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Des tentatives de dépassement de la prescription externe

1 QUEL « SENS » POUR LA PREVENTION ?

1.3 UNE APPROCHE PRESCRIPTIVE ET SUR DETERMINEE PAR LE RISQUE

1.3.4 LES DIFFICULTES A SORTIR DU MODELE REGLEMENTAIRE PRESCRIPTIF Observons ci-dessous le partage du modèle réglementaire prescriptif par l’ensemble des

1.3.4.2 Des tentatives de dépassement de la prescription externe

L’évolution normative tend à atténuer les prescriptions externes au profit d’une prescription interne aux entreprises (I). En même temps, des praticiens et chercheurs les plus critiques à l’égard de la prescription la réhabilitent (II).

Les prescriptions réglementaires procédurales développent une prescription interne

L’administration a tôt fait le constat que la réglementation serait toujours en retard sur les pratiques.

Aussi, deux voies se sont ouvertes à elle.

La première, qui ne rompt pas avec l’approche prescriptive externe, a consisté à attribuer aux fonctionnaires de l’administration du travail et au CRAM un pouvoir réglementaire. Ainsi, par voie de « recommandations » pour les CRAM, dès 1946, ou de « mise en demeure » pour les Directeurs départementaux, avec la loi du 6 dcembre1976, a-t-il été possible à ces institutions d’édicter des obligations nouvelles pour les entreprises. Si la production des CRAM a été abondante, grâce à l’action des comités techniques régionnaux chargés de l’élaboration de ces recommandations, les créations réglementaires des directeurs départementaux ont été très limitées, car elles nécessitaient un rapport de l’inspecteur du travail, lequel – invoquant la lourdeur de la procédure - préférait en fait s’en tenir aux risques déjà réglementés.

Ainsi le nombre de "mises en demeure du directeur départemental" n’a été que de cinquante par an, en moyenne, pour les années 1993-1999265.

La seconde, qui s’écarte résolument d’une prescription externe, consiste à renvoyer à l’analyse des risques accomplie par l’entreprise, l’adoption des mesures de prévention adaptées, sous la forme d’un prescrit interne à l’entreprise.

Cela s’est concrétisé de deux manières : impérative et incitative.

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L’injonction d’adopter des règles internes

Très tôt, les règlements techniques ont prévu l’obligation pour l’employeur d’édicter des consignes de sécurité, destinées à organiser de manière sûre le travail. Et en 1982, la réforme des règlements intérieurs266 a prévu que devaient y être intégrées les mesures d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité.

Les règles internes de prévention sont aussi constituées par l’énoncé des modes opératoires sûrs, résultant d’une analyse des risques prescrite aux chefs d’entreprise depuis 1977, par les textes relatifs aux plans de prévention à réaliser lors des opérations de sous traitance chez un donneur d’ordre et lors des opérations de construction. Dès lors, «les employeurs ne sont plus seulement en position d’assujettis subissant la réglementation, mais ils sont invités à élaborer des contributions positives et circonstanciées.(…) »(Lenoir C.1987).

Enfin, les principes généraux de prévention, édictées en 1991, ont prévu l’obligation de donner des instructions appropriées aux travailleurs, destinées à rejoindre le règlement intérieur (L 122-34 du code du travail, modifié par la loi du 31 décembre 1991).

L’incitation à l’adoption de règles internes :

Les « chartes », ou codes de « bonnes conduites », conclues entre l’Etat, ou les institutions de prévention, et les entreprises, constituent autant de règles internes encouragées par la puissance publique. Et lorsqu’il redoute une application stricte de la réglementation, le patronat est demandeur de conclusion de telles chartes267.

C’est sur ce registre que les CRAM déploient leur énergie depuis près de 15 ans, avec le virage qu’a constituée la loi de 1987 relative à la conclusion de conventions d’objectifs, entre la CNAM et les branches professionnelles, et des contrats de prévention conclus entre les CRAM et les entreprises de ces branches.

« L’approche participative par branche » mise en place, depuis 1997, par la CNAM illustre le développement récent apporté à cette démarche, qui se veut non prescriptive :

« On peut caractériser l’approche participative par branche comme un travail en partenariat entre les préventeurs et les professionnels, permettant par une meilleure connaissance des enjeux des professions et par une approche globale, d’espérer mobiliser les professionnels dans l’action et la prise en charge future des problèmes de prévention. A la différence d’une démarche seulement prescriptive, ce mode de pratique engage une responsabilité de chaque participant vis à vis des résultats attendus, chacun devant y trouver son intérêt. Ainsi les solutions de prévention envisagées en concertation, résultant de compromis négociés, font preuve d’un réalisme certain découlant d’une meilleure connaissance interne des problèmes, gage de crédibilité pour l’Institution. Cette démarche participative, non seulement complète le dispositif contractuel des conventions

265 Soit une pour 25 agents. Source : statistiques annuelles communiquées au CSPRP dans les Bilans des conditions de travail.

266 Loi du 4 août 1982 L 122-33 et L 122-34 du code du travail.

267 Cf. les propositions patronales au CSPRP du 14/02/2002.

nationales d’objectifs et des contrats de prévention mais ouvre de plus des voies de pénétration des professions qui faciliteront de futures collaborations" »268

Malgré l’utilisation du terme «participatif » cette démarche ne met en scène que des prescripteurs, qu’ils soient externes ou internes à l’entreprise. Aucune place stratégique n’est accordée aux collectifs de travail en tant que détenteur d’une expérience, ni aux institutions représentatives du personnel susceptibles de porter les expériences et le conflit auquel sont soumis les salariés entre les impératifs de production concrète et leur souci de bien être au travail269.

Aussi, cette démarche nous paraît-elle relever foncièrement de l’approche prescriptive.

La politique des CRAM ne recueille pas pour autant l’adhésion des inspecteurs du travail, qui considèrent que ces institutions s’éloignent du terrain et d’une mission de contrôle, au profit d’une attitude exclusive de prestataire de service(formation, conseil, aides financières, etc.).

Citons le compte rendu d’un séminaire rassemblant un nombre important d’inspecteurs du travail en 1991 :

« De ce point de vue les avis sont à une exception près unanimes pour constater que le niveau de coordination est à la baisse pour toucher parfois à l’inexistant, la responsabilité en étant le plus souvent imputé aux CRAM chez lesquelles les intervenants croient percevoir une évolution de plus en plus marquée vers une démarche de prestation de services (ristournes, contrat de prévention) au détriment de l’action de contrôle proprement dite.

Cette évolution des CRAM vient de surcroît s’ajouter, selon la majorité des intervenants à celle que connaît déjà depuis quelques temps l’OPPBTP dont l’action est jugée comme étant de plus en plus éloignée du terrain et l’attitude à l’égard de l’inspection du travail de plus en plus réticente » 270.

Le questionnement de l’ergologie et la réhabilitation de la prescription

Dans l’élan de la mise en évidence des « pratiques informelles de sécurité » et des « savoir-faire de prudence » se développent, depuis près de 20 ans, des théories et des recherches sur la compréhension, la confrontation, et voire, la réduction des écarts entre le référentiel du prescrit externe – le plus souvent réglementaire - le référentiel du prescrit interne aux entreprises, qui intègre une partie des contraintes réglementaires et un retour d’expérience des opérateurs, et le référentiel de l’activité, qui voient les travailleurs arbitrer entre les prescrits qui leurs sont adressés, les exigences de la production et celles de leur bien être. L’ergologie entend interroger le registre de la norme «ce qu’il faut faire », par le registre du réel «ce qui se fait », à travers «une démarche interdisciplinaire participative, organisée pour débattre, avec l’apport de médiateurs formés à l’analyse du travail, à partir des normes propres à chacun de ces référentiels »271. Les collaborations nouées entre ces chercheurs272 et la direction régionale du travail de la région PACA et l’Institut national du travail rendent compte de la volonté d’ouverture de l’inspection du travail à leur questionnement.

268 Les priorités pour demain - Politique de prévention des risques professionnels CNAM TS –mars 1997, p.24.

Les bilans annuels des conditions de travail édités par la DRT pour le CSPRP rendent compte de ces réalisations encore très limitées.

269 Rappelons aussi que les organisations syndicales ne sont pas partenaires des chartes et des contrats de prévention. Aussi, dans leurs « Points de convergence entre les organisations syndicales » exprimées à l’occasion de la négociation de l’accord sur la santé au travail, la CGC-CFDT-CFTC et CGT réclamaient en février 2000 que les "contrats de prévention" soient négociés avec les syndicats, après avis du CHSCT.

270 Compte rendu du séminaire de l’inspection du travail- atelier sur l’orientation et la coordination de l’action de prévention-synthèse des rapports régionaux - Séminaire de l’inspection du travail sur la prévention des risques professionnels 20 septembre 1991, Paris.

271 Schwartz Y. et Trinquet P (2001), « Pour une prévention santé/sécurité au travail plus efficace : une approche ergologique », in revue Prévenir, n°40, 1er semestre 2001, p.235. Aussi Trinquet P.(1997), « La sécurité dans le travail », in Humanisme et Entreprise n°97-225,1997.

272 Département d’Ergologie/Approche pluridisciplinaire des situations de travail (APST) de l’Université de Provence.

Mais cette approche compréhensive des conditions de travail, et la valorisation des savoir-faire de prudence, ne sont pas contradictoires avec une prescription jugée indispensable pour servir de repère pour les acteurs. Citons Davezies P. (1993) :

« Il ne s’agit pas d’imaginer un travail sans prescription. La psychodynamique du travail et l’ergonomie soumettent l’organisation du travail au feu de la critique. Néanmoins, l’organisation, il ne faut pas le perdre de vue, est nécessaire. C’est parce qu’il est pris entre la contrainte imposée par la prescription et la résistance de l’objet du travail que le sujet va s’engager dans ce cheminement, dans cette exploration, qui vont l’amener à trouver, à inventer, à construire une expérience professionnelle »273

1.4 L’EVALUATION DES RISQUES ACCELERE LA MUTATION

Nous avons vu, dans l’introduction de notre thèse, le débat que l’évaluation des risques a suscité parmi les inspecteurs du travail.

Aujourd’hui, la totalité des acteurs de la prévention se réfèrent à la question de l’évaluation des risques qui apparaît aussi comme le vecteur d’une réflexion, voire de nouvelles pratiques, entrant en résonance avec les tensions que nous avons explicitées plus haut, sur le sens donné à la prévention.

Examinons successivement, la finalité de l’évaluation des risques, ou la tension avec le risque acceptable (I), puis son articulation avec les approches globales identifiées au sein de la prévention (II), et enfin ses rapports avec une prévention fondée sur la prescription (III).

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