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Classer notre travail dans un champ disciplinaire précis n’est pas une tâche simple, s’agissant d’un sujet à la croisée de l’Analyse du Discours, des Sciences Politiques, de la Sémiotique, des Sciences de l’Information et de la Communication, une analyse interdisciplinaire s’impose.

Consciente que l’énonciation médiatique participe du processus de sémiotisation du monde, nous avons analysé notre corpus de presse sous une « approche sémio-discursive » selon laquelle l’ensemble des signes investis au sein de l’aire scripturale fait sens. Il ne s’agit pas dans ce travail d’appliquer une matrice sémiotique pure à un corpus, mais de le laisser parler, de laisser surgir les sens généraux de l’ensemble signifiant en essayant de dénouer les micro-récits enchevêtrés au sein de la page du journal convoquant des codes différents : linguistique, iconique et graphique. La difficulté de cette approche réside dans l’hétérogénéité propre à l’énonciation journalistique et à son aire de scription. Si, par ailleurs, l’inéluctable prééminence du verbal dans notre travail n’est pas à nier, c’est qu’elle se correspond avec la place tenue par la langue en tant que « matière première », mais pas exclusive57, de l’énonciation de l’article de journal.

Notre but est de déceler identité discursive des journaux au sens large, c’est-à-dire repérer l’appropriation politique de l’événement à travers les détours linguistiques, mais aussi iconiques

et graphiques (typo et topo) en tenant compte de la synergie scriptovisuelle58 qui s’instaure car

l’énonciation de la presse écrite recouvre ses trois dimensions. Il ne s’agit pas de faire une analyse exhaustive de chaque signe présent, mais de considérer plutôt des tendances puisque notre objectif est d’identifier les mécanismes récurrents dans la reconfiguration des faits pour chaque journal en vue de tracer une certaine « grammaire » du glissement événementiel.

Nous avons puisé dans des approches théoriques diverses et avons emprunté des outils théoriques59 concernant le discours de la presse à P. Charaudeau, M. Mouillaud et JF. Tétu, S. Moirand, E. Verón, L. Escudero Chauvel, JP Esquenazi, JM. Adam et G. Lugrin ; les récits à P. Charaudeau, D. Scavino ; les visites officielles à P. Lardellier ; l’événement et la sémiotique à E. Verón, B. Lamizet, J. Arquembourg entre autres.

Née formellement avec la sortie du numéro 1360 de la revue Langages en 1969, l’Analyse du Discours (AD) est devenue une discipline à part entière se chargeant d’étudier des discours de tout genre, surtout politiques au début. Or, le discours pouvant être l’objet de plusieurs disciplines, l’AD peut se greffer à d’autres disciplines pour les aider à mieux comprendre des phénomènes, son objet étant, selon Maingueneau, « l’intrication d’un mode d’énonciation et

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Car la communication se définit par son caractère multimodal.

58

Il s’agit de l’imbrication des signes verbaux d’un côté et iconiques et graphiques de l’autre.

59

Voir § 1.

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d’un lieu social déterminés »61. Ainsi, l’AD est susceptible de prendre comme objet d’étude le discours scientifique, pédagogique, médiatique, entre autres. Dans le domaine du discours médiatique, des études théoriques ont vu le jour consacrées au journal62, ainsi qu’au discours

d’information63. Or, dans notre perspective de recherche empirique où il est question de presse

et événement au carrefour interdisciplinaire, nous partirons du célèbre travail d’Eliseo Verón publié en 1981 Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three Mile Island 64 en tant que précurseur de notre perspective d’analyse multimodale. Dans cet ouvrage, Verón prouve que les médias façonnent les événements qui existent pour le public dans la mesure où la machine médiatique les met sur le devant de la scène par le biais d’unités sémiotiques hétérogènes. La parution en 1991 de l’article de Patrick Champagne sur « La construction médiatique des ‘malaises sociaux’ »65 montre, du point de vue de la sociologie des médias, comment les événements véhiculent des problèmes sociaux que les médias entretiennent et déforment par leurs discours. Le numéro 47 de la revue Mots paru en 1996 a été consacré à la construction du conflit yougoslave66 par les médias français. En outre, la thèse de Lucrecia Escudero Chauvel publiée en 1996 intitulée Malvinas, el gran relato. Fuentes y rumores en la

información de guerra67 analyse la construction médiatique par la presse argentine d’une rumeur concernant l’apparition d’un sous-marin pendant la guerre des Malouines. En 2007, Sophie Moirand s’est occupée d’examiner dans Le discours de la presse quotidienne. Observer, analyser,

comprendre68 les discours sur des événements scientifiques et politiques circulant dans les

médias. Dans L’événement et les médias69 Jocelyne Arquembourg a analysé le traitement

médiatique de deux phénomènes naturels catastrophiques : le tremblement de terre et le raz-de-marée de Lisbonne en 1755 et le tsunami asiatique de décembre 2004. Enfin, le livre de Laura Calabrese publié en 2013 L’événement en discours. Presse et mémoire sociale70 traite sur les

61

MAINGUENEAU, Dominique (1995) « Présentation ». In: Langages, 29ᵉ année, n°117, 1995. Les analyses du discours en France, sous la direction de Dominique Maingueneau, p. 7.

62

Notamment Mouillaud et Tétu, op. cit. , 1989.

63

Notamment Patrick Charaudeau, op. cit. , 2005. 64

VERON, Eliseo (1981) Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three Mile Island. Paris : Les Editions de Minuit.

65

Champagne Patrick. « La construction médiatique des "malaises sociaux" ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. La souffrance. pp. 64-76.

DOI : https://doi.org/10.3406/arss.1991.2997 Il y analyse les banlieues comme objet médiatique.

66

Mots, n°47, juin 1996. Les médias dans le conflit yougoslave, sous la direction de Simone Bonnafous, Pierre Fiala et Alice Krieg.

67

ESCUDERO CHAUVEL, Lucrecia (1996) Malvinas, el gran relato. Fuentes y rumores en la información de guerra. Barcelona : Gedisa. Colección el mamífero parlante.

68

MOIRAND, Sophie, op. cit. , 2007.

69

ARQUEMBOURG, Jocelyne (2011) L’événement et les médias. Les récits médiatiques des tsunamis et les débats publics

(1755-2004). Paris : Edition des Archives Contemporaines.

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CALABRESE, Laura (2013) L’événement en discours. Presse et mémoire sociale. Louvain-la-Neuve : Académia-L’Harmattan, coll. "Science du langage. Carrefours et points de vue".

façons dont la presse française et les médias belges désignent des événements ancrés dans la mémoire des communautés.

Quant aux travaux concernant le traitement des visites des présidents français en Argentine par la presse argentine, ils sont rares. A part un mémoire71 et un article72 que nous avons publiés sur la visite du président de Gaulle en Argentine, nous n’avons connaissance que d’un seul article publié en espagnol73 sur la visite de De Gaulle en Argentine, mais sans rapport avec la presse écrite. En effet, à notre connaissance les visites des présidents français en Argentine n’ont pas donné lieu, pour l’instant, à des travaux de recherche sur le traitement donné par la presse argentine. Or, dans une perspective plus générale la tournée latino-américaine de De Gaulle a fait l’objet d’une publication collective74 en 201475 et d’un article76 en espagnol en 2015. Il nous semble donc que le sujet, ainsi que l’approche choisie, nous permettront de jeter un peu de lumière sur les événements-visites, ces mirages qui tendent à disparaître au fur et à mesure que l’on avance vers eux, afin de mieux cerner l’identité des journaux.