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La reconnaissance de l’éthos professionnel à partir d’un engagement dans la pratique

2- Les dualités constitutives d’un design d’apprentissage

En liant la notion de pratique à celle de communauté, Wenger (2005) envisage l’engagement dans une communauté de pratique comme relevant d’une dynamique qui suppose d’en être « partie prenante ». Cette conception sociale de l’apprentissage repose sur quatre dualités constitutives d’un design d’apprentissage.

Figure 8 : Quatre dimensions de design pour l’apprentissage (Wenger, 2005, p. 253)

116 2-1 Quatre dimensions de design pour l’apprentissage

Ces quatre dualités représentent des unités conceptuelles constituées de deux éléments interdépendants qui s’enrichissent mutuellement en fournissant des grilles d’analyse sur les différentes façons qui leur permettront d’apparaître simultanément : « l’expérience et le monde nous forment conjointement dans une relation de réciprocité qui rejoint l’essence même de notre identité » (ibid, p. 76).

- La dualité local/global exprime un paradoxe entre le design d’apprentissage qui se réalise à l’intérieur de la communauté (local) et la création des liens qui lui permet l’accès à d’autres pratiques (global). Cette dualité engage une constellation de compétences pour que les pratiques ne se substituent pas les unes aux autres.

- La dualité conçu/émergent implique la rencontre d’une structure conçue (l’organisation) et d’une structure émergente (la pratique). Les institutions définissent les rôles, établissent des conventions d’objectifs mais chaque communauté de pratique définit son propre régime de responsabilité.

- La dualité identification/négociabilité se traduit par le fait que le design d’apprentissage corresponde à une proposition d’identité. L’identification permet d’organiser la participation et les modes d’appartenance.

- La dualité participation/réification soutient les dimensions de la pratique et de l’identité. La participation relève d’une expérience de réciprocité qui rend possible l’identification à l’autre. La réification implique un engagement dans le monde comme créateur de sens et crée des points de convergence qui donnent forme à l’expérience concrète (un slogan, un outil, une formule).

Les trois dernières dualités s’adaptent plus particulièrement à la reconnaissance d’un éthos professionnel associée à un engagement dans la pratique. En s’articulant respectivement aux trois processus constitutifs de l’éthos professionnel décrits préalablement (incorporation, engagement, anticipation), ces dualités nous permettent de proposer une modélisation de l’éthos professionnel adaptée aux situations d’accompagnement de bénévoles.

117 2-2 Une modélisation de l’éthos en situation d’accompagnement de bénévoles

- Le processus d’incorporation (renommé acculturation) est soutenu par une dualité conçu/émergent qui caractérise un double rapport aux contextes (communautés de référence) et aux valeurs (communauté d’apprentissage émergente).

- Le processus d’engagement traduit une dualité identification/négociabilité. L’adhésion aux valeurs de la communauté émergente engage aussi le coordinateur dans des initiatives (soi professionnel) qui appellent aux négociations de sens.

- Le processus d’anticipation (renommé projection) caractérisé par une dualité participation/réification engage une réification des initiatives (soi professionnel) qui accompagne l’évolution de la participation dans les contextes de référence.

Chaque processus de l’éthos professionnel associé à une dualité majeure met ainsi en évidence un axe de tension entre deux pôles (contextes, valeurs, initiatives).

Fig. a : Une modélisation de l’éthos professionnel en situation d’accompagnement de bénévoles

Engagement Initiatives Contextes Valeurs Communautés de référence Soi professionnel Communauté d’apprentissage

118 Sur l’axe de l’acculturation, les dimensions culturelles et professionnelles du développement professionnel (Gosselin et. al., 2014) sont plus particulièrement mobilisées : les contextes rendent visibles les opportunités de participation à travers les espaces offerts par les communautés de référence ; les valeurs traduisent l’engagement dans la communauté d’apprentissage émergente.

Sur l’axe de l’engagement, les dimensions professionnelles et personnelles du développement professionnel sont mises en évidence : les valeurs mobilisées au sein de la communauté émergente participent de l’émancipation du soi professionnel à travers des initiatives qui singularisent les pratiques.

Sur l’axe de la projection, les dimensions personnelles et culturelles sont plus spécifiquement interrogées : les initiatives engagées appellent à la reconnaissance de leurs contextes de réalisation (communautés de référence).

III- L’engagement dans la pratique comme voie de reconnaissance de l’éthos

Les pratiques sont composées d’histoires mutuelles d’engagement dans lesquelles l’apprentissage est le moteur de la pratique. Cet apprentissage conjoint permet d’envisager la pratique comme un processus ouvert qui comprend la possibilité d’inclure de nouveaux éléments favorisant le caractère malléable d’une structure émergente. « C’est ce caractère émergent qui donne à la pratique et à l’identité la capacité de renouveler la négociation de sens » (Wenger, 2005, p. 254). L’engagement dans la pratique envisagé comme une voie d’accès à la reconnaissance permet de proposer un modèle d’analyse de l’éthos professionnel (1) et de formuler les hypothèses de recherche associées (2)

119 1- Proposition d’analyse

La modélisation de l’éthos en situation d’accompagnement de bénévoles associe, à chacun de ses processus constitutifs, une dualité du design d’apprentissage.

1-1Un processus d’acculturation inscrit dans un rapport conçu/émergent

La dualité conçu/émergent qui caractérise les apprentissages dans les communautés de pratique repose, dans le cas des coordinateurs, sur la construction simultanée d’un positionnement à l’égard des communautés de référence et d’une posture favorisant l’émergence d’une communauté d’apprentissage salarié/bénévoles. Le design institutionnel (communautés de référence) et la pratique (communauté d’apprentissage) constituent dans ce contexte deux sources structurantes qui interagissent entre elles en conservant leur propre intégrité. Le design de l’apprentissage prépare « les organisations à l’émergence en se mettant au service de la créativité de la pratique et de l’innovation » (ibid, p. 267). Chaque communauté de pratique possède ainsi sa propre vision, ses propres stratégies, indépendamment de celles de la structure institutionnelle qui l’accueille, quand bien même celle-ci constituerait une réponse à l’organisation conçue : « Si une communauté de pratique se forme en réponse à une structure institutionnelle, ce n’est pas la structure qui crée la pratique, mais bien la communauté » (ibid, p. 266).

La rencontre entre la structure conçue de l’institution et la structure émergente de la pratique implique un équilibrage entre la structure imposée et celle qui émerge d’une certaine récurrence des pratiques (Chanal, 2000). Le recours à une dualité conçu/émergent permet d’appréhender les caractéristiques spécifiques des contextes de travail des coordinateurs (non formalisation des pratiques d’accompagnement, co-présence de deux communautés de pratique). Le rapport au conçu dans ce contexte confronte l’offre institutionnelle existante en termes d’outils d’accompagnement avec les logiques individuelles à partir desquelles les coordinateurs construisent leur propre relation d’accompagnement avec les bénévoles.

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Le processus d’acculturation vient alors caractériser des gestes professionnels qui

reposent sur un équilibre entre les modèles institutionnels proposés et une certaine forme de créativité mise au service de l’accompagnement. Cet équilibre implique, à partir de la référence plus particulière qu’il engage à la médiation culturelle, un processus de traduction des valeurs associées respectivement aux deux communautés référentes dans l’environnement de travail du coordinateur.

1-2 Un processus d’engagement appuyé par des négociations de sens

Les communautés de pratique produisent des significations qui engagent une identification. Ces significations engagent une négociabilité qui se produit à travers la propriété du sens : « le degré par lequel nous pouvons utiliser, influencer, contrôler…et, en général, défendre comme sien le sens négocié » (Wenger, 2005, p. 220). L’expérience d’identité s’articule à la pratique selon cinq caractéristiques : l’expérience négociée, l’appartenance à une communauté, une trajectoire d’apprentissage, un noyau de multi-appartenance et une relation local/global. L’apprentissage au sein d’une communauté de pratique peut alors être vu comme un parcours identitaire au cours duquel un professionnel développe ses connaissances et ses compétences en même temps que sa carrière, ses projets personnels et son appartenance à divers groupes professionnels.

Wenger utilise le terme de trajectoire pour décrire le mouvement d’un parcours qui dispose à la fois de sa propre impulsion tout en s’inscrivant dans un réseau d’influences : « Le terme trajectoire ne suggère pas un parcours prévu ou balisé, mais un mouvement incessant, qui a sa propre impulsion en plus d’un réseau d’influences » (ibid, p. 172). Les communautés de pratique ne sont donc pas uniquement des lieux de partage et de construction de connaissances. Ce sont aussi des lieux de développement identitaire. Toutes les communautés de pratique offrent la coexistence de plusieurs modèles de négociations de trajectoires (Daele, 2009) qui constituent autant d’occasions de s’engager.

121 La communauté d’apprentissage émergente salarié/bénévoles offre ainsi aux coordinateurs en charge de leur animation des occasions de développer des trajectoires singulières de participation. Wenger distingue trois formes d’identification qui renvoient à des modes d’appartenance différents (engagement, imagination, alignement). Les communautés de pratique, envisagées comme des propositions d’identité, deviennent alors autant de possibilités de réification qu’elles incarnent la participation des praticiens.

1-3 Un processus de projection soutenu par des outils de réification

Si la négociation met en jeu le langage, ce sont d’abord les relations sociales qui sont vecteurs de négociation ; la négociation caractérise alors : « le processus par lequel nous expérimentons le monde et nous nous y engageons de façon significative » (Wenger, 2005, p. 59). La négociation repose sur une dualité fondamentale : la participation et la réification. La participation et la réification ne peuvent être pensées de façon dissociées : « Dans le processus de participation, nous nous reconnaissons dans l’autre, tandis que dans le processus de réification, nous nous projetons dans le monde » (ibid, p. 64). Leurs combinaisons donnent lieu à différentes expériences de signification : le processus de participation engage des significations structurées, pertinentes et créatrices ; les réifications permettent de stabiliser les règles. Wenger envisage la participation comme une source d’identité qui engage l’individu dans sa totalité (corps, esprit, émotions, relations). La réification consiste à donner forme à une expérience à travers des objets, des symboles. L’identification s’inscrit donc à la fois dans un processus réificatif (être identifié en tant que) et dans un processus de participation qui permet le développement de l’expérience d’identité. L’identification est donc une expérience subjective organisée socialement.

Alors que le processus d’anticipation marque la projection vers le désir de métier, la manifestation de cette projection chez des professionnels confirmés implique la reconnaissance des environnements socio-professionnels.

122 Le processus de projection des coordinateurs trouve sa matérialisation à travers des points de réification qui marquent l’expression du désir de participation à l’égard des communautés de référence. Ce processus engage dans le même temps des conditions de reconnaissance spécifiques compte-tenu de la quête de légitimité qu’il induit. La formulation des hypothèses de recherche s’est appuyée sur la déclinaison de ces trois processus au regard des étapes conceptuelles préalablement identifiées.