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PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE

CHAPITRE 1. L’EVENEMENT ET LA PRESSE ECRITE EN QUESTIONS

1.3 LE DISCOURS D’INFORMATION MEDIATIQUE : CONSTRUCTION DU SENS ET PRATIQUE SOCIALE

Depuis la nuit des temps, les sociétés ont recours au récit pour communiquer entre elles et pour transmettre leur mémoire car il est, comme l’indique Barthes, « présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés »111. Au début, ce fut le récit oral, sa stabilisation arriva grâce à l’écriture, puis à l’invention de l’imprimerie. Avec le développement des

107

LARDELLIER, Pascal, op.cit, 2003a : p. 186.

108

Ibidem, p. 185.

109

Leur écriture était caractérisée par le recours à des schémas stylistiques, thématiques et narratifs réguliers.

110

Lardellier rappelle que les visites officielles comportaient également des risques et cite les magnicides de Sadi Carnot à Lyon, de l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo, celui de Kennedy à Dallas (op.cit, 2003a : p. 108)

111

BARTHES, Roland (1966) « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications, n° 8. Réédité dans la coll. Points, Éd. du Seuil, n° 129, 1981, p. 7.

communautés postmodernes, les médias favorisent la configuration, la « citation et la

récitation »112 des récits de tout genre. Dans cette tâche, la presse écrite se présente comme un

média capable de reconfigurer des récits complexes supportés par des langages divers113.

L’élaboration de l’information est bel et bien une activité complexe qui, ayant lieu au sein d’une institution socialement reconnue, répond à des intérêts divers. Le Discours d’Information Médiatique114 est un discours social situé dans la sphère macro-universelle des discours circulant

dans l’espace public115 dans la mesure où la machine médiatique est une institution soumise à

des règles qui construit des signes motivés116. Les médias dont le but est de produire et de communiquer des informations se définissent dans les échanges entre deux instances, l’une d’énonciation et l’autre de réception à travers un produit qu’ils construisent et qui les met en relation.

Charaudeau explique ce triple lieu de construction du sens à l’aide d’un schéma117 selon lequel

les instances d’énonciation et de réception se dédoublent en deux espaces : externe-externe (E-E)/externe-interne (E-I) et interne-externe (I-E)/externe-externe (E-E) respectivement. Quant au lieu de production E-E, il dépend de l’entreprise médiatique, de son identité et de ses intérêts commerciaux car il s’agit des conditions socio-économiques. Dans le sens E-I, l’énonciation se réfère aux conditions techniques et à l’agencement des signes liés à la réalisation du produit selon les effets espérés. Dans ce cas, il est question des conditions sémiologiques préalables à la construction de l’article du journal. Quant aux lieux de réception I-E et E-E, ils sont tous les deux associés, le premier aux effets provoqués supposés par l’énonciateur, le second concerne les effets réels chez le consommateur du journal. Le produit étant le résultat d’une mise en forme sémio-discursive, son sens découle de cet agencement qui doit pouvoir être reconnu par le récepteur, ce qui révèle l’existence d’une « co-intentionnalité »118 dans la (dé)construction du sens.

112

En paraphrasant Michel De Certeau dans L’invention du quotidien.

113

Comme l’indique encore BARTHES, art. cit. , 1966, réédition 1981 : p. 7.

114

CHARAUDEAU, Patrick, op. cit. , 2005a.

115

Habermas relie la presse « à l’avènement de l’espace public » cité par RINGOOT, Roselyne (2014) ANALYSER LE DISCOURS DE

PRESSE. Paris : ARMAND COLIN, p. 26.

116

La motivation des signes dépend de la manière dont l’énonciateur agence le « savoir de connaissance » le contenu objectif qui rend le monde intelligible et le « savoir de croyance » (le contenu évaluatif et appréciatif rendant compte des représentations que le locuteur se fait).

117

CHARAUDEAU, op. cit. , 2005a : p. 15.

118

Tout acte de communication implique donc une interaction sociale. Les médias, quel que soit leur support, participent à la construction sociale de la réalité119 : il s’agit de la médiation entre le monde réel et le(s) énonciataire(s) du message (re)créé par l’énonciateur médiatique. Se donnant pour mission la production et la diffusion de l’information, la presse écrite devient, par ricochet, l’un des supports de la mémoire culturelle d’une communauté. Cependant, les journaux ne surgissent pas de la contingence, mais répondent bien à un ensemble de phénomènes d’ordre technique, économique, politique, social et culturel. Leur existence et leur évolution sont forcément tributaires de ce vaste réseau de facteurs, d’où l’importance de la contextualisation des nouvelles et des événements que nous souhaitons mettre en lumière.

Etant donné que la presse écrite constitue « l’un des terrains où se dessinent, sous une forme dominante spécifique- celle de la matérialité et de l’écriture- (…) les discours »120 , il s’agit bel et bien d’un « objet sémiologique particulier »121 qu’il convient de saisir dans sa totalité. En effet, son analyse dépasse l’approche linguistique pour envisager l’appréhension du produit dans son intégralité, car le contenu est tributaire du medium et vice-versa. C’est bien pour cela que nous accorderons tout au long de notre travail une importance considérable aussi bien aux énoncés verbaux qu’aux signes iconiques et graphiques, ainsi qu’aux instances intervenant dans les processus de sélection, de création et de circulation de l’information. Autant dire que tous les signes investis au sein de la page de journal font sens au sein du dispositif médiatique.

1.3.1 LES MONDES POSSIBLES ET LA SEMIOSE MEDIATIQUE

Le discours d’information médiatique « présuppose la création discursive d’un monde possible »122. Miquel Rodrigo-Alsina reprend ainsi la Théorie des mondes possibles d’Umberto Eco123 selon laquelle il existe trois types de mondes à savoir : le réel, le monde de référence et le monde possible. Pour construire la nouvelle, le journaliste viendrait puiser les informations dans le monde réel en faisant appel à la source. Puis, il tiendrait compte du monde de référence, c’est-à-dire des constructions culturelles cadrant le fait en vue de le mettre en récit et de configurer ainsi un monde possible ou narratif. Il en résulte que tout acte d’énonciation médiatique

119

BERGER, Peter et Thomas LUCKMANN (1996) La construction sociale de la réalité. Paris : Armand Colin.

120

VERON, Eliséo, art. cit. , In CHARAUDEAU, Patrick, op. cit. , 1988 : p. 11.

121

KRIEG, Alice (2000) « Analyser le discours de presse », Communication [En ligne], vol. 20/1 , mis en ligne le 11 août 2016, consulté le 30 juillet 2017. URL : http://journals.openedition.org/communication/6432 ; DOI : 10.4000/communication.6432.

122 RODRIGO-ALSINA, Miquel (1993) La construcción de la noticia. Barcelona : Ediciones Paidós Ibéricas, p. 149. C’est nous qui traduisons.

123

implique un processus sémiotique considérécomme une configuration du sens déterminée par la production de signes et de leurs relations. Pour Peirce, le signe est défini comme « quelque chose qui tient lieu pour quelqu'un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre »124. Dans ce sens, les médias accomplissent des actes sémiotiques dans la mesure où ils modèlent une occurrence extérieure (l’objet peircien) et par une série de truchements, verbaux et non verbaux, la mettent en récit (le représentamen) pour signifier (l’interprétant). Il s’agit tout simplement de l’articulation des trois lieux de pertinence dont parlait Charaudeau. L’information produite par la presse écrite fait partie d’un acte de communication relevant de la « pure énonciation »125 et résultant d’un double processus sémiotique126 de transformation par un sujet parlant d’un monde en un autre et de transaction en vue de le doter d’un sens social dans un échange avec un autre sujet parlant. Cet événement construit touche aussi bien la singularité que la collectivité car, même si au départ le « fait » ne concerne que quelques individus, sa mise en discours atteint la société entière127. L’événement semble ainsi acquérir sa dimension sémiotique.

1.3.2 LA COMPLEXITE DES DISCOURS IMPRIMES

Certes, le métier de journaliste repose principalement sur l’écriture, néanmoins, tenter une analyse purement linguistique des articles de presse constituerait une pratique réductionniste car ce matériau verbal ne peut pas être disséqué en dehors de son co(n)texte128. De toute évidence, les énoncés produits par le discours de la presse sont des conglomérats sémiotiques complexes car ils sont construits, circulent et sont interprétés dans des conditions hétérogènes et instables, mais complémentaires à des niveaux divers. Nous travaillerons sur les « discours

imprimés » dans le sens donné par Eliseo Verón129, en tenant compte d’un ensemble signifiant

où trois composantes complémentaires se chevauchent à savoir les volets linguistique, iconique et graphique. Les articles de presse ne pouvant être énoncés, lus et vus qu’en fonction de

124

Le signe étant pour Peirce. Cité par ECO, Umberto et François PERALDI (1980) « Peirce et la sémantique contemporaine » In

Langages, 14ᵉ année, n°58. La sémiotique de C.S Peirce. pp. 75-91, p.79.

125

CHARAUDEAU, op. cit., 2005a : p. 26.

126

Dans la terminologie charaudienne.

127

C’est bien l’idée de Bernard Lamizet (2011) La sémiotique de l'événement : Une sémiotique de l'espace et du temps. <halshs-00604452.

128

Le co-texte étant pour nous tout ce qui relève du plan linguistique et le contexte la situation englobant le co-texte et des éléments extra-linguistiques comme la situation d’énonciation où le cadre, l’institution, les relations entrent en jeu. Au sein de la page de journal, chaque article fonctionne en interaction avec les articles concomitants.

129

l’agencement de ces trois volets au sein de la page, du cadre et des signes multiples130 les entourant et/ou les affectant131, la difficulté est accrue du fait que la presse écrite constitue le

point de convergence « d’une multiplicité de modes de construction »132 se présentant aux yeux

de l’énonciataire et/ou du chercheur simultanément. De ce fait, il va s’en dire que toute analyse susceptible d’être faite, la nôtre n’y échappera pas, sera linéaire, parcellaire et, malgré de bonnes intentions, réductionniste d’autant plus que le code utilisé pour rendre compte de cet enchevêtrement sémiotique finit, tôt ou tard, par être verbal.

Par ailleurs, la question des temporalités reste un autre écueil à surmonter dans notre recherche car les discours imprimés que nous nous proposons d’examiner ont été conçus dans le devenir d’une actualité qui n’en est plus une. Même lorsqu’il s’agit de la présentation d’un événement d’actualité en train de se dérouler, il n’en demeure pas moins que la communication établie par la presse écrite est différée. Le journaliste reconfigure des faits ou des discours antérieurs à son écriture en événement, son article est mis en page ultérieurement et la réception du journal par un énonciataire se fait également plus tard : les temps d’encodage et de décodage ne coïncident donc pas. A cela s’ajoute la difficulté posée par l’analyse d’un sujet d’actualité révolue que nous tentons de résoudre dans le récit de presse en tenant compte de l’inscription du triple présent ricœurien133 : le présent du passé (sous forme de mémoire), le présent du présent (l’attention

portée) et le présent du futur134 (comme une attente, un espoir ou une menace). Analyser des

discours imprimés d’actualité révolue produits il y a plus de cinquante ans (CDG), trente ans (FM) et vingt ans (JC) ne sera pas une mince affaire vu le décalage spatio-temporel et la complexité des données contextuelles susceptibles de nous échapper.

En outre, en tant que discours médiateur d’autres discours, le discours de presse écrite pose le problème de la multiplicité d’instances énonciatives135, la question étant de savoir qui parle, ou plutôt qui écrit au sein de la page du journal. Même si un journaliste signe son article, il n’est pas seul à l’énoncer car son travail est corrigé, mis en forme et complété par d’autres professionnels s’occupant de la mise en page des photographies, des infographies, des dessins, etc. Par ailleurs,

130

Que nous présenterons un peu plus loin comme étant des traces verbales, iconiques ou graphiques de l’énonciateur.

131

C’est bien le cas de la typographie qui vient confirmer, mettre en exergue ou infirmer en deuxième position ce que le verbal a posé au préalable comme vraisemblable.

132

VERON, Eliseo, op. cit. , 1981 : p. 170.

133

RICŒUR, Paul (1983) Temps et récit, t. 1et t. 3, Paris : Seuil.

134

J-F Tétu soutient que les médias seraient plus portés vers l’avenir que vers le passé car ce qui compterait seraient les suites à donner après la mise en circulation des informations données.

135

l’ultime évidence, et pas la moins complexe, est que tous les articles s’inscrivent dans une instance d’énonciation supérieure, celle du journal qui leur donne son empreinte. L’instance de production de l’information tire sa complexité de ses multiples rôles : de sélectionneur d’information auprès des sources, de metteur en scène, de commentateur et de provocateur de l’information. Enfin, du côté de la réception, il existe également un manque d’homogénéité car le public ciblé par le discours d’information médiatique n’est pas forcément le même qui achète et lit le journal. La différence relève surtout de l’horizon des effets supposés et des effets produits chez le lecteur, comme nous l’avons déjà signalé dans ce chapitre. II demeure évident que le décodage se fera en fonction des représentations136 collectives et individuelles de chaque lecteur réel.