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3.2 La communauté de Manawan et sa jeunesse

3.2.1 Un portrait de la communauté

Fondée en 1906, la réserve de Manawan compte aujourd’hui 2073 personnes37. La

moyenne d’âge de cette communauté est très basse : en 2011, 1365 personnes sur 2073 étaient âgées de moins de 29 ans (66%)38. La réserve de Manawan comprend aujourd’hui

l’édifice du Conseil des Atikamekw de Manawan, le Conseil des jeunes Atikamekw de Manawan (ancienne maison des jeunes), le centre de santé de Manawan, le centre mère- enfants, la police de Manawan, les services sociaux de Manawan, l’école primaire Wapoc, l’école secondaire Otapi, le marché d’alimentation Manawan, l’édifice de la radio communautaire et plusieurs autres établissements.

En ce qui concerne l’organisation de l’ensemble du territoire des familles de Manawan, celui-ci est toujours subdivisé en cinq secteurs, correspondant aux quatre groupes familiaux: le «clan» Nehapiskak au nord-ouest, le « clan » Mazana au sud-ouest, le « clan » Aconahinik au sud-est, le « clan » Mantonokok au nord-est et le territoire communautaire (Éthier 2011). Toutes les décisions concernant le territoire communautaire sont prises par le chef de bande et les conseillers (Conseil de bande). Selon Benoit Éthier (2011), on reconnaît toujours les personnes responsables de chacun des territoires familiaux au sein de la communauté. Selon leur expérience en forêt (aptitudes) et leurs façons d'être (attitude), les chefs de «clan», reconnus par consensus, possèdent une autorité territoriale et les familles les reconnaissent comme tels (Ibid.). Avant la création de la réserve, les « clans » comprenaient habituellement entre 3 et 5 familles nucléaires alors qu’aujourd'hui, dans la communauté de Manawan, un « clan » peut réunir plus de 500 personnes (Ibid.: 12).

37 Source : http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/dp-

pd/aprof/details/page.cfm?Lang=F&Geo1=CSD&Code1=2462802&Data=Count&SearchText=manawan&Se archType=Begins&SearchPR=24&A1=All&Custom=&TABID=1

Malgré les difficultés rencontrées au fil du temps, les Atikamekw de Manawan ont encore aujourd’hui des pratiques dites « traditionnelles », dont la chasse, le piégeage, la pêche et l’artisanat qui sont encore très importantes chez les familles de Manawan. La majorité des gens pratiquent, de près ou de loin, souvent ou moins souvent, plusieurs activités traditionnelles transmises de génération en génération. En effet, malgré le fait que ces pratiques représentent une source minimale de revenus, du moins pour certains Atikamekw, elles demeurent primordiales pour des membres de cette communauté.

À Manawan, le taux de chômage est très élevé (21,3% en 2006)39 et les prestataires du

programme d’aide sociale sont nombreux. Le principal employeur est le Conseil de bande Manawan (Ottawa 2012 : 206), qui emploie des gens au Conseil lui-même dont les conseillers/conseillères et les secrétaires, ainsi que les enseignants des écoles primaire et secondaire, le Centre mère-enfant et la garderie, les responsables du Service des loisirs, le Centre de reprographie, l’entretien du village, le Centre de télécommunications Atikamekw-Manawan, et quelques autres. Ces quelques centaines de postes, tout au plus, ne comblent certainement pas le besoin d’emploi des membres de la communauté. Il existe quelques entreprises de services, dont un restaurant, des dépanneurs et un garage. Quelques individus travaillent pour l’industrie forestière, mais ces emplois sont souvent précaires. Ainsi, les activités économiques touchent les secteurs de l'art et de l'artisanat, les commerces et services, la foresterie, les pourvoiries, la construction et le tourisme (Réseau d’affaires des Premières Nations du Québec).

Depuis quelques années, l’ethno-tourisme est en croissance dans la communauté de Manawan. Ce secteur d’activités a été bonifié par Tourisme Manawan, un organisme officiel à but non-lucratif créé en 2008 par le Conseil de bande de Manawan (Morissette 2004). Tourisme Manawan a comme objectif principal d’organiser, d’opérer et de représenter les Amérindiens avec des entreprises et des activités touristiques sur le territoire atikamekw de Manawan40. Cet organisme offre différentes activités durant les six saisons :

initiation au canot, démonstration de construction d’un canot en écorce, cours sur les

39 Le taux d’inactivité, en 2006, était de 57,5% (Statistique Canada, Recensement de la population de 2006). 40 http://www.voyageamerindiens.com/fr/page/qui-sommes-nous-/

plantes médicinales et la langue atikamekw, nuit dans un tipi sont quelques-unes des activités qu’offrent les membres atikamekw de Tourisme Manawan. Il faut souligner que le développement tourisme à Manawan remonte bien avant 2008; déjà au début des années 1990, la communauté misait sur l’industrie du tourisme culturel (Basile 1998). Le Pow wow de Manawan, s’étendant sur une fin de semaine du début du mois d’août, accueille plusieurs centaines de personnes venant d’autres communautés autochtones et non- autochtones. Cet événement rassembleur, mêlant spiritualité et festivité, reçoit aussi des danseurs et des drummers. De petits kiosques installés tout autour du site par des gens de Manawan ou de l’extérieur leur permettent de vendre des objets artisanaux, des bijoux, des vêtements et de la nourriture. D’ailleurs, la communauté bénéficie des retombées financières de ce pow wow par la location d’espace pour les marchands, par un tarif d’entrée et par la tenue de tirages « moitié-moitié ». Aussi, certaines personnes profitent de cette occasion pour récolter des fonds pour une cause ou un événement : par exemple, au pow wow de l’été 2013, une Atikamekw faisait tirer une tente miniature afin d’amasser de l’argent pour la pierre tombale de son défunt mari et une autre femme amassait des fonds pour la cause des femmes autochtones disparues au Canada. D’un point de vue économique, le pow wow permet un petit roulement qui est certes non négligeable.

En ce qui a trait à l’éducation, la première école fut construite en 1928 à Manawan. À l’époque, l’école opérait uniquement durant l’été, de juin à octobre, alors que les familles se rassemblaient à Manawan; le reste de l’année, les familles se dispersaient sur leurs territoires respectifs. Puis vint l’époque des écoles résidentielles, à partir des années 1950. On considère que ce fut un des plus grands changements sociaux et culturels qui soient survenus dans la communauté. Alors que la plupart des jeunes des autres communautés devaient partir dans les pensionnats, à Manawan, il y eut beaucoup moins de jeunes qui allèrent vers ces écoles résidentielles. Toutefois, certains jeunes de Manawan n’y ont pas échappé et ont dû quitter leur communauté pour les pensionnats. Une fois la période des pensionnats terminée dans les années 1980, les jeunes Atikamekw revinrent dans la communauté. À l’époque, l’école de Manawan n’avait pas la place nécessaire pour accueillir tous les élèves, ainsi après la deuxième année du secondaire, les jeunes devaient une fois de plus quitter Manawan, vers Joliette cette fois-ci, pour terminer leurs études

secondaires41. Ils habitaient alors en famille d’accueil. On peut comprendre le haut taux de

décrochage en raison des différentes adaptations, telles que celles à une nouvelle famille, à un nouveau mode de vie et à l’éloignement de la communauté. En 1996, l’école secondaire Otapi fut construite afin de remédier à ces problèmes; elle accueille aujourd’hui environ 400 étudiants (Affaires autochtones et Développement du Nord Canada 2008-2009).

En ce qui concerne la langue atikamekw, celle-ci est parlée autant par les aînés, les adultes et les plus jeunes. L’intérêt d’intégrer la langue atikamekw dans les écoles des trois communautés débute dans les années quatre-vingt – vers 1982, année de la création du Conseil de la Nation atikamekw. Plusieurs projets ont vu le jour dans le but de rendre l’éducation plus adaptée à la réalité atikamekw : la création de l’Équipe des Services pédagogiques (ÉSP), le programme scolaire Wikwasatikw (sciences de la nature), l’Institut éducatif et culturel atikamekw montagnais, etc. (Audy 2013). Aujourd’hui, dans la communauté de Manawan, l’enseignement bilingue se fait au premier cycle du primaire.

Le Centre mère-enfant de Manawan est un établissement pour les parents et les futurs parents. Le centre, ayant comme but de faire de la prévention et du dépistage de problèmes de santé physique et mentale, a été officiellement instauré par le gouvernement fédéral en 1973 afin de mieux répondre aux besoins des familles et éviter les déplacements entre ville et réserve. Bien qu’il n’y ait pas de documentation sur ce sujet, on peut supposer que l’établissement de ce centre a contribué, tout comme le dispensaire de Manawan et les hôpitaux de la ville, à marginaliser les pratiques des sages-femmes et la médecine traditionnelle, rendant celles-ci obsolètes. Aujourd’hui, ce centre semble toutefois bien intégré dans le processus de la grossesse des femmes atikamekw et de leur conjoint. Il permet aux parents ou ceux en devenir de mieux se préparer à la vie de parents : cours pré- nataux, suivi de la grossesse et post-grossesse, examen physique, aide à l’allaitement sont quelques-uns des services offerts aux gens de Manawan. Des intervenantes en santé et en aide familiale de Manawan et de l’extérieur sont présentes toute la semaine. Cet endroit rassembleur n’ouvre pas seulement ses portes aux mamans et futures mères, mais aussi aux

pères et aux futurs pères. La participation de l’homme est encouragée. Depuis l’ouverture du centre, Marie-Cécile soutient qu’il n’y a pas eu vraiment de changement, mais on a ajouté différents services pour mieux aider les femmes enceintes et celles qui allaitent, « elles ont beaucoup d’aide, ici, au Centre Mère-Enfant » souligne-t-elle (Wapikoni Mobile, Marie-Josée Ottawa).

Lors de mes entretiens, certaines personnes ont mentionné qu’à l’époque, il y avait des cours de cuisine et de couture pour les jeunes. Ceux-ci étaient très appréciés. Au moment de mon terrain, un horaire avait été établi pour l’été et certains ateliers avaient lieu chaque semaine, dont celui pour les femmes enceintes et celui pour les parents et leur bébé de 0 à 1 an. On m’a dit que la fréquentation à ces ateliers était variable; parfois plusieurs personnes y participaient, alors que d’autres jours seulement quelques personnes étaient présentes. Ainsi, malgré les conséquences néfastes de l’intégration du système de santé « blanc », dont la presque disparition des sages-femmes, de l’accouchement traditionnel et de l’utilisation de la médecine traditionnelle, le centre mère-enfant semble être une institution importante et appréciée dans la communauté.

À Manawan comme dans les autres communautés atikamekw, la transmission des savoirs et la valorisation culturelle sont des facteurs de haute importance. Plusieurs initiatives locales et nationales sont mises en œuvre pour permettre aux jeunes (et aux moins jeunes) d’en connaître davantage sur les savoir-faire et les savoir-être atikamekw. Tel que mentionné plus haut, les jeunes ont la possibilité de participer aux rassemblements et aux ateliers culturels organisés par le CNA. Ils peuvent aussi, pour ceux qui le désirent, participer, au fil de l’année, à des semaines ou des journées culturelles organisées par la communauté, l’école ou les familles.

L’idée du projet des semaines culturelles était d’amener les élèves sur le territoire de chasse de leurs parents dans le but de leur montrer les techniques de chasse, de piégeage, de montage de pièges à castors et l’installation des pièges à l’entrée de la hutte à castor pour

les garçons et la préparation de mets traditionnels et des gibiers pour les filles (Ottawa 2008 : 5).

Les premières semaines culturelles avaient pour but d’initier les jeunes dans la pratique des activités traditionnelles atikamekw tout en leur permettant d’apprendre la mode de vies de nos anciens. […] Elles se devaient un outil de préservation de nos traditions et notre culture, mais en même temps cela permettait aux gens de la communauté d’aller occuper leurs territoires de chasse. C’est par ces activités traditionnelles qu’on peut établir un lien avec notre mode vie qui, selon monsieur Chilton, est en train de disparaître à cause des nouvelles technologies croissantes dans nos communautés (Ibid.).

L’histoire des semaines culturelles commence par un petit projet mis sur pied dans les années quatre-vingt par Édouard Chilton, enseignant atikamekw à l’école primaire de Wemotaci (Ibid.). Selon ce dernier, enseigner la langue maternelle aux enfants atikamekw n’était pas assez « profond » pour qu’ils puissent s’identifier comme étant un membre d’une nation autochtone. Avec l’aide de sa femme et de ses parents, ils ont mis sur pied un projet de sortie avec les élèves de sa classe qui fut, par la suite, instauré dans les trois communautés.

Promu par le Conseil de bande de Manawan, le projet Itohonan42 mise sur des ateliers

scolaires et des activités traditionnelles. Ce projet offre aux jeunes des cercles de paroles et des ateliers sur la chasse, la pêche, la préparation de produits d’érable et le montage de tentes. De quelques jours à une semaine, des jeunes filles et garçons du secondaire et du primaire partent accompagnés d’adultes sur le territoire de leurs ancêtres pour renouer avec le mode de vie de ceux-ci. Ces séjours dans le bois, où la « déconnexion » à la technologie est assurée, permettent aussi aux jeunes de s’ouvrir et de discuter des différents aspects de leur vie. J’ai pu constater aussi par le réseau social Facebook qu’une journée de la famille, organisée par le service des loisirs et une collaboration des services sociaux Onikam, avait lieu durant l’été 2014 à Manawan. Différentes activités encouragent la coopération des parents et des enfants, dont un concours de bannique entre mère et fille, un concours de « call d'orignal » entre père et fils et une soirée de contes et légendes.

42 Ce projet est financé par divers organismes, dont le Fonds pour la persévérance scolaire des jeunes autochtones, le Centre multiservice des Samares, etc.

Depuis 2004, plusieurs jeunes atikamekw ont pu faire part de différentes réalités de leur communauté par la création de courts-métrages en collaboration avec Wapikoni mobile. Cette organisation circule dans les communautés autochtones et offre aux jeunes des Premières Nations des ateliers permettant la maîtrise des outils numériques par la réalisation de courts métrages et d’œuvres musicales (Wapikoni Mobile). À Manawan, plus d’une cinquantaine de films ont été tournés depuis 2004 sur divers sujets, dont le territoire, la relation avec les aînés (e)s, la danse et la musique, l’amitié, la drogue, le Centre mère- enfant, la musique, et bien d’autres. La production de ces courts-métrages donne la chance aux jeunes de s’exprimer sur des sujets qui les touchent, les animent, les préoccupent et les passionnent.

Nous l’avons vu plus haut, les Atikamekw ont toujours fait preuve d’une capacité extraordinaire d’adaptation à travers le temps : ils ont su négocier avec la présence des Eurocanadiens et des missionnaires, ils se sont accommodés du marché de la traite des fourrures et ont su se tourner vers d’autres pratiques telles que le bûchage, la drave et le travail salarié. Bien que les changements rapides et souvent drastiques qu’ils ont connus aient produit de nombreuses conséquences négatives qui se font encore sentir aujourd’hui dans les communautés, je crois que les jeunes Atikamekw d’aujourd’hui sont la preuve vivante d’une adaptation créative et d’une culture tout aussi animée. Non pas déconnectés des générations précédentes, les jeunes poursuivent le travail de ces dernières par toutes sortes de pratiques et d’activités. À ce que l’on entend parfois de la part des Atikamekw, certains jeunes se sentent de moins en moins concernés par les savoirs traditionnels, alors que d’autres désirent fortement s’impliquer à perpétuer ces savoirs. Malgré ce désintérêt pour certains jeunes, l’effort de la communauté de mettre en place ce type de projet où il y a conciliation avec la vie traditionnelle atikamekw démontre l’intérêt des Atikamekw de perpétuer les savoir-faire et les savoir-être des générations antérieures.

Il y aurait encore bien d’autres initiatives et projets atikamekw à mentionner. Je vais toutefois m’en tenir à conclure cette partie en insistant sur la capacité d’adaptation des Atikamekw et les efforts que ceux-ci ont déployés (et encore aujourd’hui) afin de se réapproprier leur histoire, leur langue et leur culture. Ces initiatives se répercutent sans

aucun doute sur la vie de la jeunesse atikamekw, car c’est particulièrement pour l’avenir de ces jeunes que ces initiatives sont effectuées.