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La reconnaissance de l’éthos professionnel à partir d’un engagement dans la pratique

2- Ethos et développement professionnel

La construction de l’éthos professionnel des coordinateurs repose sur les interactions qu’ils développent au sein des communautés de pratique. Le chemin vers l’éthos professionnel est ainsi marqué par des actes professionnalisants qui articulent la construction singulière de l’identité axiologique avec la manifestation d’un pouvoir d’agir dans plusieurs espaces simultanés (Jorro, 2009c ; 2010).

2-1 Des actes professionnalisants

Les actes professionnalisants en situation de formation marquent une différence entre une situation initiale et une nouvelle étape dans le développement professionnel ; le sentiment d’avoir franchi un pas. L’acte professionnalisant, vécu comme une expérience significative, se différencie d’un savoir détenu (inscrit dans une démarche antérieure). Les actes professionnalisants sont marqués par des caractéristiques communes : une activité inscrite dans une organisation professionnelle en grandeur réelle, une expérience inédite qui permet au sujet de découvrir une situation nouvelle, une épreuve personnelle et imprévisible, une dimension réflexive qui accompagne l’analyse de la pertinence de l’activité.

Jorro note que les actes professionnalisants mobilisés par les professionnels en reconversion relèvent d’une pratique réflexive qui leur permet d’envisager leurs compétences de manière différente. De la même façon, les coordinateurs en centre social, s’ils ne vivent pas leur première expérience professionnelle, sont amenés à opérer des reconfigurations de sens lorsqu’ils s’engagent dans une pratique d’accompagnement de bénévoles.

105 L’instabilité dans laquelle cette situation les place est propice au remaniement professionnel. Les actes professionnalisants produisent ainsi des effets qui relèvent d’un accomplissement professionnel : renforcement de la confiance en soi, autorisation d’aller de l’avant, découverte d’une autonomie dans l’action, acquisition d’une crédibilité devant autrui (Jorro, 2009c).

La légitimation des actes professionnalisants se traduit par des formes de reconnaissance professionnelle qui implique des relations interpersonnelles et une dimension organisationnelle (Jorro, 2010). Ces relations se jouent à des niveaux informels (appréciations informelles, complicité) ou à travers des temps formalisés parmi lesquels les entretiens de co-évaluation participent fortement de la légitimation du positionnement professionnel. Les professionnels en reconversion s’appuient davantage sur la structure organisationnelle dans leur quête de légitimation. L’organisation du milieu du travail apparaît ainsi comme une source importante de reconnaissance pour des professionnels déjà aguerris.

2-2 Des transactions sociales

Jorro (2011b) caractérise quatre paliers de reconnaissance qui traduisent les étapes vécues d’un processus d’engagement en situation d’alternance : une reconnaissance académique (le cadre de la formation), une reconnaissance ponctuelle (une rencontre déterminante), une reconnaissance située (une mise en situation professionnelle), une quête d’attribution sociale (après-formation). Ces paliers de reconnaissance s’inscrivent en écho aux effets produits par les contextes sur la construction de sens

que les stagiaires donnent à leur engagement.Les dynamiques relationnelles au cours

desquelles les individus établissent des échanges fondés sur l’attribution d’une valeur jouent ainsi un rôle essentiel dans la détermination des attitudes qui permettent la valorisation de soi par soi et par les autres (Dejean & Charlier, 2011).

106 L’environnement du travail permet alors de mettre en évidence une dialectique entre « être reconnus de manière externe par les acteurs de l’environnement professionnel…et être reconnu par soi à travers l’identification d’indices de reconnaissance dans sa propre activité » (ibid, p. 82).

Fusulier (2011) envisage l’éthos professionnel comme « un dénominateur commun à un ensemble d’individus pratiquant une activité similaire qui se reconnaissent et sont reconnus comme membres d’un groupe professionnel, ce qui n’empêche pas ce dernier d’être stratifié et segmenté » (p. 104). Cette approche s’inscrit dans une perspective liée à la transaction sociale qui envisage l’éthos comme un principe organisateur de pratiques à l’articulation du social, du culturel et de l’affectif. Cette conception de l’éthos professionnel appliquée à la sociologie des groupes professionnels permet d’appréhender les attitudes individuelles et leur relation avec la manifestation d’une attitude collective.

L’éthos professionnel des coordinateurs se construit au sein d’une communauté émergente d’apprentissage articulée à deux communautés de référence, il relève simultanément de la construction d’un éthos collectif (une forme d’invariant à l’intérieur de la communauté émergente) et de manifestations individuelles d’éthos professionnel engagées par chaque coordinateur sur le versant de sa professionnalité singulière (à l’intérieur de cette même communauté et aux périphéries des communautés de référence).

2-3Des formes d’éthos professionnel

Lemaître, Morace & Coadour (2013) envisagent la construction de l’éthos professionnel à partir de la résolution d’un ensemble de dilemmes. Dans le cadre d’une recherche auprès de formateurs occasionnels, l’identification des formes d’éthos rend visible les valeurs qui viennent légitimer les conduites professionnelles.

107 Trois grandes catégories de dilemmes représentent ainsi des univers de référence socioculturels différents (le client, l’entreprise, la technologie) à partir desquels les formateurs occasionnels manifestent un éthos associé au champ concerné.

Figure 6 : Les dilemmes du formateur, un espace de tensions (Lemaître, Morace & Coadour, 2013, p. 86)

Il en résulte trois postures principales : le formateur comme expert technique exprime des valeurs qui résultent de la tension entre les objectifs de l’entreprise et la compétence technique du formateur ; le formateur par vocation pédagogique est plutôt tourné vers la résolution d’un dilemme opposant les contraintes techniques et les attentes du client ; le formateur aventurier doué d’une personnalité affirmée s’oriente vers la résolution de problèmes liés aux rapports commerciaux entre la satisfaction du client et le patrimoine scientifique de l’entreprise.

Trois formes d’éthos peuvent alors être mises en évidence :

- Un éthos technique « Ces formateurs trouvent leur plaisir dans le fait de partager leurs connaissances et sont focalisés sur la dimension technique » (ibid, p. 88), - Un éthos pédagogique « répondant à une vocation pour la pédagogie…dans le registre de l’émotion et de l’affectivité » (ibid, p. 89),

- Un éthos relationnel : « Les compétences en formation reposent sur des qualités humaines propres, liées à la personnalité et à l’expérience » (ibid, p. 92).

108 Ces formes d’éthos impliquent chez les coordinateurs la mise en relation de trois espaces communautaires : l’organisation centre social comme support technique, l’activité ASL comme support pédagogique et la communauté d’apprentissage comme support relationnel. La professionnalité émergente des coordinateurs repose ainsi sur la mobilisation d’une dimension éthique propice à la reconnaissance de leur éthos professionnel.