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UNE PRESCRIPTION QUI MARQUE LE REFLUX DES PRESCRIPTIONS JURIDIQUES ?

INTRODUCTION DU CHAPITRE 1

4 LE DISPOSITIF NORMATIF RELATIF A L’EVALUATION DES RISQUES L’examen du dispositif normatif relatif à l’évaluation des risques rend compte des tendances L’examen du dispositif normatif relatif à l’évaluation des risques rend compte des tendances

4.4 UNE PRESCRIPTION QUI MARQUE LE REFLUX DES PRESCRIPTIONS JURIDIQUES ?

Ainsi, le paysage normatif de l’évaluation des risques n’est pas encombré. La production, tardive, est avant tout le fait des pouvoirs publics et limitée à l’expression de « l’exigence essentielle » d’évaluation, et sa sanction pénale est légère. Tout se passe comme si l’obligation d’évaluer les risques, et les principes généraux de prévention auxquels elle est associée dans le chapitre préliminaire du même nom, constituait davantage une déclaration d’objectifs, une norme d’orientations, une « législation déclamatoire » ou « une norme non prescriptive » selon les termes de J-B. Auby217 :

« Nous voudrions nous interroger sur un phénomène contemporain que l’on peut désigner comme de dilution des prescriptions juridiques dans la production juridique ou, à tout le moins, de reflux des prescriptions juridiques dans la production juridique. Il s’agit du fait que, dans les textes juridiques de toutes sortes, les commandements assortis d’une menace de sanction, les prescriptions, donc, tendent à céder la place de plus en plus fréquemment à des déclarations d’objectifs, des normes d’orientation, des programmes d’action, soit à un ensemble varié de

"normes non prescriptives" ».

215 ILO-OSH : International labour organisation – Occupational safety and health.

216 Groupe d’Impulsion Stratégique « Evaluation des risques » GIS RISQUES – N° 031.

217 Auby J.B, (1991), « Prescription juridique et production juridique », in Chazel et Commailles (dir.), L.G.D.J.

Par delà la simple contravention prévue par le texte, notons avec lui que la sanction de cette norme est bien réelle, et susceptible même d’être très lourde, dès lors que le défaut d’évaluation des risques sera associé à la survenance d’un accident ou d’une maladie professionnelle. C’est ce que laisse augurer les arrêts du 28 février 2002, déjà cités, si une réforme des modes de réparation ne vient pas à la rescousse des entreprises fautives.

Nous verrons dans notre chapitre sur la politique publique, l’importance accordée par le ministère du travail à la mise en œuvre d’une « veille », hors de l’entreprise comme dans l’entreprise, à l’égard des risques professionnels, et comment il associe à celle-ci l’obligation d’évaluation des risques des employeurs. Dans ce contexte, l’obligation d’évaluation des risques, aussi peu prescriptive qu’elle soit, devient l’instrument de la formulation d’une politique publique, le moyen de sa diffusion, le ressort de son acceptation (Auby J.B, 1991).

Nous verrons, aussi dans notre chapitre sur la dimension cognitive de la prévention, comment le contenu évanescent de l’obligation d’évaluation des risques permet de nourrir de multiples conceptions qui entretiennent un débat profitable à la prévention.

CONCLUSION

A l’issue de ce chapitre relatif à la dimension normative de la prévention des risques professionnels, nous pouvons exprimer plusieurs constats.

La légitimité de la réglementation publique de la prévention des risques professionnels est forte. Cette légitimité s’est construite dans le temps, afin d’accompagner le développement industriel de la fin du 19eme siècle et, dans le cadre de la rhétorique d’une Europe sociale, la libre circulation des marchandises du marché unique européen du 21eme siècle. Elle a donc une source nationale et supra nationale, une visée économique et sociale. Elle entre en concurrence avec la recherche d’un profit immédiat et s’accompagne, dès lors, d’un dispositif répressif et coercitif. L’abondance des règlements et leur accroissement, en matière de prévention des risques professionnels, traduisent la légitimité de l’action de l’Etat en matière de prévention, qui s’est imbriquée historiquement avec la construction de l’inspection du travail.

Ainsi, la prévention des risques est-elle associée, par l’ensemble des acteurs, à celle de l’ordre public, largement encadré par l’Etat.

Le cas de l’évaluation des risques montre comment, compte tenu du mode précité de légitimation de la prévention (réglementaire et répressive), l’affaiblissement des sanctions menace d’ineffectivité le règlement. Dès lors, l’inspection du travail est fortement attachée à l’existence d’un ordre public assorti de sanctions pénales, dont il faut constater, dans le champ de la sécurité du travail, une extension aussi peu contestée218 qu’elles sont peu mises en œuvre. En effet, à moins de se situer dans une pure logique de commandement du social, les manquements à la loi ne sont-ils pas inévitables compte tenu du compromis dont résulte la prévention et dont témoigne le faible nombre de procès verbaux établi par les inspecteurs.

La production des normes, qu’elles soient publiques ou privées, résulte d’une articulation de l’initiative privée et publique. Ni l’Etat, qui se veut garant de l’intérêt général, ni les acteurs sociaux promoteurs de leurs intérêts spécifiques, ne veulent s’abstraire de la production normative des uns et des autres. L’un et l’autre se sollicitent réciproquement pour assurer l’efficacité de leurs normes. Cette articulation entre acteurs privés et publics, dans la

218 Rebut D. (2000), « Le droit pénal de la sécurité du travail », Droit Social, novembre. Voir aussi Teyssié.B dans la même revue.

production des normes, constitue un facteur d’incertitude, en particulier pour les inspecteurs du travail qui redoutent des remises en cause de la loi sous la pression du patronat.

La réglementation privée de la prévention des risques tend à se renforcer, même si elle demeure encore marginale. La conciliation des exigences d’une régulation avec la revendication libérale du « moins d’Etat » ainsi que la volonté de reconnaissance des partenaires sociaux conduisent à une revendication forte de production privée de normes et d’une adaptation de la loi à celle ci. L’expérience des inspecteurs du travail de cette évolution de la hiérarchie des normes, dans un domaine comme la durée du travail, les amène à la redouter dans le champ de la prévention des risques, dont le caractère d’ordre public était jusqu’à présent peu contesté.

A cette poussée de la réglementation privée se combine une incertitude sur les frontières de l’ordre public. Citons Martine Aubry lors du centenaire de la DRT :

« La protection des salariés, individuelle et collective, repose sur des limites entre le rôle de l’Etat et le rôle de la négociation qui sont aujourd’hui plus floues qu’auparavant. Je m’en réjouis, dès lors que ce flou ne correspond pas à une moindre protection, mais aboutit à une plus grande prise en charge des problèmes concrets de la vie des salariés par les chefs d’entreprise, par les organisations syndicales et patronales. C’est vrai de la politique salariale, de la durée du travail, des conditions de travail. Il faut saluer là le rôle de l’ANACT, qui, peu à peu, rentre dans les négociations qui ont lieu à tous les niveaux dans notre pays » (La DRT a 100ans, Ministère de l’emploi et de la solidarité, octobre 2000, p.26).

Si cette incertitude constitue une ressource pour le pouvoir politique, elle déstabilise, entre autres acteurs, les inspecteurs.

Les normes de prévention souffrent d’un manque de lisibilité qui résulte des difficultés d’articulation de règles d’origines différentes, de leur abondance, de leur obsolescence parfois, et d’une codification surannée entachant leur légitimité et leur efficacité. Si l’inspection du travail en est atteinte, cette complexité constitue néanmoins pour elle un domaine d’expertise.

Enfin, et pour anticiper sur le chapitre sur l’approche cognitive de la prévention, nous avons pu appréhender comment l’évaluation des risques révélait, dans le champ de la prévention des risques professionnels, le mouvement, identifié dans le droit social par de nombreux auteurs219, de substitution d’une « rationalité procédurale où l’essentiel serait d’organiser les procédures de délibération entre les acteurs, faute de pouvoir trouver un accord sur les fins » à une « rationalité instrumentale, celle du droit social classique, où l’Etat agit comme un ingénieur social dans le détail des questions ».

Pour autant, le domaine de la santé et de la sécurité au travail n’est qu’effleuré par ce mouvement, ce qui y rend d’autant plus sensible les inspecteurs du travail.

Ainsi, le dispositif normatif apparaît complexe et instable. Il est mis sous la pression des contraintes économiques. Dès lors, le caractère virtuel du dispositif coercitif et répressif public et privé le fragilise. Il en résulte une incertitude des acteurs de la prévention à son égard, à laquelle l’inspection du travail, est particulièrement sensible.

219 Notamment, Morin ML. « La loi et la négociation collective dans l’élaboration des normes sociales », Colloque de l’INTEFP du 08/11/2001 sur « La négociation collective dans la démocratie sociale », in Liaisons sociales Europe n°52, mars 2002. Notons que ce mouvement ne se limite pas au droit de la sécurité. Il touche aussi le droit des licenciements collectifs avec l’invitation faite par la loi du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques, à conclure des « accords de méthodes » (article 2 de la loi).

CHAPITRE 2 : LA DIMENSION COGNITIVE DE LA

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