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PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE

CHAPITRE 1. L’EVENEMENT ET LA PRESSE ECRITE EN QUESTIONS

1.4 LE JOURNAL : OBJET SEMIOLOGIQUE HETEROGENE

1.4.1 L’IDENTITE DISCURSIVE DU JOURNAL

1.4.1.2 LA CONSTRUCTION DU SENS ET LE DISPOSITIF

La presse écrite organise son matériau, le caractère imprimé, en fonction de son support, le papier, suivant une certaine topologie. Le dispositif apparaît alors comme un « ensemble structuré de par la solidarité combinatoire qui relie des éléments matériels (…) placés, agencés,

répartis selon un réseau conceptuel plus ou moins complexe »158. A ce sujet, Esquenazi évoque

un « agencement à la fois matériel et symbolique qui permet à chaque média d’ordonner et de

présenter l’actualité »159 impliqué directement dans la construction du sens de l’événement.

Dans le cas du discours de la presse écrite, le dispositif signifiant de structuration de l’information compterait, selon Adam et Lugrin160 trois niveaux différents à savoir : supérieur, intermédiaire et inférieur. Le premier niveau correspond au journal qui choisit et organise les thématiques retenues par l’agenda en cahiers et en rubriques donnant ainsi à l’énonciataire un cadrage du monde particulier. Le niveau inférieur est constitué par l’article, soit le texte et son

157

Ibidem, p. 76.

158

CHARAUDEAU, op. cit. , 2005 a : p. 86.

159

ESQUENAZI, op. cit. , 2013 : p. 119.

160

ADAM, Jean-Michel et Gilles LUGRIN (2000) « L’hyperstructure : un mode privilégié de présentation des événements scientifiques ? », Les Carnets du Cediscor [En ligne], 6 |, mis en ligne le 30 novembre 2009, consulté le 15 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/cediscor/327

péritexte161. Entre ces deux niveaux se situe un ensemble « intermédiaire et facultatif »162 appelé

hyperstructure163 formée autour d’une imbrication thématique et graphique d’articles limitée par

le seuil de la double page. Cet élément structurant situé entre le journal et l’article peut répondre à deux processus : l’éclatement d’articles sur un même événement ou leur réunion. Il s’agit concrètement d’« un ensemble d’articles et d’images graphiquement regroupés et complémentaires, bornés à la limite supérieure de l’aire scripturale vi-lisible de la double page »164 ou mieux d’une « structure co-textuelle regroupant, au sein d’une aire scripturale n’excédant pas la double page, un ensemble de textes-articles accompagnés la plupart du temps

par des iconotextes photographiques et/ou infographiques » 165. Le modèle type de

l’hyperstructure est donné par la présence d’un article, d’un encadré et d’une image (photo, infographie, dessin). Dans le cas d’éclatement rédactionnel, une série d’articles sur le même sujet peut répondre à un seul journaliste. Le regroupement rédactionnel implique, au contraire, la réunion d’articles signés par des personnalités différentes. Dans tous les cas de figure, il y a un dédoublement symbolique.

Journal et son péritexte = cahiers et rubriques Hyperstructure = éclatement ou réunion d’articles + éléments auxiliaires Article = texte + péritexte

Schéma de l’hyperstructure selon Adam et Lugrin (2000)

161

Gérard Genette parle de paratexte en littérature. La notion de péritexte est prise d’Adam et Lugrin et correspond aux éléments verbo-visuels qui complètent le sens de l’article de presse : à savoir, le titre, le sous-titre, le surtitre, l’intertitre, la photo et sa légende, les schémas, etc.

162

ADAM, Jean-Michel et Gilles LUGRIN, art. cit. , 2000, paragraphe 16.

163

Adam et Lugrin (2000 : paragraphe 11) citent Grosse et Seibold les premiers à définir l’hyperstructure « (…) Depuis plusieurs années, les journaux, à l’instar de la presse magazine, utilisent des hyperstructures. La presse montre de fortes tendances à faire éclater un texte en plusieurs textes plus petits qui ont pourtant des liens étroits. (…) Les ensembles rédactionnels se définissent par leur cohérence thématique : plusieurs articles (ou contributions) sont réunis autour d’un même sujet. Les ensembles présentent donc à la fois les phénomènes de la récurrence et de la progression : récurrence du sujet, des personnes ou des groupes, des diverses composantes événementielles ou thématiques, et progression « informative » : chaque article enseigne aux lecteurs un autre aspect du sujet général. (Grosse et Seibold, 1996 : 53-55).

164

ADAM et LUGRIN cités dans MOIRAND, Sophie, op. cit. , 2007 : p. 6. Au-delà de la double page, nous sommes en présence d’un dossier.

165

LUGRIN, Gilles (2000) « Les ensembles rédactionnels : multitexte et hyperstructure », In Médiatiques, Louvain-la-Neuve, Observatoire du récit médiatique, p. 35.

Cet « ensemble polymorphe »166 qu’est l’hyperstructure donne autant à voir qu’à lire car elle résulte d’un processus d’enchevêtrement scriptovisuel où les renvois à des constituants sémiotiques différents (verbaux, iconiques et graphiques) sont constants et fonctionnent à la manière d’hypertextes. Du point de vue des articles proprement dits, l’hyperstructure favorise le mélange des genres167 et des signes car un même sujet peut être traité dans l’aire scripturale sous des angles différents. Ainsi, un article dit d’information peut « côtoyer » un dessin de presse et leur proximité pourra déclencher une nouvelle interprétation.

Considérées comme des occurrences extérieures, comme des « faits » qui se sont produits et qui se sont transformés en « événements » par l’action et la médiation de la presse, les visites des présidents français en Argentine ont donné naissance à une série d’articles sur le sujet168 et à d’autres qui ne concernent pas que l’activité officielle des présidents169 , formant des hyperstructures plus ou moins complexes. Dans notre travail, nous tenterons de montrer comment la structuration des articles dans des hyperstructures participe du phénomène de « glissement événementiel »170 qui consiste à évincer progressivement l’événement principal (EP) du centre de la scène au bénéfice d’un sujet ou d’un événement second (ES) qui constituerait désormais un noyau thématique nouveau. Il s’agirait pour nous d’un retournement de situation, d’un rapprochement ou d’un raccourci orienté par le journal qu’il tenterait de justifier dans son agenda par des moyens divers et qu’il installerait parallèlement à la durée

médiatique de l’événement principal ou « moment discursif » 171. Ce dernier est défini par Sophie

Moirand comme l’extension spatio-temporelle d’un événement qui est à l’origine d’une « production médiatique abondante »172 laissant des « traces à plus ou moins long terme »173 susceptible d’être repéré à travers les conditions d’apparition à la Une et/ou dans les pages intérieures par une réunion d’articles abordant des sujets liés à l’événement, mais pas forcément de façon directe. Les traces des moments discursifs peuvent resurgir à propos d’autres événements en tant que mémoire événementielle.

166

ADAM, Jean-Michel et Gilles LUGRIN, art. cit. , 2000.

167

Même si dans notre travail nous ne parlons pas de « genres » mais des tendances objectivisées et subjectivisées, il faut reconnaître le découpage formel fait par les manuels de journalisme entre les genres d’information et d’opinion.

168

Qui s’articulent dans le péritexte du journal et dans les hyperstructures du dispositif.

169

Ce sont les articles qui font glisser l’événement principal (visite officielle) au second plan au profit d’une problématique concernant la politique intérieure argentine.

170

Cette dénomination nous appartient.

171

MOIRAND, Sophie, op. cit. , 2007 : p. 4.

172

Ibidem, p. 4.

173

Dans le cas des visites des présidents français en Argentine ce glissement événementiel serait donné par la focalisation de la presse argentine sur la politique intérieure argentine et le rapprochement plus ou moins direct du contexte politique français à la situation argentine, relégant l’événement-visite à un second plan, le dispositif jouant un rôle majeur dans ce sens.

Glissement événementiel