• Aucun résultat trouvé

démocratie directe

A. Le recours devant les instances cantonales

1. L’autorité compétente

La réforme de la justice impose aux cantons d’établir une instance de recours cantonale contre tout acte d’autorité susceptible de violer les droits populaires des citoyens (art. 88 al. 2 LTF)67. Dans cette optique, il paraît intéressant de relever les pratiques actuelles des vingt-six cantons suisses, afin de mettre en évidence les cantons qui disposent d’une autorité politique et ceux qui ont instauré une autorité judiciaire (1.1), avant de s’interroger sur la nécessité d’imposer une instance de recours cantonale judiciaire (1.2).

1.1 La pratique actuelle dans les vingt-six cantons suisses

Suivant les cantons, l’autorité compétente peut être une autorité judiciaire ou une autorité politique. Il peut également arriver qu’une autorité politique statue en première instance et qu’une autorité judiciaire se prononce en deuxième instance. Dans certains cantons, les autorités de recours ne sont pas les mêmes suivant l’objet du recours (une initiative, une votation ou un référendum) ou encore suivant le niveau duquel il émane (communal ou cantonal). Face à toutes ces particularités, nous avons tenté de dégager la tendance principale qui ressort de chaque canton.

Parmi les cantons qui ont instauré une instance unique de recours judiciaire se trouvent les cantons de Schwyz68, de Fribourg69 et de Genève70

67 L’article 130 al. 3 LTF pévoit que les cantons ont deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la LTF pour édicter les dispositions relatives à la procédure des autorités précédentes au sens de l’article 88 al. 2 LTF.

68 Art. 53a Gesetz über die Wahlen und Abstimmungen du 15 octobre 1970 (RS/SZ 120.100).

69 Art. 150 al. 1 et 155 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 6 avril 2001 (RS/FR 115.1). Les contestations des actes préparatoires relatifs aux votations cantonales sont toutefois tranchées en principe par le Conseil d’Etat ; pour les actes préparatoires relatifs aux votations communales, la compétence revient au préfet, sauf s’il est lui-même remis en cause (art. 150 al. 2 de la loi sur l’exercice des droits politiques).

70 Art. 180 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (RS/GE A.5.05) : art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (RS/GE E.2.05).

le Tribunal administratif assure le respect des droits populaires cantonaux et communaux. Le canton du Jura a octroyé ces compétences à la Cour constitutionnelle71. Dans les cantons de Vaud72 et de Bâle-Ville73, la Cour constitutionnelle est compétente pour tout litige relatif à une décision d’invalidité d’une initiative populaire.

Neuf cantons, en majorité suisses alémaniques, ont institué un organe politique comme autorité de recours. Dans les cantons de Lucerne74, d’Argovie75, d’Obwald76, de Berne77, de Soleure78, de Thurgovie79, d’Appenzell Rhodes-Intérieures80, du Tessin81, de Zurich82, il s’agit, en principe, du gouvernement.

Enfin, dans une majorité des cantons, le gouvernement ou parfois la chancellerie cantonale rend en première instance un arrêt qui est susceptible de recours auprès d’une autorité judiciaire. Cette autorité de recours peut être le Tribunal administratif, comme dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Extérieures83, de Glaris84, de Saint-Gall85, de Neuchâtel86, de Zoug87, et dans

71 Art. 108 et 109 de la loi sur les droits politiques du 26 octobre 1978 (RS/JU 161.1) : le Tribunal administratif est parfois compétent en première instance. Tel est le cas du référendum en matière communale (art. 110 lit b).

72 Art. 123g de la loi sur l’exercice des droits politiques du 16 mai 1989 (RS/VD 160.01).

73 Art. 16 Gesetz betreffend Initiative und Referendum du 16 janvier 1991 (RS/BS 131.100).

74 Art. 158 Stimmrechtsgesetz du 25 octobre 1988 (RS/LU 10).

75 Art. 71 Gesetz über die politischen Rechte (GPR) du 10 mars 1992 (RS/AG 131.100): Le Conseil d’Etat est compétent pour statuer sur les Wahl-Abstimmungsbeschwerde dans les affaires cantonales ; le Département de l’intérieur est compétent pour statuer sur les Stimmrechtsbschwerde et les Wahl-Abstimmungsbeschwerde dans les affaires communales et fédérales : sa décision est susceptible de recours au Conseil d’Etat.

76 Art. 54 Gesetz über die Ausübung der politischen Rechte du 17 février 1974 (RS/OW 122.1).

77 Art. 89 et 92 loi sur les droits politiques du 5 mai 1980 (RS/BE 141.1). L’article 93 al. 2 prévoit toutefois un recours auprès du parlement si le résultat d’une votation cantonale est contesté.

78 Art. 157 al. 1 Gesetz über die politischen Rechte du 22 septembre 1996 (RS/SO 113.111).

79 Art. 81 Gesetz über das Stimm- und Wahlrecht du 15 mars 1995 (RS/TG 161.1) ; les recours sont adressés au département compétent. Le recours contre les décisions de la Chancellerie s’effectue toutefois auprès du Tribunal administratif.

80 Art. 52 Verwaltungsverfahrensgesetz (VerwVG) du 30 avril 2000 (RS/AI 190) : la compétence revient à la Standeskommission.

81 Art. 163 à 165 Legge sull’esercizio dei diritti politici du 7 octobre 1998 (RS/TI 1.3.1.1) : le gouvernement est compétent pour les recours contre des contestations du registre civique et contre les votations communales.

Le Grand Conseil statue sur les recours contre les votations cantonales.

82 Art. 149 Gesetz über die politische Rechte du 1er septembre 2003 (RS/ZH 161) : le Bezirksrat est compétent pour statuer sur les votations communales ; le gouvernement cantonal pour les autres cas.

83 Art. 62 et 65bis Gesetz über die politischen Rechte du 24 avril 1988 (RS/AR 131.12).

84 Art. 114 al. 2 Verwaltungsrechtspflegegesetz du 4 mai 1896 (RS/GL III G/1) ; art. 57 Gesetz über die Wahlen und Abstimmungen an der Urne du 7 mai 1989 (RS/GL I D/22/2) ; art. 114 al. 1 Verwaltungsrechtspflegegesetz du 4 mai 1896 (RS/GL III G/1).

85 Art. 46 Gesetz über die Urnenabstimmungen du 4 juillet 1971 (RS/SG 125.3) ; art. 59bis Gesetz über die Verwaltungsrechtspflege du 16 mai 1965 (RS/SG 951.1).

86 Art. 134 de la loi sur les droits politiques du 17 octobre 1984 (RS/NE 141) : la chancellerie cantonale est compétente en première instance. Le recours au Tribunal administratif contre les décisions du parlement cantonal et du gouvernement cantonal n’est pas ouvert.

87 Art. 67 Gesetz über die Wahlen und Abstimmungen du 28 septembre 2006 (RS/ZG 131.1) ; art. 61 al. 1 chiffre 2 Gesetz über den Rechtsschutz in Verwaltungssachen du 1er avril 1976 (RS/ZG 162.1).

certains cas dans le canton de Bâle-Ville88 et plus rarement dans le canton du Tessin89. La Cour constitutionnelle peut également être saisie en deuxième instance dans les cantons de Vaud90, de Bâle-Campagne91, des Grisons92 ou de Nidwald93. Certains cantons comme Uri94, Schaffhouse95 et le Valais96, ont instauré le Tribunal supérieur comme instance de recours.

88 Art. 81 et 84 Gesetz über Wahlen und Abstimmungen du 21 avril 1994 (RS/BS 132.100) : le recours auprès du Tribunal administratif est ouvert contre tous les jugements du Conseil d’Etat relatifs aux votations cantonales. Il est également ouvert contre les décisions de la chancellerie cantonale, voir art. 11 et 37 al. 3 Gesetz betreffend Initiative und Referendum du 16 janvier 1991 (RS/BS 131.100).

89 Art. 208 al. 1 Legge organica comunale du 10 mars 1987 (RS/TI 2.1.1.2) ; art. 167 al. 2 Legge sull’esercizio dei diritti politici du 7 octobre 1998 (RS/TI 1.3.1.1).

90 Art. 122 al. 2 et 123a de la loi sur l’exercice des droits politiques du 16 mai 1989 (RS/VD 160.01).

91 Art. 83 et 88 Gesetz über die politischen Rechte du 7 septembre 1981 (RS/BL 120) ; art. 37 cstc/BL.

92 Art. 95 Gesetz über die politischen Rechte im Kanton Graubünden (GPR) du 17 juin 2005 (RS/GR 150.100) ; art. 55 cstc/GR.

93 Art. 77 et 78 Gesetz über die politischen Rechte im Kanton du 26 mars 1997 (RS/NW 132.2) ; art. 69 al. 2 cstc/NW.

94 Art. 82 Gesetz über die geheimen Wahlen, Abstimmungen und die Volksrechte du 21 octobre 1979 (RS/UR 2.1201) ; art. 54 Verordnung über die Verwaltungsrechtspflege du 23 mars 1994 (RS/UR 2.2345).

95 Art. 82bis et 82ter Wahlgesetz du 15 mars 1904 (RS/SH 160.100).

96 Art. 215 et 217 de la loi sur les droits politiques du 13 mai 2004 (RS/VS 160.1) ; le Conseil d’Etat statue en première instance sur la régularité d’une votation communale, le Tribunal cantonal en deuxième instance. EN revanche, le Grand Conseil statue sur les litiges relatifs aux votations cantonales et à la validité des initiatives (art. 106). Aucun recours au Tribunal cantonal n’est prévu.

Tableau des autorités cantonales compétentes

Autorité compétente Cantons

Tribunal administratif SZ, FR, GE Autorité judiciaire

Cour constitutionnelle JU

VD et BS (seulement pour la contestation de la décision d’invalidité d’une initiative)

Autorité politique Gouvernement BE, LU, AG, OW, SO, TG, AI

(Standeskommission), ZH, TI (le parlement est toutefois compétent pour les recours contre le résultat des votations cantonales)

2ème instance : Tribunal administratif

AR, GL, NE, SG, ZG, TI (dans quelques rares cas)

BS (pour les recours dirigés contre les jugements du Conseil d’Etat relatifs aux votations et contre les décisions de la chancellerie cantonale) 2ème instance :

Tribunal

constitutionnel / Cour constitutionnelle

VD, BL, GR, NW 1ère instance :

autorité politique

2ème instance : autorité judiciaire

2ème instance : Tribunal supérieur

UR, VS, SH

1.2 Cette autorité doit-elle être judiciaire ?

Principale nouveauté apportée par la réforme de la justice, l’article 88 al. 2 LTF impose désormais aux cantons d’établir une instance de recours cantonale contre tout acte d’autorité susceptible de violer les droits politiques des citoyens. Ainsi, l’intervention d’une autorité communale dans une campagne référendaire doit pouvoir être déférée devant une instance cantonale avant d’être soumise au Tribunal fédéral. Si l’article 191b al. 1 Cst. prévoit que l’instance précédant le Tribunal fédéral doit être un tribunal, l’article 29a Cst.

permet toutefois au législateur cantonal d’y renoncer dans des cas exceptionnels. L’article 88 al. 2 LTF renonce dès lors à prescrire que la compétence juridictionnelle soit attribuée à un tribunal cantonal, laissant cette question à l’interprétation future de la garantie constitutionnelle de l’accès au juge97. En raison du caractère politique prépondérant, le Conseil fédéral a

97 MCF du 28 février 2001, FF 2001, p. 4125.

estimé qu’il n’était pas nécessaire d’obliger les cantons à changer sur ce point leurs systèmes juridictionnels98. Le législateur fédéral a volontairement laissé ouverte la question de savoir si, dans le domaine des droits politiques, l’instance précédant le Tribunal fédéral devait aussi être un tribunal. Il a préféré laisser au Tribunal fédéral le soin de trancher la question99.

Cette exception à la garantie de l’accès au juge est critiquable à plusieurs égards. D’abord, elle ne suit pas l’objectif de la réforme de la justice qui était de décharger le Tribunal fédéral, en empêchant qu’il soit la première instance judiciaire à se prononcer. Tel est l’un des buts que poursuit l’article 29a Cst.

Les exceptions que prévoit cette disposition constitutionnelle doivent être ponctuelles100. L’article 29a Cst. peut difficilement être interprété de manière à ce qu’il en découle une exclusion de tout le domaine des droits politiques cantonaux et communaux101.

Ensuite, l’instauration d’une instance de recours judiciaire cantonale permettrait de prévenir le danger que les décisions soient motivées essentiellement par des motifs politiques. Elle conduirait par ailleurs à une décharge du gouvernement et du parlement qui pourraient se consacrer à leurs tâches primaires.

Enfin, le recours au Tribunal fédéral contre la décision prise par une autorité cantonale politique ne suffirait pas pour respecter les exigences de la garantie de l’accès au juge dans la mesure où le Tribunal fédéral ne dispose pas d’un plein pouvoir d’examen à l’égard des faits (art. 105 LTF)102.

S’ajoute à cela le fait que la solution du tribunal comme instance de recours est déjà en place dans plus de la majorité des cantons et semble avoir fait ses preuves. En conséquence, si le Tribunal fédéral devait interpréter l’article 88 al.

2 1ère phrase LTF de manière conforme à la Constitution, il aboutirait à la conclusion que les cantons doivent instaurer une instance judicaire103. Dans un obiter dictum, il a d’ailleurs déjà tranché la question dans cette direction104.

98 MCF du 28 février 2001, FF 2001, p. 4125.

99 KIENER (2007), p. 250 ; TOPHINKE (2006), p. 105.

100 HALLER (2002), p. 425 ; RHINOW (2003), n° 2605.

101 Dans ce sens, SCHEFER (2001), p. 526.

102 Voir infra point B.6.

103 Dans ce sens, BESSON (2006), p. 432-435 ; KIENER (2007), p. 250 ; TOPHINKE (2006), p. 104 ss ; THOMAS

PFISTERER (2006), « Der kantonale Gesetzgeber vor der Reform der Bundesrechtspflege », in : EHRENZELLER/SCHWEIZER (éd.), Die Reorganisation der Bundesrechtspflege, St-Gall, p. 305 ss ; RUTH HERZOG

(2007), « Auswirkungen auf die Staats- und Verwaltungsrechtspflege », in : TSCHANNEN (éd.), Neue Bundesrechtspflege, Berne, p. 249 ss ; contra : SEILER (2007), ad art. 88, n° 10 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER

(2006), p. 27, n° 1968 ; LUGON/POLTIER/TANQUEREL (2006), p. 117.

104 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.338/2006 du 12 février 2007, consid. 3.10 : pour un commentaire de cet arrêt, voir GIOVANNI BIAGGINI (2007), in : ZBl 2007, p. 313.