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Les définitions données à l’évaluation des risques valident une hiérarchisation des risques

1 QUEL « SENS » POUR LA PREVENTION ?

1.3 UNE APPROCHE PRESCRIPTIVE ET SUR DETERMINEE PAR LE RISQUE

1.4.1.2 Les définitions données à l’évaluation des risques valident une hiérarchisation des risques

Avec pour préoccupation l’aide à la prise de décision, et après un tâtonnement, la totalité des préventeurs définissent aujourd’hui l’évaluation des risques comme la combinaison des phases d’identification des risques et de leur estimation, autrement dit, de leur mesurage ou hiérarchisation. En cela, l’évaluation des risques professionnels porte la marque de fabrique

« santé publique » et « environnement », même si elle s’en écarte comme le note A. Cicollela:

« L’évaluation des risques issue de la directive du 12 juin 1989 diffère celle qui découle du règlement 793/93 [portant sur la protection de l’environnement]. Il s’agit plus d’un inventaire des risques (soit une évaluation qualitative et sous certains aspects, semi-quantitative des risques) que d’une estimation quantitative des risques pour la santé des travailleurs travaillant dans ces ambiances de travail »280.

Les institutions de prévention des risques professionnels :

Pour l’ANACT «l’identification des risques et leur description du point de vue des trois approches constituent un travail préliminaire à l’évaluation des risques. (…) L’évaluation sera un exercice qui donnera un poids, un rang, à chaque risque afin que puissent se définir ensuite des priorités »281.

Pour l’INRS : « l’évaluation des risques s’impose à tous les établissements conformément à l’article L230-2 du code du travail et comprend : l’identification des risques propres à l’entreprise, la hiérarchisation des risques et le classement selon leur niveau d’importance »282.

Les syndicalistes européens

Les syndicalistes de la CES adhèrent à cette approche et en montrent les écueils :

« Le concept d’évaluation des risques est susceptible d’interprétations diamétralement opposées. Dans l’optique de la rationalité économique, il s’agit de déterminer le niveau de risques acceptables à partir de calculs statistiques que l’on compare à un niveau de risques que l’individu, le groupe ou la société toute entière serait disposé à assumer. Dans l’optique de la prévention, l’évaluation des risques est conçue comme l’instrument d’une transformation permanente, comme une méthode permettant de hiérarchiser les priorités, mais pas comme une technique de légitimation d’un niveau déterminé de risques » 283.

280 Cicollela A. « Evaluation des risques chimiques pour l’homme et l’environnement - l’approche européenne » in L’évaluation des risques professionnels, Meyer F. (dir.), Presse universitaire de Strasbourg, 1995, p.189-199.

281 Berthet M. et Gautier A-M., (dir.), (2000), « Agir sur l’exposition aux risques professionnels », Editions liaisons et ANACT, 2000, p48-49.

282 Travail et Sécurité 09/01 p.20. Idem en juillet 2002 : « l’évaluation des risques transcrits dans le document pourra comporter : 1. Le minimum obligatoire, une identification des risques ; c’est l’inventaire exigé par le texte. Il s’agit de repérer les dangers, d’analyser et de se prononcer sur l’exposition des salariés à ces dangers ; 2.

Le classement des risques : une notation des risques identifiés dans l’étape précédente est réalisée. Elle consiste à leur donner une valeur selon des critères propres à l’entreprise (probabilité d’occurrence, gravité, fréquence, nombre de personnes concernées, etc.) Les risques sont ensuite classés. Le classement permet de débattre des priorités et de planifier les actions de prévention. » Brochure ED 887 « questions réponses sur le document unique d’évaluation des risques » p.8 ; idem en octobre 2002 : « L’évaluation des risques c’est une démarche consistant à identifier et classer les risques dans l’entreprise en vue de mettre en place des actions de prévention pertinentes », in Travail et Sécurité 10/02, p.31

283 Vogel L., (1997), « Quelques défis pour l’évolution de la médecine du travail en France » in Archives des maladies professionnelles vol 58 décembre 1997, Masson éd., p.135.

A la charnière des pouvoirs publics et des acteurs privés, la normalisation

Bien que les autorités européennes, et la France en particulier, aient refusé, jusqu’à ce jour, que l’évaluation des risques donne lieu à une normalisation, la norme EN1050- janvier 1997, relative aux principes pour l’appréciation du risque machines, définit l’évaluation des risques en lui attribuant pour rôle de rendre des jugements sur la sécurité des machines.

Le projet de « lignes directrices sur l’évaluation des risques », en discussion depuis 2003 au sein de l’AFNOR valide les définitions données par les Guides ISO/CEI 51 et 73 et retient la définition suivante de l’évaluation du risque : « Processus de comparaison du risque estimé avec des critères de risque donnés pour déterminer l’importance du risque ».

La prudence des autorités publiques

La Commission européenne définit, officieusement, l’évaluation des risques, comme « le fait de mesurer les risques crées pour la santé et la sécurité des travailleurs par l’existence des conditions de réalisation du danger sur les lieux de travail »284. En même temps elle donne une seconde définition, moins quantitative et plus compréhensive : «L’évaluation des risques est l’étude systématique de tous les aspects du travail susceptibles de causer des dommages corporels, des moyens d’élimination des dangers et, à défaut, des mesures de prévention ou de protection prises ou à prendre pour maîtriser ces risques ». C’est à cette définition que se référeront les préventeurs qui ne souhaitent pas valoriser la dimension « hiérarchisante » de l’évaluation285.

Le ministère du travail s’est longuement gardé de donner une définition de l’évaluation des risques.

Au cours de l’année 2002, il adopte deux définitions différentes, quoique non contradictoires, qui résultent, comme nous le verrons dans nos développement ultérieurs, de modes de construction différents.

Dans la circulaire, exclusivement consacrée à l’évaluation des risques, qu’il adresse à ses agents, le 18 avril 2002, il définit les deux étapes de l’évaluation : l’identification des dangers et l’analyse des risques, et il adopte, conformément à l’attente des inspecteurs, une définition non probabiliste, qui n’évoque ni estimation, ni hiérarchisation du risque :

« Ainsi l’évaluation des risques se définit comme le fait d’appréhender les risques crées pour la santé et la sécurité des travailleurs, dans tous les aspects liés au travail. Par conséquent, elle ne se réduit pas à un relevé brut de données, mais constitue un véritable travail d’analyse des modalités d’exposition des salariés à des dangers ou à des facteurs de risques ».

Le ministère du travail met ainsi l’accent sur l’analyse du travail et la prise en compte du travail réel donnant ainsi la priorité à la mise à jour des risques tant il est vrai que « pour nombre d’entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles, certains risques ne sont ni

"acceptables" ni "inacceptables", a fortiori encore moins "plus ou moins acceptables". Ils n’existent tout simplement pas. » (Favaro M. 2001b, p.40).

Mais cette position est un compromis, avec ses agents, de la part du ministère, qui écrivait dans le Bilan des conditions de travail de l’année 2001 :

« Il apparaît également important d’évaluer les différents risques selon les mêmes méthodes afin d’éviter les distorsions et de permettre une hiérarchisation des risques »(p.102), et plus loin ;« Ces risques, inhérents à toute activité humaine, ne peuvent être totalement supprimés. Ils nécessitent d’être (…) identifiés, (…)maîtrisés (…).

284 Mémento pour l’évaluation des risques professionnels, Communautés européennes, 1997, p.11. Souligné par moi.

285 Voir notamment Maurice Sédes représentant le syndicat FO lors du FITS 1994 – Actes du Forum International Travail Santé 3-4 octobre 1994 p.86

Ceci s’inscrit dans une problématique complexe qui conduit à relativiser un danger par la connaissance des expositions, afin d’évaluer le risque et à hiérarchiser les risques (…) » ( p.123).

Et, en toute logique, dans le document élaboré fin 2002 avec la CNAMTS, l’INRS, l’ANACT, et l’OPPBTP, intitulé « Evaluer pour prévenir, comprendre pour agir », le ministère du travail souscrit à la définition traditionnelle de l’évaluation, qui prévoit l’identification et l’estimation des risques, «Evaluer, c’est comprendre et estimer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, dans tous les aspects liés au travail »(p.16).

Pour autant, ce document renoue avec la prudence du ministère, quand il fait l’économie du débat sur la définition du risque - une probabilité, un fait brut ou une construction sociale - et que, dès lors, il ne donne pas d’indication sur la forme que revêt l’estimation du risque.

Ainsi, parce qu’elle est tournée vers l’action préventive, l’évaluation des risques professionnels, qui est portée par les acteurs institutionnels, se définit comme une démarche associant connaissance et jugement. Les inspecteurs du travail y sont réticents.

Encadré n° II-2 : De l’analyse à l’évaluation des risques

Si le terme d’évaluation est récent dans la réglementation, celui d’analyse remonte à la fin des années 1970.

L’analyse des risques est alors prescrite pour les opérations importantes de construction et celles de sous traitance chez un donneur d’ordre (1) et constitue un préalable à l’établissement d’un plan de sécurité. Elle constitue aussi une mission du CHS (2) et ses résultats apparaissent dans le rapport annuel sur les risques professionnels présenté par l’employeur et suivi d’un programme annuel de prévention.

En dehors de la réglementation, la notion d’analyse a priori des risques a été, sans la nommer, défendue, entre autres, par JM. Cavé. Citons la deuxième « règle d’or » énoncée dans l’article, « La sécurité de l’homme au travail : nécessité sociale, impératif économique », paru dans Patronat français d’avril 1966, article non signé mais sans nul doute écrit par Cavé:

« Pour lutter efficacement contre les accidents, toute entreprise doit connaître parfaitement la nature de son risque et par conséquent s’attacher à une analyse rigoureuse de tous les accidents significatifs, ou mieux à imaginer les risques contenus en puissance dans le processus de travail. C’est la véritable prévention » (souligné par nous ; dans sa communication à l’académie des sciences, le 9 mai 1966, la partie soulignée disparaît).

Dans leur étude « Bilan des méthodes d’analyse a priori des risques »(3), M. Monteau et M. Favaro distinguent en 1990 deux types d’analyses de risques : une première, consistant à identifier les écarts par rapports à la norme ou les modes de fonctionnement de systèmes préjudiciables à l’intégrité de leurs composants – dans la logique de l’approche ergonomique - orientée vers la suppression du risque et à laquelle s’apparente l’analyse des risques prévue dans le code du travail ; une seconde orientée vers la définition du niveau de risque acceptable et la maîtrise des risques – mise en œuvre dans les installations à hauts risques – et dans la continuité de laquelle figure la conception dominante de l’évaluation des risques.

Dans le champ de la prévention des risques professionnels, les définitions dominantes de l’évaluation des risques

(4) limitent celle-ci soit à la phase de jugement de valeur qui suit l’identification ou l’analyse des risques, ou bien intègrent les deux phases d’analyse et de jugement. Le Ministère du Travail, afin d’assurer une cohésion entre les différents courants d’inspecteurs, gommera dans la circulaire du 18 avril 2002, la dimension de jugement de valeur ou de hiérarchisation, assimilant de fait, évaluation des risques et analyse des risques d’inspiration ergonomique. En revanche, la brochure commune à l’ensemble des institutions de prévention et au ministère du travail produite quelques mois plus tard, intègre à l’évaluation des risques une « estimation des risques » assimilable à l’expression d’un jugement sur le risque.

(1) Décrets du 19 août 1977 et du 29 novembre 1977 (2) Décret du 20 mars 1979.

(3) Monteau M. et Favaro M., Cahiers de notes documentaires, n°138 et n°139, 1er et 2ème trimestre 1990, INRS.

(4) « Agir sur l’exposition aux risques professionnelles », ANACT, juin 2000. Norme EN 1050-1997 « Sécurité des machines principes pour l’appréciation du risque ».

1.4.1.3 Les réticences des inspecteurs à accepter une hiérarchisation des risques par les

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