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L’EVALUATION DES RISQUES DESTABILISE LA PRESCRIPTION

1 QUEL « SENS » POUR LA PREVENTION ?

1.3 UNE APPROCHE PRESCRIPTIVE ET SUR DETERMINEE PAR LE RISQUE

1.4.3 L’EVALUATION DES RISQUES DESTABILISE LA PRESCRIPTION

La prévention des risques professionnels se caractérise par une approche prescriptive dont nous avons évoqué les évolutions. Concluons nos observations, quant aux interrogations du sens de la prévention dont l’évaluation des risques est porteuse, par ses effets sur l’approche prescriptive.

Si les entreprises les plus importantes ont développé, de manière volontaire, depuis trois décennies diverses méthodes d’analyse ou d’évaluation a priori des risques, l’évaluation des risques est aujourd’hui une prescription supplémentaire adressée à la totalité des chefs d’entreprises, dont atteste l’obligation de produire un "document unique", en transcrivant les résultats. La sanction pénale prévue, pour légère qu’elle soit, la confirme dans ce statut prescriptif.

Pour autant, cette nouvelle obligation modifie la nature de la prescription (I) et déplace le regard, de la recherche de non-conformités vers la compréhension du travail (II).

1.4.3.1 L’évaluation des risques déplace le prescrit externe vers un prescrit interne et accentue sa procéduralisation

Les dimensions procédurales et endogènéisantes de la prévention, portées par l’évaluation des risques, sont étroitement liées.

Procédurale, l’évaluation l’est par sa nature. Elle n’est qu’un itinéraire à emprunter pour parvenir à une meilleure prévention, dont le contenu devient d’autant plus indéfinissable qu’il s’étend.

Procédurale, l’évaluation l’est aussi par la manière dont la grande majorité des préventeurs s’en sont emparés. Les outils de la conduite de projet lui sont appliqués, et la pression en faveur de sa normalisation en atteste. Elle l’est encore, lorsque les pouvoirs publics, et les

syndicats de salariés, cherchent des garanties sur sa pertinence en valorisant l’association et la consultation des travailleurs.

Cette procéduralisation est, dès lors, susceptible de se traduire par une sur-prescription, comme a pu le susciter le management de la qualité304. Les "quasi-prescriptions", nommées ainsi parce qu’elles sont dépourvues de base légale, adressées par certains inspecteurs du travail aux chefs d’entreprises, sur la mise en place d’une conduite de projet d’évaluation des risques, en attestent.

L’évaluation des risques tend à internaliser les règles de prévention de plusieurs manières.

En premier lieu, l’évaluation des risques est génératrice de règles internes qui s’ajoutent aux règlements publics. En effet, la réglementation assigne aux employeurs l’obligation d’adopter des mesures de prévention, adaptées aux facteurs de risques que l’évaluation des risques aura fait émerger :

« Sans préjudice des autres dispositions du présent code, le chef d’établissement doit (…) évaluer les risques (…) ; à la suite de cette évaluation et en tant que de besoin, les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production mises en œuvre par l’employeur doivent garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (….) » L 230-2 IIIa)

En second lieu, et à titre exceptionnel, l’évaluation autorise l’entreprise à substituer les règles internes aux règles publiques. Ainsi, les chefs d’entreprise sont habilités à déroger à des règles publiques, lorsque l’évaluation des risques montre qu’elles sont inadaptées, sous réserve de mettre en œuvre d’autres mesures de prévention. Citons la directive du 27 juin 2001 sur le travail en hauteur :

« Les techniques d’accès et de positionnement au moyen de cordes (en référence aux techniques d’alpinisme utilisées sur les chantiers, NdA) ne peuvent être utilisées que dans des circonstances où, selon l’évaluation du risque, le travail en question peut être exécuté de manière sûre et où l’utilisation d’un autre équipement de travail plus sûr n’est pas justifiée ».

Enfin, à l’égard de certains risques complexes, tels que le risque explosion ou le risque lié à la co-activité sur les chantiers ou dans une entreprise donneuse d’ordre ( sous traitance), le législateur attribue tout simplement aux chefs d’entreprise le soin de déterminer les règles de prévention, et de les codifier dans un document interne à l’entreprise, à partir de l’évaluation a priori des risques relatifs à cette activité. Les "programmes annuels de prévention", que les employeurs doivent élaborer chaque année, depuis 1979, dans les entreprises dotées de CHSCT sur la base d’une analyse de risque établie par le CHSCT, relèvent de la même problématique.

Dès lors, plus que d’une déprescription, il vaut mieux parler d’une internalisation de la prescription ou d’une auto réglementation.

304 Doniol-Shaw G., (2003, « Prévention dans les industries à risques, faire valoir le point de vue du travail »,in Santé et travail n°42, janvier 2003 , il souligne comment le développement des procédures peut confisquer la prévention au détriment du CHSCT; R. Jean souligne quant à lui, l’écart entre une hyperpescription procédurale et une déréglementation sociale que caractérise le développement de l’intérim et de la sous-traitance. Jean R (2002) « La sécurité au travail écartelée entre hyperprescription procédurale et déréglementation sociale », Actes du XXXVIIème congrès de la SELF, Greact, 2002.

1.4.3.2 L’évaluation entre compréhension et contrôle

L’évaluation des risques accentue la tension entre l’approche prescriptive et l’approche compréhensive.

Hostiles, ou réticents, à reconnaître à l’évaluation des risques sa dimension de jugement, les inspecteurs du travail se sont polarisés sur l’identification des dangers et des risques. Et, sur cette approche limitée, ils ont trouvé à se partager, entre une approche par la compréhension, ou par le contrôle de conformité.

Pour certains, attribuant une portée novatrice à l’évaluation des risques, elle consiste davantage en « l’étude systématique de tous les aspects du travail afin de détecter les risques encourus par le personnel à travers l’identification des dangers et l’analyse des modalités d’exposition des salariés à ces dangers »305. Et ils valorisent la recherche de l’écart entre le travail réel et le travail prescrit, qui appelle, selon eux, une participation des salariés sous la forme de « groupe de travail » et d’une association des représentants du personnel. Aussi, valorisent-ils une approche procédurale de la prévention, qu’illustre le slogan figurant dans la brochure de la DRTEFP PACA :

« La prévention = un groupe de travail + une méthode + un suivi dans le temps ».

Pour d’autres, réservés si ce n’est hostiles à cette nouvelle obligation, l’évaluation consiste essentiellement à identifier les non-conformités au code du travail. Cette approche est revendiquée par la DRTEFP d’Ile de France pour laquelle l’évaluation des risques c’est, avant tout, « vérifier que l’ensemble des prescriptions réglementaires obligatoires sont respectées dans l’établissement »306.

Elle est dans la continuité de l’approche traditionnelle, tant de l’inspection que de la prévention, comme le note MM. Monteau et Favaro, dans leur étude déjà citée sur les différentes méthodes d’analyse a priori des risques :

« Les contrôles et vérifications constituent sans aucun doute les pratiques les plus anciennes de diagnostic a priori des risques. Ces contrôles reposent essentiellement sur l’utilisation de l’arsenal réglementaires, qu’il s’agisse des dispositions législatives ( code du travail) des décrets, des arrêtés mais aussi des normes et de l’état de l’art.(…) Ils sont effectués soit par des intervenants extérieurs à l’entreprise (inspection du travail, service prévention des CRAM, organismes agrées) soit par des instances internes (service de sécurité, CHSCT) » (Favaro M. et Monteau M. 1990).

Pour divergentes que soient ces approches, relevons que les deux catégories d’inspecteurs tendent à se retrouver dans l’activité de contrôle de l’évaluation des risques. Les uns contrôlent davantage le processus mis en œuvre, tandis que les autres contrôlent principalement l’existence du "document unique d’évaluation des risques", prévu par l’article R 230-1 du code du travail.

Nous étudierons dans notre chapitre sur la politique publique de prévention le rôle assigné aux inspecteurs dans le champ de la prévention et en matière d’évaluation des risques, et dans notre seconde partie la façon dont ils le tiennent.

305 « Evaluation des risques et programmation des actions de prévention » article collectif de 7 agents des DDTEFP et DRTEFP PACA in Actes de la semaine européenne Santé et Sécurité au travail 13-23/10/1998, DRTEFP PACA, p.34

306 « L’évaluation des risques : quel enjeu et quelle pratique pour l’inspection du travail », Horizon Ile de France n°50, DRTEFP Ile de France, 2003.

La valorisation des salariés et de leurs représentants

Nous avons vu, plus haut, que la dimension prescriptive qui caractérise la prévention tend à instrumentaliser les salariés et leurs représentants, malgré leur revendication croissante du statut d’acteur.

L’évaluation des risques, à travers sa valorisation d’une approche procédurale, d’une internalisation de la prescription et de la compréhension du travail réel, est susceptible de valoriser les salariés et leurs représentants.

Nous réservons aux conclusions des sections suivantes l’examen du choc entre l’évaluation des risques et, d’une part, les expertises identifiées dans le champ de la prévention, et, d’autre part, la fabrique du sens et de l’expertise

2 LES EXPERTISES ET LA CONNAISSANCE MOBILISEES POUR LA

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