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INTRODUCTION DU CHAPITRE 1

2 LE DISPOSITIF NORMATIF PRIVE

2.2 UNE PRODUCTION PARTAGEE

3.1.4 LA DIRECTIVE CADRE DU 12 JUIN 1989

La directive du 12 juin 1989, dite directive cadre, atteste de l’investissement par la Commission européenne du champ social, destiné à accompagner la libéralisation des échanges. Adoptée en application de l’article 118A du traité de Rome, elle énonce les prescriptions minimales de santé et de sécurité sur les lieux de travail.

La directive pose les objectifs de la prévention – d’une part assurer la sécurité et protéger la santé des salariés, d’autre part éviter et limiter les dangers et les risques - et les directions dans lesquelles elle doit se déployer – la technique, les hommes, l’organisation du travail, les relations sociales.

En contrepoint de ses objectifs ambitieux, elle introduit une approche procédurale fondée sur l’évaluation des risques et la planification des actions de prévention et sur la mise en place d’une organisation de la prévention au sein des entreprises. Elle recherche un équilibre dans les responsabilités, en introduisant celle du salarié, et, parmi les acteurs de la prévention, en valorisant la participation des travailleurs et de leurs représentants.

La négociation de la directive en 1988, puis sa retranscription en droit national avec la loi du 31 décembre 1991, occasionnèrent des débats franco-européens et franco-français. Parmi les premiers, évoquons celui sur la mise en place des services de prévention qui occasionna une mise en demeure ultérieure de la commission sur laquelle nous revenons ci-dessous. Le principal débat en France a porté sur la responsabilité des salariés qu’introduisait la directive, ainsi que, sur la notion de « raisonnablement praticable ». Anticipons sur notre chapitre ultérieur et rapportons en les termes.

Encadré n°I-12 : L’opposition de la CGT à la directive cadre du 12 juin 1989

En 1988, la CGT, tant sur le plan confédéral qu’au niveau du ministère du travail, était entrée en guerre contre les projets de directives européennes santé-sécurité. Elle leur reprochait principalement de transférer sur les salariés les responsabilités des employeurs et de subordonner la prévention aux impératifs économiques à travers notamment la notion de « raisonnablement praticable », appliquée aux moyens à mettre en œuvre par le chef d’entreprise en matière de sécurité, figurant dans les projets de directives en 1987. Après avoir obtenu le retrait de cette clause dans la version définitive du texte européen de 1989, moyennant quoi les anglais introduisirent la notion d’évaluation des risques, le contentieux reprenait en 1991, lors de l’adoption de la loi transposant la directive, puis lors des travaux de normalisation, concernant la sécurité des machines (norme EN 414), dans lesquels le ministère était largement investi. La CGT va de 1991, à 1993 s’opposer fortement à la nouvelle obligation « d’évaluer les risques qui ne peuvent être évités » suspectée de réintroduire la notion de "risque acceptable". L’obligation litigieuse sera transcrite le 31 décembre 1991 dans la loi française, mais l’opposition de la CGT s’achèvera avec l’abandon par les organes de normalisation de la notion de risque acceptable.

3.1.5 L’EUROPE UNE NOUVELLE SOURCE D’INCERTITUDE POUR LA

PREVENTION

L’Europe constitue une source de nouvelles incertitudes à l’égard de la norme pour les acteurs de la prévention et notamment pour l’Etat. Ces incertitudes concernent la connaissance de la norme et sa stabilité.

La méconnaissance de la norme revêt différents aspects. Un premier tient à l’imprécision des directives ramenées à des exigences essentielles. Un deuxième résulte de la méconnaissance des obligations édictées par l’Europe et dont certaines peuvent ne pas avoir été transcrites en temps voulu dans la réglementation nationale. Un dernier est relatif à la méconnaissance de la normalisation européenne.

Encadré n°I-13 : Le dépit d’un inspecteur du travail victime d’une carence de retranscription d’une directive

Citons ce courrier du 29 avril 2003 envoyé par un inspecteur de Marseille à ses collègues :

« Lors de la formation "risque chimique", je vous ai indiqué que le trichloroéthylène était un agent C.M.R catégorie 2. De même, la fiche "pressing" qui figure dans le classeur qui vous a été remis indique que le trichloroéthylène relève de la catégorie 2 U.E CAT 2.

Il s’avère qu’à ce jour, cette substance est toujours classée catégorie 3 par le droit français. (ce qui atténue radicalement les mesures de prévention à adopter par l’employeur, NdA).

Suite à une directive européenne de 2001, comprenant de nombreuses substances dont le trichloroéthylène classées en catégorie 2, chaque Etat de la C.E avait jusqu’au 30 juillet 2002 pour transposer cette directive en droit national.

A ce jour, rien n’a été fait par la France».

Et l’inspecteur d’exprimer son dépit, avec ironie : « En raison du grand intérêt de notre administration pour ce type de risque, il convient d’être très prudent dans notre démarche en entreprise. Il convient surtout de tout vérifier ou d’attendre avant d’agir en ce domaine, que notre administration nous permette de le faire ».

Nota : les agents C.M.R sont ceux classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

L’incertitude normative concerne aussi la stabilité de la norme. En effet, l’Europe constitue un niveau supplémentaire de recours juridique comme l’a illustré le recours d’un administré devant la Cour de justice de la Communauté européenne à l’encontre de l’interdiction du travail de nuit des femmes dans la réglementation française. Par ailleurs, l’Europe constitue aussi, une nouvelle arène de négociation et de renégociation des compromis, comme l’a expérimenté la France lorsque la Commission Européenne a remis en cause en 1994 (Vogel L.1994)194 le compromis instable élaboré lors de l’adoption de la directive cadre du 12 juin 1989 sur la question des services de sécurité prévue par son article 7, occasionnant une mise au pied du mur de l’Etat et par ricochet des partenaires sociaux.

3.2 L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL

Dès leur création, le BIT en 1919 et l’OIT en 1929 ont influencé, avec la contribution significative de la France195 et des pays européens, le droit national et européen à travers la négociation et la ratification des conventions produites par l’organisation. Nous en avons vu des exemples avec la mise en place des comités de sécurité (convention de 1929 et loi française de 1941) et l’intégration de dispositifs de sécurité dès la conception des machines (convention de 1929, loi française de 1939).

Au sein du ministère du travail, la plus célèbre de ces conventions est la convention n° 81 de 1947 relatives aux systèmes d’inspection du travail leur garantissant leur indépendance et assurant aux inspecteurs la libre décision d’intenter des poursuites.

Nous n’avons pas pour ambition de décrire l’apport de l’OIT au droit français. Evoquons plutôt la question problématique des relations triangulaires OIT/Communauté européenne/France et des conflits de normes entre conventions de l’OIT et directives européennes.

Selon L. Vogel expert au bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité (BTS) :

194 La mise en demeure adressée à la France le 04/03/1997 par la commission détaille les désaccords entre les parties. Voir aussi Vogel L. (1994) « L’organisation de la prévention sur les lieux de travail » - un premier bilan de la mise en œuvre de la directive cadre communautaire de 1989 », édité par le Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité, Bruxelles, p 84-85.

195 Thomas A. dirigea le BIT de 1919 à 1932.

« Il est incontestable qu’une partie importante du droit communautaire de la santé au travail a été inspiré par les conventions et recommandations de l’OIT ainsi que, par les travaux en cours dans cette institution » et les

« premières recommandations communautaires adoptées en matière de santé et de sécurité faisaient du reste une référence explicite aux normes de l’OIT (….) » (Vogel L. 1994 p.57)196.

Il note que jusqu’en 1985, il n’y avait pas de difficultés particulières à reconnaître l’apport de l’OIT et la faculté des Etats membres de la communauté à participer à ses travaux, à ratifier des conventions et à les appliquer. Pour autant, les deux principales conventions, celle n°155 de 1981 sur la sécurité et santé des travailleurs et celle n°161 de 1985, sur les services de santé au travail n’ont pas été ratifiées par la France, à l’image de la grande majorité des pays de la Communauté Européenne.

Vogel note qu’à partir de 1986 la «coexistence pacifique entre l’OIT et la CE est devenue conflictuelle ». Le conflit porte sur le fait de savoir, qui des états membres (position de l’OIT) ou de la commission (position de la CE) est habilité à négocier les conventions et Vogel observe que depuis, seul l’Espagne continue à ratifier les conventions de l’OIT.

Dans son ouvrage, Vogel note enfin, que le débat sur le rapport entre les deux institutions concernant la primauté absolue de l’ordre juridique communautaire par rapport aux engagements internationaux des Etats membres, est secondaire à l’égard de l’exigence d’une crédibilité de l’OIT, gage de progrès dans le monde et, en retour, d’une évolution positive des normes communautaires.

Dans sa contribution à l’élaboration du programme d’action communautaire en santé et sécurité débattu au Comité consultatif pour la santé et la sécurité de Luxembourg (l’équivalent européen du Conseil supérieur des risques professionnels en France), la Confédération européenne des syndicats (CES) milite pour une coopération plus systématique de la Communauté Européenne avec l’OIT197. Elle rappelle que par le passé, différents conflits ont éclaté en raison de la volonté de la Commission de consacrer une priorité absolue à la réglementation communautaire mais, que la Cour de justice de la Communauté Européenne (CJCE), dans son avis du 19 mars 1993 a défini avec précision les rapports entre la réglementation communautaire et les conventions de l’OIT. Selon la CES « tant les directives communautaires que les conventions de l’OIT définissent des exigences minimales, et les principes du droit du travail communs aux Etats membres permettent toujours d’aller au-delà de ces exigences minimales. Ce principe permet de résoudre d’éventuels conflits entre les deux sources normatives ». Et la CES demande que la politique commune européenne porte sur la ratification des conventions existantes de l’OIT et leur application.

La question de l’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie montre que les choses ne sont pas toujours si simple, et qu’il n’est parfois pas possible de procéder par

« addition » des règles. En effet, la convention n° 89 datant de 1948 relative à l’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie rentrait en contradiction avec la directive communautaire du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre de l’égalité de traitement professionnel entre hommes et femmes. Le conflit devint incontournable lorsque la France fut condamnée en CJCE198. La résolution du conflit exigea que la France et les autres pays de la

196 Le BTS est une émanation de la Confédération européenne des syndicats.

197 « Pour une relance de la politique communautaire en santé au travail » Contribution du groupe travailleurs du Comité consultatif pour la santé et la sécurité de Luxembourg, juin 2001.

198 Arrêt Stoeckel du 25 juillet 1991. L’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie était jugée contraire à la directive communautaire du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre de l’égalité de traitement professionnel entre hommes et femmes. Cet arrêt avait été précédé d’une condamnation de la France par la CJCE, saisie par la Commission, le 25 octobre 1988 pour n’avoir pas pris en temps utile des mesures nécessaires à l’application de la directive.

Communauté dénonce la convention de l’OIT puis, abroge en mai 2001 sa réglementation nationale 199, après avoir temporisé 10 ans.

Relevons que le conflit normatif entre l’Europe et l’OIT devrait d’autant plus s’atténuer que l’organisation internationale a, en novembre 2000, décidé d’expérimenter une approche dite

« intégrée » dont la portée est considérable. Il s’agit de rééquilibrer ses interventions, entre les instruments normatifs classiques (conventions et recommandations) et des pratiques plus souples, relevant de la "soft law" (déclarations, guides, etc) dont l’enjeu, à l’instar de ce qui se passe aussi dans l’Europe communautaire, porte sur la complémentarité de ces approches et instruments. A ce retrait des normes contraignantes extérieures aux entreprises, se combine de la part de l’OIT, une valorisation des démarches volontaires d’entreprises à travers l’adoption de « chartes de bonnes pratiques » ou « engagements » de celles-ci, qui traduit la montée d’une auto-réglementation déjà évoquée.200

4 LE DISPOSITIF NORMATIF RELATIF A L’EVALUATION DES RISQUES

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