = JdT 2001 I 22.

753 Art. 2 al. 1 de la loi du 6 juillet 2004 sur l'Université de Lausanne (LUL), RS/VD 414.11.

754 Arrêt du Tribunal fédéral 1P. 52/2001 du 29 mars 2001, consid. 3e.

l'orientation de l'enseignement et de la recherche universitaires que postulent les développements de la science et de la technique.

Les dépenses relatives à la mise à niveau de l’exploitation informatique du canton de Vaud, notamment dans l’amélioration de la sécurité de l’exploitation de l’infrastructure informatique, ont été également assimilées à des dépenses liées755.

Une affaire genevoise a posé la question intéressante de savoir si l’utilisation d’un solde de crédit pour une extension du projet initial doit être soumise à référendum. Le conseil municipal de la Ville de Genève a ouvert en 1996 un crédit de 2,5 millions pour permettre la réalisation de l’aménagement de la rue de Rive. En 1999, le conseil municipal a adopté une résolution par laquelle 300'000 francs étaient prélevés sur le solde du crédit de 2,5 millions afin de financer l’aménagement provisoire d’un autre périmètre de la Vieille-Ville genevoise en zone résidentielle. Il s’agissait d’un crédit d’étude, car il n’était pas question de financer les travaux définitifs mais bien de réaliser des aménagements à l’essai, des « tests grandeur nature » destinés à décider si ce secteur devait être aménagé en rue résidentielle. Le Tribunal fédéral a estimé que, même si elle consacre une légère extension du cadre du crédit initial, l’affectation décidée par le conseil municipal paraît s’inscrire dans l’objectif poursuivi qui est un aménagement de la circulation en Vieille-Ville de Genève et n’a par conséquent pas à être soumise au vote populaire756.

La décision de l’exécutif de la ville de Lucerne du 1er février 2006 d’acquérir des ordinateurs pour les classes primaires a aussi été considérée comme dépense liée, puisqu’elle s’ancrait dans le Planungsbericht zum Einsatz der neuen Informations- und Kommunikationstechnologien du 17 juin 2005757. 2.2.2 La dépense nouvelle

Si une dépense n’est pas liée, elle est forcément nouvelle et partant soumise à votation populaire. Tel est le cas « lorsqu’elle se rapporte à une tâche qui sort du champ d’activité antérieur de l’administration ou lorsqu’elle découle d’un acte normatif qui laisse à l’autorité une marge de manœuvre relativement importante, quant à l’étendue de cette dépense, quant au moment où elle sera engagée ou quant à d’autres modalités »758. Il y a dépense nouvelle à chaque fois qu’elle n’est pas prévisible pour les citoyens au moment où ils se prononcent sur l’acte qui lui sert de base759.

La jurisprudence fédérale a retenu, comme dépenses nouvelles, les dépenses relatives à la rénovation ou à la transformation d’un bâtiment

755 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.722/2000 du 12 juin 2001, consid. 3b.

756 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.7/2000 du 18 mai 2000, consid. 5.

757 Arrêt du Tribunal fédéral 1C_175/2007 du 13 novembre 2007.

758 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.722/2000 du 12 juin 2001, consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 52/2001 du 29 mars 2001, consid. 3c ; ATF 125 I 87, consid. 3b = JdT 2001 I 22.

759 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.7/2000 du 18 mai 2000, consid. 5a ; ATF 125 I 87, consid. 3b = JdT 2001 I 22;

ATF 117 Ia 59, consid. 4c = JdT 1993 I 258 ; ATF 115 Ia 139, consid. 2c = JdT 1991 I 7.

étatique760, à l’achat d’un bâtiment761, à la construction de routes762, à l’achat d’un ordinateur763, à la construction de bâtiments et d’abris de protection civile764.

En 1996, le Tribunal fédéral s’est penché sur une affaire saint-galloise : la ville de Saint-Gall n’avait pas soumis au vote populaire un crédit pour la construction d’un poste de protection civile. Elle avait en effet déduit du montant total du crédit la partie financée par un fonds prévu pour le financement d’abris publics alimenté par les contributions de remplacement payées par les propriétaires d’immeubles dispensés de l’obligation d’aménager un abri. La Haute Cour a jugé que ce prélèvement et l’affectation de ces contributions de remplacement ont été à tort soustraits au référendum, car ils constituent une dépense nouvelle765.

Les frais liés à la transformation d’un immeuble commercial dans le canton de Zurich en un tribunal d’arrondissement doivent être considérés comme une dépense nouvelle en raison de la marge de manœuvre dont dispose l’autorité dans l’acquisition d’immeubles766.

De même, l’augmentation du capital de dotation de la banque cantonale d’Appenzell Rhodes-Extérieures est une dépense nouvelle, car elle implique une augmentation des fonds propres ainsi qu’un accroissement de la responsabilité de l’Etat767.

2.2.3 La pratique cantonale dérogatoire

Les notions de dépense liée et de dépense nouvelle ne s’imposent pas nécessairement aux cantons. En effet, si le droit cantonal ou une pratique établie et incontestée des organes cantonaux consacrent une approche différente, il peut être dérogé aux notions dégagées par la jurisprudence fédérale768. Le référendum financier étant une institution de droit cantonal, le Tribunal fédéral en tant que juge constitutionnel doit uniquement contrôler que les droits de participation du citoyen ménagés par la constitution sont sauvegardés. Dans l’exercice de cette fonction, le Tribunal fédéral doit s’assurer que le référendum financier, tel que le prévoit le droit constitutionnel

760 Arrêt du Tribunal fédéral du 24 mai 1978, in : ZBl 1979, p. 120.

761 ATF 106 Ia 383 ; ATF 102 Ia 457 = JdT 1978 I 315.

762 ATF 102 Ia 457 = JdT 1978 I 315.

763 ATF 108 Ia 234 = JdT 1984 I 113.

764 ATF 115 Ia 139 = JdT 1991 I 7.

765 ATF 122 I 11, consid.2b = JdT 1998 I 221.

766 ATF 123 I 78, consid. 5.

767 Arrêt du Tribunal fédéral du 5 novembre 1993, in : ZBl 1994, p. 228, consid. 6b.

768 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.722/2000 du 12 juin 2001, consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 52/2001 du 29 mars 2001, consid. 3c ; ATF 125 I 87, consid. 3b = JdT 2001 I 22 ; ATF 117 Ia 59, consid. 4c = JdT 1993 I 258.

cantonal, est traité de manière judicieuse, c’est-à-dire en considération de son rôle politique, et qu’il n’est pas vidé de sa substance769.

Le Tribunal fédéral pose des exigences élevées à l’établissement d’une pratique cantonale qui s’écarte de la notion de dépense liée dégagée par sa jurisprudence. Afin qu’une pratique cantonale soit reconnue comme telle, il est nécessaire que le canton en apporte la preuve détaillée. Une simple affirmation des autorités cantonales de l’existence d’une pratique s’écartant des notions fédérales n’est pas suffisante770. A défaut de preuve, les définitions dégagées de la jurisprudence du Tribunal fédéral s’appliquent. Nous relevons deux pratiques cantonales admises par la Haute Cour.

La première est zurichoise. Des citoyens zurichois prétendent dans un recours de droit public pour violation des droits politiques que le crédit de 9,3 millions voté par le Grand Conseil pour la part cantonale à l’extension des installations de fret de l’aéroport de Zurich aurait dû être soumis au référendum financier obligatoire en raison des dépenses de loyers que l’extension projetée entraînera pour l’Etat. Le Grand Conseil du canton de Zurich est parvenu à apporter la preuve exigée par le Tribunal fédéral, de la pratique dérogatoire du canton de Zurich. Seules les constructions nouvelles dont l’Etat a besoin pour y loger ses services sont soumises au référendum financier, mais non les contrats de bail : le Grand Conseil a établi une liste de douze contrats de bail relatifs à des immeubles affectés à divers services publics, tels que la police, la formation professionnelle, le matériel scolaire …, dont les montants dépassent tous la limite référendaire et ont été approuvés par voie budgétaire771.

La constitution valaisanne introduit également une notion de dépense particulière. Elle prévoit à l’article 30 ch. 4 que les dépenses extraordinaires supérieures à un certain montant qui ne peuvent pas être couvertes par les recettes ordinaires du budget, sont soumises à votation populaire. Le Tribunal fédéral a constaté que la notion de dépense extraordinaire au sens de cette disposition est plus étroite que celle de dépense nouvelle. Cette pratique cantonale soustrait au référendum financier des domaines dans lesquels l’autorité jouit d’une grande marge de manœuvre, comme les crédits pour la construction ou l’entretien des routes772. Comme cette pratique est très favorable aux autorités, le Tribunal fédéral a estimé qu’il ne faut pas restreindre à l’excès la notion de dépense extraordinaire, ce qui aurait pour conséquence d’empêcher le peuple de se prononcer sur beaucoup de dépenses773. On ne peut donc que relever le respect du droit cantonal dont fait montre le Tribunal fédéral qui n’impose qu’une interprétation restrictive de cette notion.

769 ATF 125 I 87, consid. 3b = JdT 2001 I 22 ; ATF 121 I 291, consid. 2c ; ATF 117 Ia 59, consid. 4c = JdT 1993 I 258 ; ATF 116 Ia 2, consid. 3b = JdT 1991 I 17.

770 ATF 117 Ia 59, consid. 4c = JdT 1993 I 258.

771 Ibidem.

772 ATF 102 Ia 467.

773 Arrêt du Tribunal fédéral du 8 août 1991, in : RVJ 1993, p. 96, consid. 2.

2.2 La jurisprudence cantonale

La jurisprudence cantonale consacre également les notions de dépense liée et de dépense nouvelle.

Un arrêt bâlois traite de la qualification d’une dépense ; il se rapporte à un crédit décidé en 1987 relatif à un projet global relatif à un plan régional des pistes cyclables. Par la suite, en 1990, la somme attribuée à une partie du projet s’est vue largement augmentée. Le Verfassungsgericht de Bâle-Campagne a été amené à trancher la question de savoir si cette dépense devait être considérée comme liée ou nouvelle. Dans son jugement, le Tribunal constitutionnel fait référence à la loi cantonale sur les routes qui distingue les coûts de construction (dépenses nouvelles) des coûts d’entretien (dépenses liées). La piste cyclable étant une nouvelle installation, la dépense doit être qualifiée de nouvelle. Le Tribunal constitutionnel se pose la question de savoir si cette dépense peut être qualifiée de liée en raison du crédit de 1987. Toutefois, contrairement aux considérations du Conseil d’Etat qui accorde de l’importance au montant global du projet et non pas à la répartition faite entre ses différentes parties, le Tribunal soutient qu’au vu de l’augmentation conséquente de la partie du projet concernée, la dépense sort du cadre initial et doit être qualifiée de nouvelle. Les citoyens ne doivent pas se prononcer uniquement sur le concept du projet, mais également sur ses parties isolées, surtout lorsque les coûts apparaissent aussi élevés que dans le cas d’espèce774.

Dans un autre arrêt, le Tribunal constitutionnel se penche sur l’examen d’un projet global qui contient tant des dépenses nouvelles que des dépenses liées. Il a admis qu’un crédit global peut contenir à la fois des dépenses liées et des dépenses nouvelles sans que cela constitue une violation des droits politiques775.

Enfin, l’achat par la ville d’Olten d’une place de tir a été soumis au référendum financier et rejeté en votation populaire. Des recourants ont estimé que cette décision n’aurait pas dû être soumise à votation populaire, car elle représentait une dépense liée. Le Conseil d’Etat soleurois a estimé, au contraire, que l’achat de cette place de tir représentait une dépense nouvelle, car la ville disposait d’une importante marge de manœuvre en la matière et avait choisi cette option parmi trois variantes776.