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2.1 Littérature sur la jeunesse autochtone

2.1.1 Prendre la parole

Non seulement plusieurs chercheurs s’intéressent de plus en plus aux jeunes autochtones en terme de créativité, d’innovation et d’implication, mais ces jeunes eux-mêmes investissent

différents espaces pour se faire entendre. Et ce qui demeure essentiel dans l’étude de la jeunesse autochtone est cette prise de parole par les jeunes autochtones eux-mêmes: ils sont certainement les mieux situés pour définir ce qu’ils entendent par « jeunes autochtones », déterminer les principaux enjeux qui les touchent et les orientations qu’ils veulent prendre. C’est justement à ceci que se sont engagés plusieurs jeunes autochtones à travers le Canada, notamment avec l’organisation de rassemblements de jeunes autochtones. En effet, divers rassemblements sont planifiés un peu partout au Canada dans le but de faire état de leur situation et pour participer à divers activités et ateliers. Voici quelques exemples. C’est en 2004 à Montréal qu’eut lieu le premier Rassemblement des jeunes femmes autochtones du Québec. L’organisation Femmes Autochtones du Québec a trouvé nécessaire de créer un tel rassemblement considérant la croissance du volet jeunesse et la création du poste de coordonnatrice jeunesse à l'association. Ce rassemblement permit notamment aux jeunes femmes de discuter des enjeux qui les préoccupaient, de participer à des ateliers afin de les outiller pour diverses situations et d’établir des liens durables entre jeunes femmes autochtones venant de milieux différents (FAQ 2004). Du côté de l’Est canadien, le colloque « Les jeunes autochtones et la Confédération – Apprendre du passé, miser sur l’avenir » eut lieu au mois de juin 2014 à Charlottetown à l’Île-du-Prince-Édouard. Avec la collaboration de la Confédération des Mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard (MCPEI) et Jeunesse Canada Monde, ce colloque permit aux jeunes autochtones d’identifier leurs besoins, de définir les priorités, les questions et les idées devant être abordées dans le contexte de la Confédération et d’identifier les impacts de celle-ci sur les peuples autochtones (Jeunesse Canada monde 2014). Dans l’Ouest canadien, le « Gathering Our Voices Aboriginal Youth Conference » rassemble chaque année jusqu'à 2000 jeunes autochtones âgés entre 14 et 24 ans. Avec la collaboration de la BC Association of Aboriginal Friendship Centres (BCAAFC) et le Provincial Aboriginal Youth Council (BCAAFC – PAYC), cet événement se déroula à Vancouver en Colombie-Britannique à l’été 2014. « Gathering Our Voices » permet aux jeunes autochtones, entres autres, de participer à des ateliers dynamiques sur une multitude de sujets, de créer des liens avec les exposants du Salon de l’emploi et de l’éducation et d’autres personnes-clés, de partager leur talent avec d'autres jeunes et de participer à différents sports et loisirs.

De plus, les jeunes autochtones prennent la parole par l’écriture. Les magazines « New Tribe Magazine », « SAY Magazine », « The First Nations Resource Magazine », « The Native & Inuit Resource Magazine » et « Envol » en sont de bons exemples. « New Tribe », publié à Calgary et fondé par « Urban Society for Aboriginal Youth »18, vise à

fournir aux jeunes autochtones des histoires d'inspiration et les inviter à partager leurs propres histoires et à s'impliquer dans la communauté. La mission de ce magazine est de promouvoir une attitude positive sur la vie des Autochtones en milieu urbain par la promotion et le partage d'informations au sein de la communauté. On encourage les jeunes à contribuer à la revue, que ce soit par l'illustration, la fiction, la poésie ou le journalisme. Chaque mois, ce magazine présente un jeune qui, par diverses actions, a fait une différence dans son monde et qui a su prendre les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs (USAY 2014). « SAY Magazine », que l’on qualifie « the only lifestyle magazine in the world for Native people », est un magazine manitobain dédié à la reconnaissance des Autochtones d'Amérique, d'Alaska, d’Hawaï, des Premières Nations, des Métis et des Inuit (SAY Magazine 2013). Depuis 2002, ce magazine dirigé et géré par des Autochtones – en partenariat avec plusieurs associations et organisations manitobaines, est une source d’information en matière de développement économique, de loisir, de sport, d’éducation, d’emploi, de santé et de style de vie. Le but principal du magazine et du site Internet (www.saymag.com) est de fournir des messages d'espoir et d'inspiration à travers des histoires positives et des modèles à suivre. « Hope for the future », un réseau et portail d’information pour les jeunes autochtones au Canada publie aussi deux magazines, soit The

First Nations Resource Magazine et The Native & Inuit Resource Magazine. Les deux

publications sont distribuées à des groupes et des organisations dans les communautés autochtones à travers le Canada et visent, en première instance, certains lecteurs, soit ceux qui travaillent à créer un environnement positif pour les jeunes autochtones. « The First Nations Resource Magazine » a été publié la première fois en 1996 et plus tard, en 2000, a été rejoint par « The Native & Inuit Resource Magazine ». Tout comme la plate-forme Internet hopeforthefuture.ca, les magazines contiennent des informations et des histoires qui traitent et visent à prévenir les problèmes cruciaux comme le syndrome d'alcoolisation

18 « Urban Society for Aboriginal Youth » est une organisation sans but lucratif influente à Calgary depuis 2001. USAY s'efforce d'offrir des programmes et des services essentiels aux jeunes autochtones de Calgary âgés entre douze et vingt-neuf ans (USAY 2014).

fœtale, la violence familiale, les abandons scolaires, l’ennui chez la jeunesse, la dépression, etc. (Hope for the future 2014). Enfin, le magazine « Envol », bien qu’il soit le produit des Services bancaires aux Autochtones (La Banque de développement du Canada), est consacré précisément aux jeunes autochtones et au monde des affaires. Il renferme des articles qui visent à inspirer les jeunes autochtones et il expose différents exemples de réussite chez ceux-ci (BDC 2014).

Cette prise de parole est aussi possible grâce aux nombreuses organisations de jeunes autochtones dans le monde, au Canada et au Québec. Fondé au début des années 2000, le Réseau jeunesse des Premières Nations du Québec et du Labrador (RJPNQL) – autrefois nommé Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador (CJPNQL) –

est une organisation parrainée par l’Assemblé des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) qui se donne comme mission de soutenir la constitution de comités jeunesse dans les communautés autochtones, afin de permettre aux jeunes de se munir d’une voix commune et de développer des projets menant au mieux-être des communautés. Il vise également à promouvoir la participation citoyenne des jeunes autochtones au sein de leurs communautés (RJPNQL 2013 : 4). Depuis 2011, le réseau organise des forums pour les jeunes des Premières Nations. Le but de ces forums est de susciter l’engagement des jeunes des Premières Nations âgés de 18 à 30 ans dans les communautés et les milieux urbains (Ibid.). Plus de 200 jeunes autochtones d’une trentaine de communautés ont participé à ces forums jusqu’à maintenant.

Il existe d’autres organisations pour les jeunes autochtones, dont le Conseil des jeunes Autochtones en milieu urbain du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ). Créée par de jeunes autochtones en 2001, cette organisation se donne comme but d’offrir un lieu de concertation pour les Conseils des jeunes autochtones locaux, d’encourager le développement de jeunes leaders, de favoriser l’engagement social des jeunes à tous les niveaux du mouvement des centres d’amitié et d’offrir des opportunités de formation et d’échanges aux jeunes autochtones en milieu urbain (RCAAQ 2014). Il existe aussi la National Inuit Youth Council (NIYC), créée par l'Inuit Tapirisat du Canada en 1993, maintenant connu sous le nom de l'Inuit Tapiriit Kanatami (ITK). Cette organisation

fut fondée dans le but de fournir des orientations concernant les questions touchant les jeunes Inuit au Canada. Afin de représenter le plus fidèlement possible la parole des jeunes Inuit des différentes régions du Canada, chaque représentant du NIYC est chargé de relayer leurs préoccupations et les idées de leurs régions respectives avec le président élu siégeant en tant que voix nationale des jeunes Inuit (NIYC). Ce comité organise aussi chaque année un sommet où les jeunes représentants des quatre régions inuit (Le Nunavut, la région d’Inuvialuit, le Nunavik, et le Nunatsiavut) peuvent s’exprimer et participer à une diversité d’activités et d’ateliers liés à la culture, l’emploi, le leadership, la santé mentale et le bien- être. On ne peut passer sous silence le mouvement politique Idle No More conduit par de jeunes autochtones partout au Canada. Cette initiative fut fondée en 2012 par de jeunes femmes autochtones de l’ouest en réponse aux lois présentées par le gouvernement fédéral touchant les Autochtones. Dans un effort de mobilisation et d’éducation, Mélissa Mollen Dupuis et Widia Larivière, jeunes femmes innue et québécoise et anishinabeg, ont fondé la branche québécoise du mouvement Idle No More; ces femmes sont encore aujourd’hui très impliquées dans ce mouvement autant au niveau local que national.

Évoquer cette prise de parole des jeunes autochtones et discuter des différents projets qu’ils mettent en branle permet une meilleure compréhension de leurs mondes. Partir plutôt de leurs projets au lieu de leurs problèmes, et non l’inverse, est une avenue prometteuse dans l’étude de la jeunesse. De plus, comme le soulignait une intervenante autochtone lors du colloque du CIÉRA de 2005, « les projets trouvent souvent des solutions aux problèmes ». Selon Laurent Jérôme, « de nombreuses communautés, institutions et structures autochtones ont pris en compte ce changement de paradigme : on ne parle plus de marches contre le suicide, mais de marches et de projets pour la vie, on préfère le terme de mieux- être à celui de guérison, de bien-être à celui de souffrance, de ressourcement à celui de thérapie » (Jérôme 2008c : 23).

Voulant se détacher d’une image encore bien ancrée dans les représentations sociales locales et nationales, soit celle de « la destruction comme mode d’expression » (Ibid.), les jeunes autochtones investissent les conseils de bande, créent leurs propres conseils et regroupements et s’engagent dans des associations nationales. Loin d’être passifs, « les

jeunes autochtones revendiquent des responsabilités accrues et valorisent l’initiative comme nouveau modèle de reconnaissance sociale » (Ibid.). Cette représentation des jeunes s’effectue autant au niveau local qu’international : « Nous encourageons le système des Nations unies à inclure les jeunes dans ses activités et nous demandons la création d’une unité au sein de toutes les agences des Nations unies pour les jeunes autochtones » (Heather Minton Lightening, représentante de la jeunesse autochtone à l’instance permanente sur les questions autochtones de l’ONU, dans Jérôme 2008c : 23). Enfin, il faut dire que tout moyen d’expression par lequel les jeunes répondent aux changements de leur société, soit par la musique, la poésie, la littérature ou l’implication politique et sociale, doit demeurer, à mon avis, au cœur de l’analyse des réalités des jeunes autochtones.