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ACLAMADO CON VOZ DE PUEBLO

GGGGGGGGGGGGGGGGGGG HHHHHHHHHHHHHHH

2.2.3 LA VISITE SELON LA NACION

2.2.3.2 LA GUERRE DES RECITS AURA LIEU : LES INCIDENTS ET L’INVERSION DES ROLES

Comme nous l’avons déjà signalé, LN cherche à prescrire à l’énonciataire le comportement à adopter pour accueillir le chef de l’Etat français. Or, face aux manifestations péronistes pour accueillir CDG, le méta-énonciateur construit un récit rempli de violence par l’action des péronistes à Buenos Aires et surtout à Córdoba. Il oppose donc les péronistes aux forces de police en grossissant des traits, en inversant les rôles des uns et des autres et en dramatisant les conséquences pour mieux servir son projet. Une guerre des récits semble s’instaurer où il devient fort complexe de distinguer la violence de la sérénité. Nous verrons donc comment les manifestants péronistes deviennent des êtres violents pour le récit de LN et les forces de l’ordre des exemples de tempérance et de bienveillance qui ne seraient intervenues que pour rétablir l’ordre.

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Où aucune mention n’est faite des mouvements péronistes.

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Trad : « Charles de Gaulle et le président Illia se rendent à la place de France, entre les expressions de sympathie du public. Le leader de la résistance contre l’oppression nazie lève la main droite en signe d’union avec toutes les mains qui se relèvent pour le saluer ».

Concernant les incidents à Buenos Aires, nous avons évoqué quelques pages auparavant, l’article 4 de l’aire de scription n 3737 où les péronistes sont tenus responsables de la provocation des incidents. Le chapeau dudit article précise que : «Con sus estribillos característicos y llevando cartelones ocasionaron algunos desórdenes, aunque ninguno de gravedad, en la mayoría de los actos de homenaje a la visita del presidente de Francia»738. Or, cet article à charge contre les péronistes les dépeint comme violents car ils s’expriment en chantant et/ ou par le biais d’écriteaux. Ils sont donc accusés d’acclamer le «dictador prófugo»739 et de «exhibir cartelones preparados ex profeso»740. Le paroxysme du récit de LN semble pourtant atteint lorsque le scripteur-énonciateur affirme que : «la tarea policial, que en todo momento estuvo regida por la

moderación, debió proceder a detener a dos personas que llevaban los conocidos bombos»741.

Les pancartes et les instruments de percussion étant devenus des armes redoutables, pour LN, les policiers auraient été forcés d’agir.

Les incidents passés en revue à l’aéroport, à la « Place de France » et tout le long du parcours fait par le président De Gaulle font état de manifestants qui n’exerceraient que leur liberté d’expression et qui ne sembleraient pas revêtir de danger. Pourtant, c’est bien cela que dénonce le scripteur-énonciateur lorsqu’il affirme que les péronistes proféraient des «canciones

partidarias de moda en su época felizmente superada»742. L’adverbe de manière révèle

clairement l’évaluation portée par le S-E qui se pose en ennemi des péronistes. Par ailleurs, le récit montre que la police lance des gaz lacrymogènes contre les manifestants, mais ces interventions sont justifiées car elles seraient censées rétablir l’ordre. Les policiers sont donc présentés comme prudents puisqu’ils se sont limités à «hacer un uso moderado de sus bastones»743, ils sont même des victimes directes de la violence car «dos agentes de policía fueron lesionados»744. Or, si le scripteur-énonciateur insiste sur l’attitude pacifique des forces de l’ordre, les péronistes qui portaient des pancartes faisant allusion à la «‘tercera posición’, el retorno del dictador y (…) al general de Gaulle y al presidente derrocado en 1955»745 ne

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Voir plus haut l’article intitulé : «Grupos peronistas dieron motivo a varios incidentes».

738

Trad : « Avec leurs refrains caractéristiques et brandissant des pancartes ils ont provoqué quelques désordres, bien qu’aucun de gravité, dans la plupart des actes en hommage à la visite du président de la France ».

739

Trad : « dictateur en fuite ».

740

Trad : « exhiber des pancartes préparées exprès ».

741

Trad : « la tâche policière, qui fut régie à tout moment par la modération, fut contrainte de procéder à l’arrestation de deux personnes qui portaient les bombos célèbres ».

742

Trad : « des chansons partisanes en vogue à une période heureusement dépassée ».

743

Trad : « faire un usage modéré de leurs matraques ».

744

Trad : « deux agents de police ont été blessés ».

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semblaient pas pour autant mettre en danger la sécurité au passage de la voiture des présidents français et argentin. Ce qui semblerait mettre en péril l’unité nationale, aussi bien pour LN que pour le gouvernement d’Illia, serait bel et bien l’assimilation faite par les péronistes entre les figures de Charles De Gaulle et de Juan Domingo Perón. Dans le but d’effacer cette association et de montrer les péronistes comme des citoyens anti-démocratiques, le récit inverse les rôles : les manifestants apparaissent donc comme des perturbateurs violents avec leurs écriteaux, leurs refrains et leurs tambours, alors que les forces de l’ordre sont dépeintes comme pacifiques avec leurs matraques.

Quant aux incidents ayant eu lieu à Córdoba, l’aire de scription n 5 reflète le paradoxe du récit de

LN qui, d’une part, essaie de montrer l’unité nationale lors de l’accueil de CDG à travers le gros

titre «Un cordial recibimiento tributó Córdoba al general de Gaulle»746, et, d’autre part, attire l’attention sur les incidents produits dans la ville et leur gravité dans l’article 6.

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Trad : « Córdoba donna une réception cordiale au général de Gaulle ».

Aire scripturale n°5 : 7 octobre 1964, Une. Gros titre 3 : «Un cordial recibimiento tributó Córdoba al general de Gaulle». Article 6 : «Produjéronse en aquella ciudad graves incidentes». Encadré 2 : «La policía detuvo a dirigentes gremiales».

L’attaque de l’article 6 décrit l’ambiance hostile747 aux manifestations péronistes décrite depuis la veille de l’arrivée du président De Gaulle à Córdoba. Le S-E justifie l’action de la police en affirmant que la répression des manifestants s’est déroulée parce que «se tuvo la sensación de

que el enfrentamiento no tardaría en producirse»748. Les forces de l’ordre disposaient d’abord de

canons à eau pour disperser les péronistes et, soudain, «sonó el primer disparo de arma de fuego, a lo que siguió una ráfaga de ametralladora»749. L’impossibilité d'identifier l’agent à l'origine des coups de feu laisse planer le doute sur le ou les auteur(s), mais le récit de LN se

charge bien d’identifier «un particular que esgrimía una ametralladora Pam»750 qui «efectuó una

ráfaga contra los efectivos policiales»751. Puis, il précise qu’il s’agit d’un «disparo de los peronistas»752 qui endommagea l’une des colonnes du Palais de Justice. Sur la répression policière rien n’est dit.

La suite de l’article 6 est présentée dans l’aire de scription n 6 dans laquelle un gros titre «Varios heridos de bala en los desórdenes de Córdoba»753 donne le ton de la page où quatre photos mettent en scène les affrontements. Les légendes accompagnant ces photographies précisent

leurs sens à charge contre les manifestants qui «vuelven a provocar la alteración del orden»754,

dont l’un d’entre eux a effectué «un disparo de pistola»755, et en faveur des policiers qui se

trouvaient «parapetados detrás de una escalinata»756 dont la responsabilité des coups de feu est

passée sous silence. Pour sa part, la photo n 3 montre les manifestants en train d’avancer sereinement avec les portraits de Perón et de De Gaulle avant les incidents. Si rien n’est dit sur leur appartenance politique dans la légende, les images suffisent à rétablir leur référent. Par ailleurs, il est précisé qu’il s’agit des mêmes manifestants qui «más tarde provocarían desórdenes y lamentables episodios»757. La photo n 4 est censée présenter l’intervention imminente des forces de l’ordre, une fois les incidents initiés et développer la thèse selon laquelle les policiers

747

«La atmósfera de presagios que flotaba en el comentario público desde la noche anterior cuando hubo fugaces manifestaciones justicialistas en el centro de la capital, de marcado tono agresivo». Trad : « L’atmosphère de présages qui flottaient dans les commentaires publics depuis la veille au soir lorsque des manifestations justicialistes fugaces, au ton fortement agressif, eurent lieu au centre de la capitale ».

748

Trad : « on a eu la sensation que l’affrontement ne tarderait pas à se produire ».

749

Trad : « un premier coup de feu a résonné, suivi d’une rafale de mitrailleuse ».

750

Trad : « un particulier qui maniait une mitrailleuse Pam ».

751

Trad : « (il) tira en rafale contre les effectifs policiers ».

752

Trad : « (un) tir des péronistes ».

753

Trad : « Plusieurs blessés par balle dans les désordres de Córdoba ».

754

Selon la légende de la photo n 1. Trad : « (ils) provoquent à nouveau l’altération de l’ordre ».

755

Trad : « (un) coup de pistolet ».

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Trad : « barricadés derrière un escalier ».

757

Trad : « (ils) provoqueraient plus tard des désordres et des actions lamentables ». Ce récit aux allures prémonitoires est construit à charge contre les péronistes par le S-E.

n’ont fait que rétablir l’ordre face à l’attaque des manifestants «los más reacios, identificados con el peronismo»758. La photo 2 fait une sorte de bilan où on voit la vitre de la voiture présidentielle brisée par les manifestants, alors que la légende précise que le président Illia a été blessée à une main. La séquence photographique est donc bien ficelée et à charge contre les péronistes ayant attaqué la voiture des présidents et les forces de l’ordre. Le but du méta-énonciateur est de montrer « l’évidence » des troubles à travers des photographies qui « racontent » l’événement construit.

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