• Aucun résultat trouvé

1 QUEL « SENS » POUR LA PREVENTION ?

1.2.3 LES JUSTIFICATIONS D’UNE APPROCHE GLOBALE

1.2.3.3 Une justification éthique et sociale

196 Lenoir C. (2001), « Explosion AZF - Eléments d’analyse de l’efficience des dispositifs publics », DDTEFP de Haute Garonne, document ronéoté, octobre 2001.

197 Selon Viet V. et Ruffat M.(1999) « L’idée fut acquise, dès avant la 1ère guerre mondiale que l’amélioration des conditions de travail pouvait entraîner d’importants gains de gestion », p.34, Voir aussi les rapports des inspecteurs du travail dans Viet V. (1994) p.434-435.

198 Chaigneau Y. in Entreprise n°13 janvier 1978. Cf. Travail et Emploi juillet 1980 n°5.

Le directeur général de l’ANACT, H. Rouilleaut anima l’une des tables rondes du colloque organisé par l’INTEFP les 12 et 13/12/1994 : « Performance globale : enjeu pour les entreprises et enjeu pour la société ».

199 ANACT. (2000) « Prévention des risques professionnels, les positions des partenaires sociaux », mars 2000,p.25

La prévention des risques professionnels fait aussi l’objet d’autres discours globalisant, et qui renvoient à d’autres valeurs que celles de la préservation de la santé ou de la sécurité au travail ou de la fiabilité et performance des entreprises. Parce qu’ils sont portés par le ministère du travail ou donnent lieu à des controverses, évoquons les discours sur le dialogue social dans l’entreprise, et sur l’appartenance de la santé au travail à la sphère de la santé publique200.

L’épaulement réciproque de la prévention et du dialogue social

En 1946, Decoust , inspecteur du travail, écrivait au sujet de l’action menée par l’inspecteur auprès du Comité de sécurité : « (l’inspecteur) s’efforcera de développer cet esprit de sécurité qui manque si souvent. Dans cette action constante auprès des représentants du personnel et auprès des membres de la direction, l’inspecteur réalise les trois buts essentiels de sa mission : paix sociale, progrès social, sécurité sociale. »201

La vocation pacificatrice des relations sociales du Ministère du travail, et son choix récent de privilégier la production conventionnelle de normes, l’amènent à faire de l’articulation de la prévention des risques et du dialogue social un lei motif.

Mais le passage du discours aux actes est difficile, tant la question du pouvoir dans l’entreprise est conflictuelle. D’un côté, les réticences des employeurs au développement des prérogatives des CHSCT, de l’autre les hésitations des organisations syndicales sur la co-gestion des risques, rendent souvent virtuelles les envolées lyriques associant prévention et dialogue social.

Les inspecteurs du travail, dont le regard est orienté vers les dysfonctionnements du dialogue social dans l’entreprise par les plaintes qu’ils reçoivent et la recherche d’infractions qui caractérise leur action de contrôle, sont peu réceptifs à cette jonction des problématiques du dialogue social et de la prévention. Tout au plus peuvent-ils, dans les entreprises dont les CHSCT sont très conflictuels – ce qui constitue l’exception compte tenue du faible investissement syndical dans cette institution – tenter de jouer un rôle d’arbitre.

200 Nous aurions pu évoquer deux autres approches globalisantes. Celle associant protection de l’environnement et prévention des risques professionnels qui, dans une quasi indifférence générale, exception faite de l’hostilité patronale, s’est traduite en 1991 par un élargissement des prérogatives du CHSCT (L 236-2 al 8 du code du travail introduit par la loi du 31/12/1991. (voir la déclaration des employeurs en séance plénière du CSPRP 14/02/1991 ; Voir le rapport du CES sur les CHSCT, 2002). Celle, portée aujourd’hui par le Bureau technique syndical de la CES, œuvrant à la prise en compte du genre dans l’approche des risques professionnels. (Voir « La dimension de genre en santé au travail », BTS-Newsletter, Bulletin d’information du BTS, n°18 mars 2002, Bruxelles).

201 Decoust J.(1946) « L’évolution du rôle de l’inspection du travail », Droit Social.

Santé publique/santé au travail

Les interrogations sur l’articulation entre la santé au travail et la santé publique sont, à l’image des acteurs qui les portent, puissantes.

Dès les premières enquêtes sur la situation ouvrière (1837,1840), la question du caractère spécifiquement professionnel des maladies était posée. Les hygiénistes, qui étaient aussi inspecteurs du travail, imputaient certes les maladies aux conditions de travail mais tout autant, si ce n’est plus encore, à l’état sanitaire général des villes, aux maladies contagieuses, aux mœurs (alcoolisme)202.

Les dispositions légales et réglementaires relatives à l’hygiène et à la salubrité sur les lieux de travail, et la loi de 1919, constituent l’affirmation d’une spécificité de la santé au travail. Et par la suite, «sauf sous Vichy (…) la France n’est jamais parvenue à articuler les questions de santé publique et les questions de santé au travail »203.

Selon B. Cassou « en ne nommant au Haut Comité de la Santé publique en 1991 aucun expert du domaine de la "santé au travail" (ni du domaine santé-environnement), le ministre de la Santé de l’époque traduisait le fait que dans notre société, la santé est avant tout une affaire privée, un bien à privilégier, un capital à entretenir par un mode de vie "hygiénique" »204. La défense d’une spécificité de la santé au travail fait l’objet d’une convergence entre les principaux acteurs de la prévention des risques. Selon l’IGAS, dans son rapport annuel 2003 :

«De façon surprenante, (….), les acteurs de la médecine du travail, partenaires sociaux, médecins du travail, les services du ministère du travail, restent dans l’ensemble étrangers à une logique de santé publique » (p.132).

Le patronat « ne saurait accepter que la connaissance et la prévention des risques professionnels soient diluées dans une démarche globale de type "santé publique", même si nous comprenons parfaitement que des synergies s’imposent ici ou là »205.

Pour Mme Aubry « il ne faut pas perdre de vue la spécificité de la prévention des risques professionnels » car c’est « dans les entreprises que les situations peuvent et doivent être corrigées »206.

Cette convergence repose sur des motivations différentes. Pour le patronat, la spécificité de la santé au travail recouvre des enjeux financier et de pouvoir. En effet, il dénonce les ponctions opérées sur la branche AT/MP, excédentaire, au profit de la branche maladie ; il refuse la complète prise en charge de maladies professionnelles aux origines multifactorielles et,

202 Voir à ce sujet les enquêtes et conclusions du Dr Villermé en 1840 et de JP Thouvenin en 1846, tous deux inspecteurs du travail, analysées par L’Ecuyer BP. (1983), « L’usure au travail, les hygiénistes et les maladies professionnelles » in la revue Mouvement social n°124 juillet-sept 1983.L’Ecuyer rapporte notamment comment Thouvenin JP. propose l’abandon pur et simple de la problématique liée à la notion de maladie professionnelle développée depuis Ramazini en 1700 pour proposer un examen plus global des conditions de vie des classes ouvrières et constater que l’origine essentielle des pathologies se trouve en dehors des conditions de travail.

203 Viet V et Ruffat M. (1999) p.210. Ces auteurs retracent brièvement l’évolution de l’hygiène industrielle depuis Ramazini (1700)

204 Cassou B. (1995), « De la difficulté à construire une problématique santé dans le domaine du travail », in Le travail humain, tome 58, n°4/1995, p.355.

205 Intervention de B. Caron représentant du CNPF et de la CGPME au CSPRP de février 97. Voir aussi CSPRP 20/01/1995 « il ne faut pas confondre risques professionnels et santé publique » explique Caron B. pour récuser une extension des tableaux de maladies professionnelles qui amènerait les entreprises à indemniser des pathologies à composante multifactorielle contractée ailleurs que dans l’entreprise.

206 Séance plénière CSPRP 25/02/1999.

défendant son pouvoir exclusif de gestion et de direction, il récuse ce qui est susceptible de renforcer le droit de regard de la collectivité sur l’entreprise207.

Pour l’administration du travail, la spécificité de la santé au travail permet de rappeler la responsabilité civile et pénale des patrons et leurs engagements dans son financement208. Elle lui permet aussi de défendre son territoire à l’égard du gigantisme du système de santé publique209.

Néanmoins, la prise de conscience de la catastrophe de l’amiante et de l’ampleur des effets différés des expositions aux substances et procédés de travail dangereux, en même temps que la crise de confiance à l’égard de l’INRS (IGAS, 1999)210, ont nourri l’exigence d’une intégration de la problématique de la santé au travail dans celle plus large de la santé publique211.

Ainsi, la mise en place au sein de l’institut de veille sanitaire (InVS), créé par la loi du 1erjuillet 1998, d’un département santé- travail atteste de la volonté de chercher une articulation entre les deux sphères travail/non-travail, qui ont toujours été liées ainsi que le professaient les premiers hygiénistes.212

Et les ministres du travail n’ont eu de cesse, depuis 1999, de prôner ouverture et collaboration entre le système de santé au travail et celui de santé publique :

« Il nous faut dépasser les cloisonnements traditionnels des politiques de prévention qui réduisent leur efficacité : les problèmes de santé au travail peuvent être des alertes pour la santé de la population en général et inversement la détection d’un problème de santé publique – ou environnemental – doit constituer un signal d’alarme pour les acteurs de la PRP », et, « il faut continuer de construire des passerelles entre la santé-sécurité au travail et des enjeux sanitaires plus généraux » 213.

L’articulation santé publique/santé travail n’est pas sans effet sur l’inspection du travail. Elle élargit le nombre des acteurs de la prévention et leurs collaborations214, et importe au sein du champ de la prévention des risques professionnels des concepts et des débats en cours dans le champ de la santé publique, tels que le principe de précaution et l’acceptabilité des risques, la séparation de l’évaluation et de la gestion des risques, la prise en compte dans les décisions des aspects bénéfice/risque, coût/efficacité, etc.215, dont les anglo-saxons sont déjà porteurs dans la problématique des risques professionnels.

207 Voir la position du MEDEF exprimée dans « Les positions des partenaires sociaux » mars 2000, ANACT :

« Dans toutes les entreprises, c’est le chef d’entreprise qui est et doit demeurer le responsable numéro 1 de la prévention » p.9 et suivantes

208 Rappelons que les cotisations accidents du travail sont supportées par les seuls employeurs et que la médecine du travail est intégralement financée par eux.

209 Voir le rapport de Lejeune D, Evaluation des risques et santé au travail. Continuité et évolution du rapport Villermé aux directives européennes, ministère du travail et des affaires sociales 1996 ;

210 Cf. les interventions du ministre du travail en CSPRP à partir de 1998 ;

211 Rapport de la Cour des comptes sur la gestion du risque AT MP, février 2002 : « les risques professionnels sont donc un enjeu de santé publique » p.8

212 L’hostilité du syndicat FO à la création de l’InVS, exprimée au CSPRP de 1999, rend compte de l’attachement des organisations syndicales à la spécificité de la santé au travail, et à ses institutions, à la gestion desquelles elles participent.

213 Aubry M. au CSPRP du 25/02/1999, puis du 24/02/2000.

214 A titre d’exemple, citons les collaborations entre médecins de ville- médecins du travail- inspecteurs du travail, développées dans le cadre du contrat de plan Etat-Région 2000-2006 en région PACA promouvant la construction de « réseaux de veille et de prévention ».

215 Dab W. (1993) et plus récemment « Maîtrise des risques, prévention et principe de précaution » Actes du colloque du 6/11/2001 organisé par l’INRS à l’Institut Pasteur.

La participation d’agents de la sous direction des conditions de travail aux travaux de Michel Setbon216, sur la prise de décision en matière de sécurité sanitaire217, a permis d’importer au sein du ministère du travail le questionnement sur les prises de décisions justes et efficaces et sur l’indépendance de l’expertise218.

Outline

Documents relatifs