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Les entretiens de décryptage du sens : un accès privilégié aux valeurs agies

3- Le primat de la référence à l’action

Chez Vermersch, le primat de la référence à l'action (Piaget) fonde la démarche d'explicitation, seule source d'inférences fiables pour mettre en évidence « Les raisonnements effectivement mis en œuvre...les buts réellement poursuivis...les savoirs théoriques effectivement utilisés » (1994, p. 18).

3-1 L’action comme connaissance autonome

Si la mise au jour de l'implicite permet d'obtenir une description détaillée de l'action effectivement réalisée, la verbalisation de cette action n'est pas habituelle. La technique d’accompagnement implique alors deux conditions. Il s’agit d’une part d’accompagner l’interviewé vers une focalisation ; l’idée étant de faire en sorte qu’il se rapporte à une situation singulière, non généralisée : ce jour-là et non « d’habitude ». Il s’agit d’autre part de guider l’évocation pour rapporter la verbalisation à un vécu spécifié, accompli dans le cadre d’une activité mentale particulière : la présentification du moment passé.

La position de parole incarnée représente pour Vermersch cette forme de relation intérieure au moment passé que nous sommes en train de décrire ; une parole qui se rapporte au vécu sur le mode vivant du revécu (2000) permettant de revivre la situation, de la retrouver, d’entrer en contact avec elle (1994).

132 Dans l'explicitation, celui qui mène l'entretien cherche à susciter une position de parole (évocation) permettant au sujet d'explorer pas à pas son vécu et de verbaliser l’implicite. L'explicitation repose sur un point de vue en première personne (le fait de se rapporter à sa propre expérience subjective) qui se distingue d'un point de vue en deuxième personne (recueillir des données subjectives à partir de l'expression des sujets pour eux-mêmes) et d’un point de vue en troisième personne (ne pas recueillir d'information sur la dimension subjective).

Vermersch identifie ainsi plusieurs domaines de verbalisation parmi lesquels la mise en mots de l'action, dans sa dimension procédurale, est plus particulièrement recherchée dans l'entretien d'explicitation.

3-2 L’action vécue et les informations satellites

La verbalisation du vécu de l'action appartient au domaine des verbalisations descriptives des aspects du vécu parmi lesquels on trouve également : le vécu émotionnel, le vécu sensoriel, le vécu de la pensée (Vermersch, 1994). L’entretien d’explicitation permet de canaliser la verbalisation vers la description du vécu de

l’action. La description de l'action dans ses opérations élémentaires d'identification,

d'exécution, organisées séquentiellement permet alors d’engager une distinction entre ce qui relève d’une part du procédural (action) et d’autre part, des « informations satellites » de l’action vécue : les contextes, buts, commentaires et savoirs qui lui sont plus ou moins associés. La mise en mots de l'action doit faire référence à une situation réelle et spécifiée ; l’intervieweur doit ainsi canaliser la verbalisation vers le

vécu del'action effective en organisant les relances adaptées.

Vermersch représente alors l’action vécue au centre d’un schéma qui contient l’ensemble des informations satellites pouvant faire l’objet de relances destinées à documenter le vécu :

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Figure 9 : Le système des informations satellites de l’action vécue (Vermersch, 1994, p. 45)

- Sur l’axe vertical, les informations concernent (en haut) ce qui relève des contextes et circonstances reliés à l’action en ce qu’elles en définissent les variables et (en bas), les jugements (commentaires et croyances) qui touchent à la réalisation de l’action. Ces informations n’apportent pas d’élément sur le « faire » ; elles peuvent néanmoins faire l’objet de relances selon les objectifs poursuivis.

- Sur l’axe horizontal, Vermersch articule ce qui relève du déclaratif (savoirs théoriques susceptibles de fonder les raisons de l’action) et de l’intentionnel (buts visés). Ces éléments peuvent faire l’objet de questions de type « Qu’est-ce que vous savez déjà ? » (savoirs), « Qu’est-ce que vous cherchez (buts) ? » (Faingold, 1998).

Pour accéder au primat du procédural, l’intervieweur va s’intéresser à l’action effectivement réalisée : les actions effectives (enchaînement, succession) et les articulations entre « prises d’information » et « opérations de réalisation/prises de décision ». La canalisation du sujet vers la description du procédural constitue le but de l’explicitation. L’entretien d’explicitation fait ainsi appel à la mémoire concrète : la mémoire du vécu dans tout ce qu’il comporte de sensorialité (Vermersch, 1994).

134 3-3 L’appel à la mémoire concrète et la fonction des relances

L’appel à la mémoire concrète implique pour l’intervieweur de repérer la présence ou l’absence de position de parole incarnée par des indicateurs non verbaux tels que le décrochage du regard ou le ralentissement du rythme de la parole (Vermersch, ibid). Le guidage vers l’évocation repose alors sur différentes techniques : ralentir le rythme, faire spécifier, parler à l’autre de son vécu sans le nommer. Ce guidage s’appuie sur l’hypothèse d’un inconscient phénoménologique : le vécu singulier est entretissé d’autres sédimentations que le guidage vers l’évocation sensorielle permet d’éveiller par association ou résonance (Vermersch, 2008). Ce guidage évite toute recherche volontaire directe du contenu à rappeler. Il repose sur l’établissement d’une communication qui implique qu’une attention particulière soit portée au rythme de la voix (et au ton), à la gestualité et à l’écoute de la langue sensorielle utilisée (gestes oculaires par exemple).

Ce guidage ne peut commencer sans l’établissement préalable d’un contrat de communication qui en garantit les conditions éthiques et qui nécessite de recueillir et de renouveler l’accord du sujet autant de fois que nécessaire.

Pour initier le contexte dans lequel va démarrer l’entretien, les formulations initiales tentent de privilégier des consignes directes et positives. Vermersch utilise une phrase récurrente, la « phrase magique » (2012, p. 69) qu’il décompose comme suit : « Je vous propose, si vous en êtes d’accord, de laisser revenir, un moment… ».

Le guidage vers l’évocation nécessite ensuite une installation dans le contexte : « un guidage de l'intervieweur vers les éléments les plus concrets du moment exploré permet au sujet de recontacter le lieu, sa place dans l'environnement, sa posture » (Faingold, 1998, p. 18). L’orientation des questionnements au cours de l’entretien d’explicitation se situe ensuite dans une non-directivité (Vermersch, 1994) à moins que la verbalisation ne parte dans d’autres domaines que celui de la verbalisation de l’action ; auquel cas l’intervieweur devra intervenir pour canaliser l’évocation.

135 Ces interventions directives constituent des décisions de relance qui sont de trois types : la focalisation, l’élucidation et la régulation.

- La focalisation permet de délimiter avec l’interviewé la situation qui va faire l’objet de l’entretien. Le déroulement chronologique des étapes engage alors le suivi de la situation dans son déroulement temporel ; le « top départ » peut également être marqué par ce que le sujet identifie comme étant le début de la situation.

- L’élucidation va tendre vers ce que Vermersch appelle la granularité de la description (ibid). La formulation des relances repose sur le déroulement temporel de l’action en train d’être décrite : « Par quoi avez-vous commencé ? Qu’avez-vous fait ensuite ? Et puis après qu’avez-vous fait ?... ». Tout au long de ce déroulement, la technique de questionnement implique de différencier ces actions d’exécution des actions d’identification qui les accompagnent : « Comment saviez-vous que ? A quoi avez-vous reconnu que ?... ». L’ensemble de ces relances s’inscrit dans la modélisation du cycle élémentaire de toute micro-action (modèle de l’action).

Faingold (2005) le représente comme suit :

(1) Prise d’information-identification

(2) Prise de décision-effectuation

La ligne (1) correspond au traitement de l’information à partir de prises d’informations sensorielles. La ligne (2) correspond aux prises de décision suivant le déroulement temporel de l’action.

Vermersch (ibid) distingue quatre niveaux de description permettant de fragmenter le déroulement de l’action : au niveau 1, l’unité d’analyse, au niveau 2, la tâche, au niveau 3, l’opération, au niveau 4, les composantes de l’opération. L’entretien d’explicitation vise plus particulièrement les fragmentations de niveaux 2 et 3. Au niveau 2 (la tâche), la description engage les étapes, les actions élémentaires associées à chacune des étapes et, pour chaque action élémentaire, les opérations d’identification et d’effectuation. Au niveau 3 (l’opération), l’analyse vise la fragmentation de l’une des opérations.

136 La cohérence globale recherchée permet de fixer un objectif à la progression de l’échange : le déroulement temporel, la granularité de la description, la décomposition en prises d’information et d’exécution, les informations complémentaires (parmi les informations satellites).

- La régulation de l’échange permet d’atteindre les conditions de verbalisation à travers la formulation de relances lorsque l’interviewé présente des difficultés à accéder à une situation spécifique ou à se maintenir dans une position de parole

incarnée. Les relances s'inscrivent dans un processus de réduction

phénoménologique en référence à la phénoménologie husserlienne.