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PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE

CHAPITRE 1. L’EVENEMENT ET LA PRESSE ECRITE EN QUESTIONS

1.7 LA PRESSE ECRITE ARGENTINE : HISTOIRE

1.7.1 LA PRESSE ARGENTINE ET LA POLITIQUE

Même si « les médias ne sont pas une instance de pouvoir »275 à proprement parler, ils participent de la construction des informations de tout genre dans l’espace public et possèdent, par là-même, la capacité de choisir la façon d’agencer les informations en les mettant en page dans le but d’informer leur énonciataire et de lui faire croire ce qu’ils énoncent. La presse « n’est que rebond d’un pouvoir extérieur à elle (…) elle renforce, elle structure, elle démultiplie l’efficacité d’un pouvoir déjà existant… »276. Elle reste donc le vecteur de la transmission des

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Le cotexte. Nous pourrions parler d’un procédé de nature osmotique.

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Selon ESCUDERO CHAUVEL, Lucrecia, op. cit. , 1996 : p 62.

274

Todorov dans KERBRAT-ORECCHIONI, op. cit. , 2009 : p 34.

275

CHARAUDEAU, Patrick, op. cit. , 2005a, p. 11. Souvent qualifiés de « quatrième pouvoir », ils n’ont, en réalité, aucun pouvoir décisionnel dans les instances publiques. Nous pourrions plutôt parler d’une instance aux intentions pragmatiques.

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SPIRE, Antoine (1983) « Le pouvoir du journalisme » In Communication & Langages, n 55, pp. 110-122. DOI : https://doi.org/10.3406/colan.1983.1558

pouvoirs et, dans ce sens, elle constitue un instrument politique. La presse écrite argentine ne fait pas exception à cela et sa naissance demeure étroitement liée aux pouvoirs religieux et politiques.

Pour aborder le cas argentin, il faut se remonter à l’époque de la Conquête et de la Colonie où certains chroniqueurs, souvent considérés comme les ancêtres des journalistes, eurent pour mission de relater ce qui se passait sur les nouveaux territoires. Au début du XVIIIème siècle la Compagnie de Jésus introduisit l’imprimerie dans le Río de la Plata dans le but d’évangéliser la population. Cette première imprimerie fut itinérante et se trouvait à Nuestra Señora del Loreto. La deuxième fut installée à Córdoba et plus tard, déménagée à Buenos Aires après l’expulsion des Jésuites. Si des feuilles manuscrites commencèrent à circuler vers 1764 dans le port de

Buenos Aires, ce ne fut qu’avec la parution de feuilles et de gazettes au début du XIXème siècle

qu’une histoire de la presse écrite argentine put être considérée.

Nous essaierons de mettre en avant les liens que la presse argentine entretient avec le(s) pouvoir(s) politique(s)277 au sens large depuis la publication du premier journal jusqu’à nos jours. Etant donné l’importance de la ville de Buenos Aires dans la vie politique argentine, c’est justement la presse dite « nationale »278 qui a historiquement eu plus de poids que la presse

régionale. Suivant quelques notions ébauchées par Rómulo Fernández279, Miguel Angel de

Marco280 et par Carlos Ulanovsky281, nous sommes à même de considérer cinq périodes dans l’histoire de la presse écrite argentine coïncidant, peu ou prou, avec la formation de l’Etat-Nation:

1. La première qui va de 1801 jusqu’en 1835,

2. La deuxième étape coïncidant avec le gouvernement de Juan Manuel de Rosas282,

3. La troisième étape qui va de la chute de Rosas en 1852 jusqu’en 1880, 4. La quatrième période s'étendant de 1880 à 1995,

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Nous entendons ici le lien avec les institutions du gouvernement, le gouvernement lui-même, l’opposition, les partis politiques, les syndicats, etc.

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Ces journaux furent et sont édités à Buenos Aires, capitale du pays où se concentr(ai)ent les élites intellectuelles, politiques et économiques.

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FERNANDEZ, Juan R. (1943) Historia del periodismo argentino. Buenos Aires : Librería Perlado Editores.

280

DE MARCO, Miguel Angel (2006). Historia del periodismo argentino : desde los orígenes hasta el centenario de Mayo. Buenos Aires : Educa.

281

ULANOVSKY, Carlos (2005a) Historia de los medios de comunicación en la Argentina. PAREN LAS ROTATIVAS. Diarios, revistas y

periodistas (1920-1969). Buenos Aires : Emecé Editores.

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Il gouverna la « Confédération Argentine » (un ensemble de provinces assimilées à des états souverains dont la représentation extérieure retombait sur le gouverneur de Buenos Aires) entre 1835 et 1852.

5. La cinquième étape de 1995 jusqu’à nos jours.

Cette première période comprend la naissance du premier journal du Río de la Plata et s’étend jusqu’à la période post-révolutionnaire. Si le premier journal portègne283, publié en 1801, fut le

Telégrafo Mercantil. Rural, Político, Económico, Historiógrafo del Río de La Plata284, la fondation

de La Gazeta de Buenos Ayres par Mariano Moreno285 en 1810 constitua la pierre angulaire du

journalisme révolutionnaire de la période de l’Indépendance. Créé, à l’instar du journal La

Gazette de France286, pour accompagner le processus de la Révolution de Mai, cet hebdomadaire diffusa la politique de la Primera Junta287 et resta un instrument de propagande efficace du gouvernement où décrets et informations officielles étaient présentés. D’autres journaux parus à cette époque comme El Correo de Comercio (1810), El Constitucional (1820), El Centinela (1823),

El Argos de Buenos Aires (1821), La Abeja Argentina (1822), entre autres répondirent à des

doctrines partisanes ou à la volonté politique du gouvernement du moment.

La deuxième étape coïncide avec le gouvernement de Rosas de 1835 à 1852 qui a proscrit certaines publications et a contraint leurs journalistes à quitter le pays. C’est ce que Fernández appelle la période de la tyrannie où le journal le plus important de cette période restait La

Gaceta Mercantil, qui, bien que fondé en 1823, défendait les positions de Rosas et qui cessa

d’être édité le jour même du début de la Bataille de Caseros. Malgré les proscriptions, d’autres publications ont vu le jour mais sous forme de guide ou de catalogue.

Après la chute de Rosas, les imprimeries et les maisons d’édition fermées ont pu reprendre leurs activités et le nombre de journaux est passé d’un en 1852 à trente l’année suivante. La Constitution promulguée en 1853 ayant établi la liberté d’expression de la presse, les journalistes partis en exil sont revenus à ce moment-là. La nouvelle étape qui s’ouvrait alors coïncidait avec

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De la ville de Buenos Aires.

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Son rédacteur, l’avocat espagnol Francisco Antonio Cabello y Mesa, s’était proposé de construire un espace informatif, mais aussi d’enrichissement culturel où des intellectuels pourraient écrire des articles sur différents sujets politiques, économiques, historiques et littéraires. Les opinions exprimées dans ses pages se voulaient pluralistes et reflétaient des avis parfois contraires à ceux de la rédaction. Sa parution fut de courte durée jusqu’en 1802.

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Avocat, journaliste et homme politique aux idées libérales et à l’influence française, Mariano Moreno (1778-1811) fut l’un des moteurs de la Révolution de Mai de 1810 et secrétaire de la Première Junte (voir note plus loin). La Gazeta de Buenos Ayres fut éditée jusqu’en septembre 1821.

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Ce périodique fut créé en 1631 par Théophraste Renaudot pour qui «L'histoire est le récit des choses advenues, la Gazette seulement le bruit qui en court (...) ». (Cité dans l’article intitulé « Théophraste Renaudot le « saint patron » des journalistes français » paru dans Les Echos du 19 novembre 1999). Renaudot, médecin de Louis XIII, reçut le soutien de Richelieu pour créer ce journal et propager les idées du gouvernement. La publication exista jusqu’en 1915.

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Ce comité de gouvernement surgit après les événements de la Révolution de mai (du 18 au 25 mai 1810) à Buenos Aires, capitale du vice-royaume du Río de la Plata qui se soldèrent par la destitution du vice-roi (délégué du roi d’Espagne) Baltasar Hidalgo de Cisneros. Cette Junte fut présidée par Cornelio Saavedra et eut pour secrétaires Mariano Moreno et Juan José Paso.

l’organisation constitutionnelle. Vers 1892, le nombre de publications dans tout le territoire argentin s’élevait à 459, dont 225 journaux publiés à Buenos Aires et 95 dans la province de Buenos Aires. Trois journaux nés pendant cette période existent encore. Il s’agit de La Capital, édité à Rosario, paru en 1867 et dont la vente était annoncée par un coup de canon. Deux ans plus tard, José C. Paz a fondé La Prensa et une année plus tard, Bartolomé Mitre a créé La

Nación. Nous traiterons de ces deux journaux, un peu plus loin puisqu’ils font partie de notre

corpus d’analyse.

La quatrième étape pourrait être considérée comme celle d’un journalisme plus moderne où les médias, bien que censés se détacher des partis politiques,288 restèrent proches des luttes pour le pouvoir, soit en soutenant le gouvernement, soit en appuyant l’opposition. Ces changements vont se consolider avec les parutions de La Razón (1905), Crítica (1913), El Mundo (1928), Clarín (1945), La Opinión (1971), Ambito Financiero (1976), Página 12 (1987), entre autres. Tous ces journaux ont joué un rôle très important pendant les périodes aussi bien démocratiques que dictatoriales qu'a connues la République Argentine.

La révolution technologique touchant les médias depuis 1995, les journaux papier ont dû développer des versions sur Internet pour faire face à la concurrence. Certains médias d’information n’existent désormais que sous format numérique289. Cette nouvelle réalité a eu une influence importante sur les ventes et a obligé les rédactions à changer leurs pratiques afin de les adapter aux nouvelles technologies et à l’immédiateté de l’information.

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A ce sujet, Félix Laiño affirme que « les journaux furent fondés sous l’inspiration des courants idéologiques (…) «La Nación» et «La Prensa» furent des exemples d’identité en tant que journalisme politique (…) avec le temps l’homme politique laisse sa place au journaliste professionnel » (ULANOVSKY, Carlos, op. cit. , 2005a : p.31). Si les premiers journalistes argentins furent plutôt des hommes politiques, des professionnels prirent, petit à petit, leur relais. Or, cela n’empêcha nullement la circulation des constructions politiques dans la presse argentine comme nous allons le (dé) montrer dans nos analyses.

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C’est le cas du média Infobae par exemple. Le phénomène de la presse en ligne est très large pour être traité ici. A part les sites internet, le développement des applications des journaux et des magazines pour les téléphones portables et d’autres dispositifs et la présence des journaux sur les réseaux sociaux ouvrent la voie à un contrat médiatique collaboratif où l’énonciataire a la possibilité de devenir, à son tour, énonciateur.