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Jeunesse en mouvement : relations au monde et pratiques culturelles chez les jeunes femmes de Manawan

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Academic year: 2021

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Jeunesse en mouvement : relations au monde et

pratiques culturelles chez les jeunes femmes de

Manawan

Mémoire

Katherine Labrecque

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

La poussée démographique et les nombreux enjeux sociaux, culturels et politiques qui entourent la jeunesse autochtone du Québec font d’elle une catégorie sociale incontournable en sciences sociales. Toutefois, il semble qu’il y ait encore beaucoup d’aspects inexplorés chez celle-ci. Dans le cadre de ma recherche, je propose de me pencher sur le vécu de la jeunesse autochtone; mieux comprendre les différentes relations au monde des jeunes femmes atikamekw de Manawan est mon principal objectif. Afin d’y arriver, je m’attarderai principalement sur les pratiques culturelles et les activités des jeunes au quotidien. Celles-ci peuvent être effectuées à travers diverses relations, dont celles entretenues avec leur famille, l’école, les savoirs traditionnels, la langue et les réseaux sociaux. Considérée davantage comme une continuité des générations antérieures plutôt que dans une position de rupture, la jeunesse autochtone sera questionnée dans cette étude en tenant compte de la dynamique et de la solidarité intergénérationnelle.

Mots-clés: Autochtone, jeunesse, femme, pratique, activité, quotidien, relations au monde, famille, école, langue, savoirs traditionnels, réseau social, agencéité

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T

ABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES... v

REMERCIEMENTS ... ix

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL ... 7

1.1 L’anthropologie des jeunes : un bref historique ... 7

1.2 Naissance d’un acteur social ... 12

Le concept d’agencéité ... 15

Définir la jeunesse ... 18

Jeunesse et globalisation ... 22

1.3 Proposition de recherche ... 25

CHAPITRE 2 ANTHROPOLOGIE DE LA JEUNESSEAUTOCHTONE: UN CHAMP EN ÉMERGENCE ... 27

2.1 Littérature sur la jeunesse autochtone ... 27

2.1.1 Prendre la parole ... 34

2.1.2 Définir la jeunesse autochtone ... 39

2.1.3 Les jeunes Atikamekw ... 42

2.2 Les femmes autochtones au Québec dans la littérature ... 44

2.2.1 Les femmes atikamekw ... 46

2.3 La jeunesse en mode relationnel ... 49

2.3.1 Famille et relations générationnelles ... 50

2.3.2 L’école ... 52

2.3.3 Savoirs traditionnels et culture atikamekw... 55

2.3.4 Le réseau social Facebook ... 56

Conclusion ... 59

CHAPITRE 3LES NEHIROWISIWOK ET LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE ... 61

3.1 Un portrait des Nehirowisiwok : d’hier à aujourd’hui ... 61

3.1.1 Un mode de vie semi-nomade jusque dans les années 1950 ... 61

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3.1.3 1970 à aujourd’hui : revendications territoriales, réaffirmation

identitaire et revalorisation culturelle ... 67

3.2 La communauté de Manawan et sa jeunesse ... 69

3.2.1 Un portrait de la communauté ... 69

3.3 Méthodologie ... 76

3.3.1 La recherche qualitative de terrain ... 76

L’ethnographie : intersubjectivité, réflexivité et démarche itérative ... 77

3.3.2 Le projet Atikamekw kinokewin et la recherche collaborative ... 81

Éthique de la recherche ... 83

3.3.3 Collecte de données ... 84

Les entretiens ouverts, informels, semi-dirigés et groupe de discussion ... 88

Observation participante, ou le partage du quotidien ... 93

Échantillonnage ... 95

Conclusion... 95

CHAPITRE 4RELATIONS À LA FAMILLE ET À L’ÉCOLE ... 97

4.1 La famille ... 97

4.1.1 Organisation sociale et famille algonquienne et atikamekw ... 97

4.1.2 La famille chez les Atikamekw ... 99

Adaptation, autonomie et solidarité : valeurs au cœur des familles atikamekw ... 99

4.1.3 Les jeunes femmes atikamekw et leur relation à la famille ... 103

Le modèle familial ... 103

La famille pour se définir ... 106

Vie domestique, planification familiale et solidarité dans le couple ... 108

4.1.4 La grossesse et l’accouchement ... 111

4.2 L’école ... 116

4.2.1 S’instruire à l’école : un « contre-don » à la communauté ... 117

4.2.2 Le parcours scolaire, le travail et la famille ... 119

4.3 Vivre en ville ... 123

Conclusion... 125

CHAPITRE 5RELATIONS À LA CULTURE ET AU RÉSEAU SOCIAL FACEBOOK ... 127

5.1. Acquisition et transmission des savoirs traditionnels ... 127

5.1.1 La langue ... 131

5.1.2 Le territoire ... 135

5.1.3 Les pratiques spirituelles et religieuses ... 137

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5.2.1 Facebook au quotidien ... 143

Conclusion ... 148

CONCLUSION ... 151

BIBLIOGRAPHIE ... 155

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REMERCIEMENTS

Ce projet de maîtrise n’aurait pas pu se concrétiser sans l’appui de plusieurs personnes que je tiens à remercier profondément. Je remercie tout d’abord la population de Manawan pour l’accueil et l’ouverture qu’elle m’a témoignés tout le long de ma recherche. Je remercie spécialement l’ancien chef de Manawan, Paul-Émile Ottawa, pour son intérêt et l’appui qu’il m’a accordé à l’été 2013. Je tiens à remercier aussi toutes les femmes de Manawan qui ont participé de près ou de loin à cette recherche; j’espère que vous saurez vous reconnaître dans les pages qui suivent.

Je n’aurais pas autant apprécié mon séjour dans la communauté de Manawan sans la présence de Dannys Flamand, engagée comme auxiliaire de recherche au moment de mon terrain : merci Dannys de m’avoir fait connaître ta famille, merci pour ton entraide et j’espère que notre amitié perdurera encore longtemps.

Merci à mes parents, Line et René, à ma grand-maman Irène, à ma sœur Cynthia et à mes ami(e)s qui ont su me soutenir tout le long de ce projet. Et un merci tout spécial à mon copain Olivier, qui fut toujours à mon écoute et qui a témoigné d’une grande compréhension et patience.

Enfin, j'aimerais remercier l'équipe d’Atikamekw kinokewin pour m'avoir intégrée au projet: merci à Christian Coocoo, Charles Coocoo, Nicole Petiquay, Gérald Ottawa, Stephen Wyatt, Benoit Éthier, Laurent Jérôme et Sylvie Poirier. Je remercie aussi Benoit Éthier qui m’a convivialement accompagnée lors de mon premier séjour à Manawan. Je ne pourrai jamais assez remercier Sylvie Poirier, ma directrice de recherche, pour sa disponibilité, son écoute, ses encouragements et son engagement tout au long de mon parcours de maîtrise. Mille mercis à toi.

En terminant, merci aux évaluateurs de ce mémoire, Louis-Jacques Dorais, Laurent Jérôme et Sylvie Poirier pour leurs commentaires, leurs critiques et leurs recommandations.

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INTRODUCTION

Le titre du mémoire, Jeunesse en mouvement, vise à souligner le caractère dynamique de cette jeunesse. Une jeunesse qui façonne son monde et qui participe activement à la construction de la culture de celui-ci. La jeunesse autochtone en mouvement s’active dans différents espaces et à travers diverses relations : dans sa communauté d’origine, dans le milieu urbain, à l’international, sur le territoire et en relation avec sa famille, ses ami(e)s, ses enfants, l’école, la transmission des savoirs et les réseaux sociaux. Ce mouvement réfère aussi à l’implication et à l’engagement de cette jeunesse dans des réseaux complexes de relations, qu’il s’agisse de liens d'affection et de solidarité, ou de rapports de pouvoir et de rivalité. Jeunesse en mouvement est aussi pour insister sur la diversité de formes que prend cette jeunesse. Selon le contexte spatio-temporel, elle peut être culturellement, politiquement, socialement, généalogiquement ou stratégiquement constituée.

Ce mémoire de maîtrise tente de retracer le mouvement qui a mené à définir et à construire la jeunesse autochtone comme elle l’est aujourd’hui. Dans une perspective de continuité et de solidarité générationnelles, ce projet tente de comprendre les relations des jeunes femmes atikamekw1 de la communauté de Manawan avec leur monde, c’est-à-dire leur

manière « d’être-au-monde ». En exposant quelques facettes du quotidien de ces jeunes femmes, nous verrons comment ces dernières se définissent et déploient leur agencéité à travers leurs pratiques culturelles et leur relation avec la famille, l’école, le territoire, les savoirs traditionnels, la langue atikamekw, et enfin avec Internet et les réseaux sociaux.

Le premier chapitre de ce mémoire retrace la notion de « jeunes » à travers les sciences sociales depuis les débuts du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui. Lors de ce parcours, je situe les

bases conceptuelles de cette recherche, soit l’approche de l'anthropologie de la jeunesse, cette dernière mettant l’accent sur les pratiques des jeunes plutôt que sur la « culture des jeunes ». Nous verrons que cette approche, prenant origine dans la théorie de la pratique,

1 L’appellation « Atikamekw » sera utilisée dans ce mémoire, mais il est primordial de souligner que de plus en plus de membres de cette nation, dont les jeunes, adoptent celle de « Nehirowisiw » (pl. « Nehirowisiwok »).

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semble relever le défi d’une meilleure compréhension des différentes relations au monde des jeunes. L’agencéité, concept clé de la présente recherche, me permet d’analyser les manières dont les jeunes femmes atikamekw conçoivent et agissent dans leur environnement, ou hors de celui-ci. Ce concept priorise une approche où les individus sont insérés et engagés dans un ensemble de relations. Loin de posséder des critères de définition universels, nous verrons que la catégorie sociale « jeune » peut être définie, entre autres, par la génération, l’âge, la culture, la politique. Cette pluralité de « jeunesses » démontre qu’il faut agir avec prudence dans l’entreprise d’une telle délimitation et surtout, cette jeunesse doit toujours être située dans son contexte. Or, la saisir dans son contexte ne signifie pas non plus qu’elle ne doit être comprise qu’à l’intérieur de ses frontières. Comme nous le verrons, se pencher sur la jeunesse d’un point de vue transnational peut nous aider à comprendre certaines pratiques culturelles et dynamiques relationnelles. Après avoir exposé les principaux paradigmes conceptuels et théoriques sur lesquels repose cette recherche, j’énoncerai la proposition de recherche de ce mémoire de maîtrise.

Nous verrons dans le deuxième chapitre que tout comme la catégorie « jeune » en général, le fait d’aborder la jeunesse autochtone sous l’angle de la créativité, de l’implication et de l’innovation est un phénomène relativement nouveau dans les sciences sociales. Aborder cette jeunesse par les étiquettes qu’on lui associe trop souvent, dont les problèmes de toxicomanie, d’alcoolisme, de décrochage scolaire, de suicide, ne nous permet de comprendre qu’une infime partie de son monde, et ce, dans une perspective de passivité. Or, nous verrons que le fait de se pencher sur cette jeunesse en tant qu’actrice sociale ouvre des avenues intéressantes. Un peu partout dans le monde, les jeunes autochtones investissent différents espaces et prennent la parole. Ils créent des regroupements, des associations, des magazines, des pages Internet, des rassemblements annuels pour tenter de faire reconnaitre les réalités qui leur sont propres. Se définir eux-mêmes et déterminer les orientations qu’ils désirent prendre pour affronter les défis de leur génération, de leur communauté et de leur Nation, est ce à quoi aspirent plusieurs jeunes autochtones. En raison de sa complexité et de sa variabilité, nous verrons que définir la jeunesse autochtone requiert de la prudence. Les jeunes Atikamekw, comme plusieurs Autochtones du Canada ayant vécu le régime colonial, suivent deux autres générations, soit celle qui a vécu le mode

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de vie semi-nomade dans le bois et celle qui a vécu les pensionnats, mais aussi la réaffirmation culturelle et les revendications politiques et territoriales. Qu’est-ce qui caractérise les jeunes Atikamekw de Manawan aujourd’hui? Quels sont les défis auxquels ils font face? Et spécifiquement les jeunes femmes âgées entre 18 et 30 ans? Il est aussi question dans ce chapitre des principaux travaux effectués sur les réalités des femmes autochtones du Canada d’une part, et particulièrement des femmes atikamekw, d’autre part. Tenter de comprendre les manières d’être-au-monde de ces dernières, étant l’une des visées de ce mémoire de maîtrise, nous verrons les principales relations qu’entretiennent ces jeunes femmes avec leur monde.

Dans le troisième chapitre, je trace un portrait de la Nation et de la communauté où s’est tenue cette recherche, soit les Atikamekw de Manawan. Nous verrons que depuis le dernier siècle, les transformations dans le monde des Atikamekw, dont la mise en place des réserves et l’épisode des pensionnats, ont nécessité une adaptation et une redéfinition chez les Nehirowisiwok 2 . Aujourd’hui, la jeunesse atikamekw, témoin du passé et « représentante » de l’avenir, est une preuve vivante d’une capacité d’adaptation et de créativité sociale, culturelle, politique et spirituelle. Dans ce même chapitre, je présente ensuite la méthodologie adoptée pour conduire ma recherche. Dans cette recherche qualitative de terrain, l’ethnographie est la méthode appropriée pour tenter de comprendre les différentes réalités des jeunes femmes de Manawan. Cette étude de type exploratoire et descriptif a été menée en accord avec les principes d’intersubjectivité, de réflexivité et de la démarche itérative, et ce, dans le but de rendre compte le plus fidèlement et empiriquement possible des réalités observées. Afin d’intégrer les membres de la communauté et les jeunes femmes que je côtoyais, ce projet de mémoire a été conduit, autant que possible, sur la base d’une démarche collaborative. L’entretien ouvert et informel et l’observation participante m’ont permis de recueillir les données nécessaires pour mener à bien cette recherche, tout en partageant le quotidien des premières concernées, soit les jeunes femmes atikamekw de Manawan.

2 « […] l'ethnonyme nehirowisiw est celui qu'il faut retenir lorsque l'on évoque l'identité atikamekw. Le terme «Nehirowisiw» réfère à l'équilibre dans le préfixe « Nehi », le « rowi » désigne une action ou un mouvement et le suffixe « siw » indique l'être vivant » (Jérôme 2010: 81).

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Les chapitres 4 et 5 présentent les données recueillies et leur analyse. J’y dresse un portrait des jeunes femmes atikamekw de Manawan par le biais des différentes relations qu’elles engagent avec leur monde. Le chapitre 4 aborde deux relations qui ont semblé primordiales pour ces femmes, soit la famille et l’école. Malgré les changements du dernier siècle qui ont transformé le quotidien et le mode de vie des familles atikamekw, des valeurs constantes semblent être au cœur des relations familiales. En effet, nous verrons que la solidarité familiale et de couple, le partage, la réciprocité et le respect sont des valeurs portées et véhiculées par les jeunes femmes de Manawan. La famille est importante non seulement parce qu’elle façonne les rapports sociaux de ces jeunes femmes, mais aussi parce que c’est par celle-ci qu’elles se définissent en tant que personnes. Ainsi, nous abordons les différentes formes que prend cette relation à la famille au quotidien, à travers la vie domestique, la vie de couple et avec les enfants, les parents et les autres membres de la famille. L’école est un aspect présent dans la vie de toutes les jeunes femmes de Manawan, mais le chemin qu’elles choisissent et l’expérience qu’elles en retirent peuvent différer sensiblement d’une personne à l’autre. Pour certaines de ces femmes, s’instruire peut être perçu comme un contre-don pour la communauté : elles se sentent redevables face à celle-ci. Nous verrons que l’école mène aussi à l’autonomie, le bien-être personnel et familial. Chez les Atikamekw – et les Autochtones en général, cette période de la vie concorde souvent avec celle où l’on fonde une famille : nous verrons que la grossesse et l’accouchement sont les principaux évènements influençant le parcours scolaire des jeunes femmes. Enfin, considérant le peu d’établissements postsecondaires dans les communautés autochtones, poursuivre des études collégiales ou universitaires implique aussi de quitter sa communauté pour la ville. Comment ces femmes vivent-elles ce déplacement? Quelle est leur relation au milieu urbain?

Enfin, le chapitre 5 traite des relations entretenues par les jeunes femmes atikamekw de Manawan avec leur culture, la langue, le territoire, les savoirs traditionnels et les pratiques spirituelles et religieuses, ainsi qu’avec Internet et Facebook. Toujours dans une perspective de continuité et non d’une coupure générationnelle, nous verrons quelques modalités d’acquisition des savoir-être et des savoir-faire chez les jeunes femmes atikamekw. La langue atikamekw, toujours aussi vivante aujourd’hui, demeure l’une des

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préoccupations de ces femmes, surtout en ce qui concerne l’apprentissage de celle-ci chez leurs enfants. Ayant côtoyé des femmes qui demeurent en continuité à Manawan et d’autres qui quittent pour plusieurs mois pour leurs études, nous devons souligner que la dynamique n’est pas la même par rapport à l’utilisation de cette langue et à son apprentissage, autant chez les jeunes femmes que chez leurs enfants. Le lien « vital » qu’avaient autrefois les femmes atikamekw avec le territoire l’est beaucoup moins chez les jeunes femmes d’aujourd’hui. Comment s’exprime ce lien chez ces dernières? Que signifie le territoire pour elles? Quelles sont les relations qu’elles entretiennent avec celui-ci? Voici quelques questions auxquelles je tente de répondre dans ce mémoire. Pour terminer, aborder les différentes relations au monde des jeunes femmes atikamekw implique de tenir compte de la diversité des formes que peuvent prendre ces relations, même lorsque celles-ci sont virtuelles. Les jeunes de Manawan âgés entre 20 et 30 sont de la génération qui a grandi avec la démocratisation d’Internet. Or, aux dires de plusieurs, cette accessibilité et cette utilisation de ce nouveau média ont transformé les relations sociales dans la communauté. Le réseau social Facebook, utilisé par une majorité de personnes de la communauté, est intégré au quotidien de la plupart des jeunes femmes. Cette plate-forme virtuelle, où elles exposent leurs vies au jour le jour, leur permet, entre autres, de communiquer avec leur famille et leurs amis et « d’être à jour » sur ce qui se passe dans la communauté. Mais encore plus, nous verrons que « tuer le temps » sur Facebook n’est pas une pratique vide de sens: cela leur permet d’exprimer, d’entretenir, de façonner ou d’infirmer leurs liens de parenté et d’amitié.

Ces éléments permettront d’explorer et de décrire diverses dynamiques relationnelles des jeunes femmes de Manawan. Sans prétendre illustrer toutes les manières d’être une « jeune femme atikamekw de Manawan », je tenterai d’exposer le plus fidèlement possible celles des femmes que j’ai côtoyées à Manawan.

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CHAPITRE 1

CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

1.1 L’anthropologie des jeunes : un bref historique

On peut repérer les premiers travaux d’anthropologues sur les jeunes dès le début du 20e siècle, dont ceux de Margaret Mead avec l'ouvrage Coming of Age in Samoa. Mead étudie l’adolescence dans les îles Samoa (1928) et elle porte principalement son attention sur les jeunes filles : elle en conclut que la crise d’adolescence est absente chez les habitants de Samoa, donc qu’elle n’est pas universelle. Cette anthropologue positionna ses recherches dans le courant de pensée américain Culture et personnalité, très populaire dans les années trente. Les anthropologues qui s’inscrivent dans ce courant s’attardent à comprendre comment les êtres humains incorporent et vivent leur culture (Cuche 1996) et accordent une attention particulière aux processus de socialisation. Or, l’hypothèse de ce paradigme est précisément que « chaque culture détermine un certain style de comportement commun à l’ensemble des individus participant d’une culture donnée » (Ibid. : 35). Il faut aussi mentionner que l’approche de l’école Culture et personnalité prend en compte certains acquis de la psychologie et de la psychanalyse (Cuche 1996.).

Avant les années cinquante, l’intérêt de l’anthropologie pour la jeunesse se situe dans des champs traditionnels, dont la famille et la parenté (Mead 1928) et les rites de passage (Turner 1967). Jules Henry (1965) serait le premier à avoir formulé une « youth anthropology » (Wulff 1995 : 3). Toutefois, comme le mentionne Helena Wulff, professeure en anthropologie sociale de l’Université de Stockholm, toutes ces études perçoivent la jeunesse comme étant des « youth as on their way to adulthood in the process of learning for later challenges, rather than producing something on their own which might not last in the long run but could still be significant for them at the time » (Ibid.). En effet, l’adolescence, en tant que période de « not-yet-finished human beings » (Bucholtz 2002 : 529), est étudiée par la plupart des disciplines à cette époque comme étant un moment liminaire entre l’enfance et l’âge adulte.

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Lorsque les études de la jeunesse débutent dans les années cinquante, ce sont majoritairement des sociologues, dont Talcott Parsons (1942,1964), James S. Coleman (1961), Stanley Cohen (1972), Jock Young (1974), Howard Becker (1963) et Shmuel Eisenstadt (1956) qui s’intéressent aux problématiques entourant cette catégorie sociale ; soit l’adolescence dans leur cas. Contrairement à l’école Culture et personnalité, ils ne se concentreront pas que sur l’âge et le sexe comme critères d’analyse. En effet, les chercheurs de l’École de sociologie de Chicago s’intéressaient davantage aux « sous-cultures déviantes » plutôt qu’à l’adolescence en elle-même : « The Chicago School of sociology took a strongly ethnographic approach to these issues, focusing on the ways in which subcultures, especially those created by young people, constitute alternative systems of shared symbolic meaning for their members (Cohen 1955) that take shape precisely by being labeled deviant by members of the dominant culture » (Becker 1963) (Ibid. : 536).

Dans Outsiders: Studies in the Sociology of Deviance (1963), Howard Becker mène son étude dans les années 1950 en se concentrant sur le monde des musiciens de jazz et sur les fumeurs de marijuana. Son observation participante lui permet de connaître les représentations du monde de ces « déviants ». Il construit une théorie interactionniste de la déviance, en réaction à la tradition fonctionnaliste. La « labeling theory » ou « la théorie de l’étiquetage » analyse la manière dont les groupes sociaux, dont ceux des jeunes, créent et appliquent certaines définitions des comportements déviants. Ainsi, cette approche s’attarde à comprendre comment ces groupes développent leur capacité d’imposer aux autres individus l’étiquette de « déviant » et les conséquences d’être étiqueté sous cette même étiquette (Hulman 2005).

Dans la même lignée, Stanley Cohen (1972) et Jock Young (1974), ceux que l’on nomme « delinquency theorists », appliquent aussi la théorie de « l’étiquetage » à leurs travaux (Wulff 1995 : 3). Cohen s’est concentré à étudier la manière dont les médias de masse créent une « morale de la panique » dans la société concernant les problèmes des jeunes, soit les « folks devils » (Cohen 1972). Par exemple, le sociologue a tenté de comprendre la

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façon dont les médias anglais avaient exagéré une incidence de discorde entre des mods3 et

des rockers en la présentant comme une perturbation majeure dans la société. Talcott Parsons (1942, 1964) se penche sur les jeunes États-Uniens de la classe moyenne et leur manière de jouer avec leurs camarades de sexe opposé, et ce, en s’épargnant des responsabilités liées à l’âge adulte. James S. Coleman (1961), pour sa part, met l’accent sur la séparation entre la culture des jeunes et « la société des adultes » et sa proximité avec le marché grâce à la consommation de la musique populaire. Il parle de cette culture des jeunes en termes de « sous-culture », concept qui, avec celui de « classe », a été marquant dans la littérature sur les jeunes. Malgré la prédominance de la sociologie dans les études de la jeunesse, l’anthropologie a fait quelques apports dans ce champ dans les années cinquante ; par exemple, le sociologue israélien Shmuel Eisenstadt s’intéressa au stade de vie se situant entre l’enfance et l’adulte d’un point de vue anthropologique (Caputo 1995 : 21). From Generation to Generation: Age Groups and Social Structure (1956) consiste en une étude comparative de différentes sociétés dites primitives, historiques et modernes et ayant comme objectif de mettre en évidence les différents phénomènes sociaux appelés « groupes d'âge », « mouvements de jeunes », et de déterminer s'il est possible de spécifier les conditions sociales dans lesquelles ces phénomènes apparaissent ou des types de sociétés dans lesquelles ils sont présents (Eisenstadt 1956 : 15). Ses travaux ont permis de faire la lumière sur la régulation structurelle de la jeunesse dans les marges de la société et sur les itinéraires structurés de transition entre l'étape de la jeunesse à celle d'adulte. Pour lui, la « culture des jeunes » représente essentiellement un antidote à cette expérience problématique de la marginalité qui avait pour fonction générale de faciliter la transition de l'enfance à l'âge adulte (James 1995 : 47). Selon Allison James, les concepts de marginalité sociale et de culture générationnelle développée par Eisenstadt demeurent pertinents pour aborder les cultures des jeunes et des enfants (Ibid.).

On ne peut passer sous silence la contribution majeure du Centre for Contemporary

Cultural Studies (The CCCS) de l’Université de Birmingham. Fondé en 1964, ce centre de

3 Selon Dick Hebdige, mod réfère à plusieurs styles distincts, étant essentiellement un « mot-parapluie ». Nous pouvons attribuer ce terme aux adolescents de la classe ouvrière qui vivaient principalement à Londres et dans les nouvelles villes du Sud et qui pourraient être facilement identifiés par certaines caractéristiques physiques, dont leurs coiffures et leurs vêtements (Hebdige 1976 : 87).

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recherche est le berceau des « cultural studies » et la plupart des chercheurs des études sur la jeunesse s’entendent pour dire que c’est à cet endroit où furent fondés les youth cultural

studies. Tout comme l’École de Chicago, le CCCS aborde les concepts de sous-culture, de

classe, de déviance et délinquance, de culture populaire et les études des médias de masse pour saisir la jeunesse britannique. En effet, les chercheurs du CCCS abordèrent la jeunesse en terme de sous-culture et de classe, et ce, dans une perspective marxiste et sémiologique (Ibid.). Tout en conservant l’accent sur la classe ouvrière comme critère d’analyse, le CCCS se démarqua de l’école américaine par son accent sur « la place des jeunes dans cette classe comme étant un résultat d’un positionnement symbolique et matériel » (Bucholtz 2002 : 536 ; traduction libre). La « working-class youth culture » est décrite comme étant en constante résistance par rapport à la classe dominante (adulte) et elle s’exprimerait par l’intermédiaire de styles spectaculaires: « Working-class boys were portrayed as temporary resisters fighting a symbolic class war that they will lose in the long run and hence end up as victims anyway » (Wulff 1995 : 3). L’une des ethnographies provenant du CCCS qui se rapproche le plus de l’anthropologie est celle de Paul Willis (1977). Cet auteur s’est intéressé à un groupe de jeunes hommes blancs sans travail, et issus de la classe ouvrière, dans les Midlands de l'Ouest, région située à l'ouest de l'Angleterre : il décrit comment les

lads, en adoptant une culture de la jeunesse « anti-école », perpétuent leur position de

classe dans le monde du travail, contrairement aux ear'oles, qui eux, acceptent l'autorité de l'école et les objectifs de la scolarité4 (Bucholtz 2002 : 536). Cette manière de se concentrer

sur les activités d’un groupe spécifique, et ce, séparément et distinctivement des autres activités, est ce qui caractérise l’approche des chercheurs de l’Université de Birmingham.

Resistance Through Rituals. Youth subcultures in post-war Britain édité par Stuart Hall et

Tony Jefferson est un autre ouvrage rassemblant des textes de plusieurs diplômés du Centre

for Contemporary Cultural Studies5. Ces derniers essaient de démonter la manière dont les

youth cultures sont habituellement abordés et ils tentent de reconstruire, dans son contexte,

« une image plus précise des types de sous-cultures des jeunes, leur rapport aux cultures de classe et à la façon dont l'hégémonie culturelle est maintenue, structurellement et historiquement » (Hall et Jefferson 1976 : 5 ; traduction libre). On aborde, entre autres, les

4 Willis identifie deux groupes de garçons, les lads et les ear’oles.

5 Pour en nommer quelques-uns, Stuart Hall, Tony Jefferson, Dick Hebdige, Paul. E. Willis, Angela McRobbie, Paul Corrigan.

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thèmes de l’utilisation de drogues (Paul E. Willis), des skinheads et la notion de communauté (John Clark), de la black music et des sous-cultures blanches (Chas Critcher).

Considérant l’absence de littérature sur les jeunes femmes dans l’étude de la jeunesse6,

certains auteurs, dont Angela McRobbie (1991), ont tenté de démarginaliser ce champ d’études. Cette dernière a critiqué les travaux sur les sous-cultures de Paul Willis et Dick Hebdige, en raison de leur manque d'attention au genre. De plus, elle a souligné la nécessité d'analyser les différents aspects de la vie culturelle des jeunes femmes dans le but de démontrer si elle est structurée différemment de celle des garçons (McRobbie 1991). Portant son analyse sur le genre dans la culture des jeunes, les travaux de McRobbie ont conduit à des articles sur les adolescentes de la classe ouvrière (Working class Girls, 1979), la culture de la féminité, le magazine pour adolescents Jackie (Jackie: An Ideology of

Adolescent Femininity, 1978), la musique pop et la culture de teenybop (In the Culture Society: Art, Fashion and Popular Music, 1999), etc. Les travaux de McRobbie ont donné

l’élan à plusieurs autres chercheurs pour se lancer dans l’étude des adolescentes, dont Anne Campbell (Girl Delinquents, 1981), Carol Smart (Crime and Criminology, 1976), Sue Lees (Losing out : Sexuality and Adolescent Girls, 1986) et Chris Griffin (Cultures of

Femininity: Romance Revisited, 1981). Or, dans les années 1980, certains chercheurs se

sont distancés de l’approche dominante du CCCS7, soit celle qui met l’accent sur la

déviance, la résistance et les conflits de classes chez les jeunes.

En effet, malgré les nombreuses contributions de l’Université de Birmingham, dont la vaste utilisation de théories culturelles révisées et l’appropriation des approches américaines de la délinquance et la déviance (Bucholtz 2002 : 537), il reste tout de même que les travaux des chercheurs du CCCS reçurent de nombreuses critiques : se concentrant trop sur la classe sociale, et notamment la classe ouvrière, les chercheurs de ce courant ont fait fi des différentes dimensions de l’identité des adolescents. Ainsi, les initiateurs de ces critiques ont considéré que le genre, la sexualité et l’ethnie, pour ne nommer que ceux-là, ne

6 Lorsque les groupes d’adolescentes furent l’objet d’étude des chercheurs en sciences sociales, c’était souvent sous le prétexte d’une préoccupation spécifique provenant de « gardiens de la morale» qui accentuaient leur manque de « ladylike behavior », celui-ci associé à la classe moyenne (McRobbie 1991). 7 Dont Richard Johnson (1986) et Angela McRobbie (1991).

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figuraient pas suffisamment dans l’analyse des pratiques culturelles des jeunes (Ibid.). Enfin, la « jeunesse » à l’étude était souvent de sexe masculin, laissant de côté les pratiques culturelles des jeunes filles (Ibid.).

Tout ce qui avait été fait jusqu’à maintenant sur la jeunesse dans le milieu de la recherche considérait les jeunes pour ce qu’ils allaient devenir, et non ce qu’ils étaient en soi. Les approches vues précédemment ont favorisé le savoir et l’expérience des adultes comme un repère vers lequel les jeunes doivent se référer pour développer leurs propres relations et participation au monde contemporain (Jérôme 2005d : 4). Utilisant les concepts de sous-culture et de déviance, ces approches ont aussi isolé les jeunes dans des perspectives de marginalisation et d’exclusion, les confinant donc dans une position de passivité. En effet, les travaux des chercheurs de l’École de Chicago et de l’Université de Birmingham ont renforcé la vision des jeunes comme étant essentiellement passifs, en attendant de devenir adultes et en ne prenant pas part à la production culturelle dans leur société. Les jeunes, dans un mode plus « actif », étaient liées à la notion de résistance en réponse aux conditions d’oppression de leur vie (Caputo 1995: 21; traduction libre). Dans les dernières décennies jusqu’à aujourd’hui, de nombreux changements méthodologiques et théoriques en sciences sociales ont mené à une réédification de ce champ d’études.

1.2 Naissance d’un acteur social

L’intérêt pour les relations entre les structures sociales et l’agencéité des acteurs sociaux et l’attention portée aux productions culturelles des jeunes sont maintenant considérés dans le champ d’études de la jeunesse (Caputo 1995). C’est ailleurs cette approche qui sera privilégiée dans ce mémoire sur la jeunesse atikamekw, et plus particulièrement les jeunes femmes, c'est-à-dire celle qui considère les jeunes comme des acteurs sociaux qui façonnent leur monde par certaines pratiques et activités. Laissant de côté la vision réductrice de la culture associée au courant des années cinquante et les approches qui présentent la jeunesse tantôt comme passive, tantôt comme « résistante » (ou

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« délinquante »), l’anthropologie de la jeunesse s’attarde aujourd’hui davantage sur les pratiques et les expériences au quotidien des jeunes, sur leur agencétité et leur créativité.

Tout comme les jeunes, les enfants ont longtemps été représentés comme des « récepteurs passifs » de la culture des adultes (Caputo 1995 : 22). Constructing and Reconstructing

Childhood : Contemporary Issues in the Sociological Study of Childhood (1990), ouvrage

collectif d’Allison James, professeure de sociologie à l’Université de Sheffield et Alan Prout, professeur en éducation à l’Université de Leeds, fait partie des premières études qui examinent le monde des enfants où ceux-ci sont présentés comme des agents sociaux. Les auteurs de ce livre explorent différentes sujets, dont la construction et la déconstruction du concept d’ « enfant britannique » de 1800 à 1990 (Harry Hendrick), les représentations de l’enfant américain en lien avec Walt Disney Land (Pauline Hunt et Ronald Frankenberg), la construction de l’enfance en Norvège (Anne Solberg) et les enfants de la rue à Asunciòn au Paraguay (Benno Glauser). Dans ce livre, on repère les différentes manières de conceptualiser la « nature » de l’enfance et on tente de rassembler quelques éléments qui pourraient former la base d’un nouveau paradigme de la sociologie de l’enfance. Ce paradigme s’éloigne des modèles qui ont longtemps structuré l’analyse du stade de vie de l’enfance, c’est-à-dire la socialisation et le développement. On se concentre alors sur les activités des enfants au quotidien. Les principales caractéristiques de ce paradigme annoncé par Prout et James sont essentielles et pertinentes pour aborder les périodes de l’enfance et de la jeunesse. Tout d’abord, selon eux, l’enfance doit être comprise comme une construction sociale ; l’enfance n’est pas un aspect biologique et universel des sociétés, plutôt une composante structurelle et culturelle dans plusieurs sociétés. Ensuite, l’enfance est une variable de l’analyse sociale et ne peut être séparée des autres variables telles que le genre, la classe ou l’ethnie. Troisièmement, les relations sociales et les cultures des enfants sont dignes d’être étudiées à part entière, indépendamment du point de vue et des préoccupations des adultes. Le quatrième critère consiste dans le fait que les enfants sont et doivent être vus comme étant actifs dans la construction et la délimitation de leur propre vie sociale, des vies de ceux autour d’eux et de la société dans laquelle ils vivent. Pour continuer, James et Prout considèrent que l’ethnographie est une méthode pratique pour l’étude de l’enfance, car elle permet une voix plus directe et une participation des enfants à

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la production de données scientifiques. Enfin, proclamer un nouveau paradigme de la sociologie de l'enfance conduit également à un engagement au processus de reconstruction de l'enfance dans la société (Prout et James 1990 : 8-9).

Les textes de l’ouvrage Youth Cultures : a Cross-Cultural Perspective (1995), dirigé par Vered Amit-Talai et Helena Wulff, toutes deux professeures en anthropologie (université Concordia à Montréal et université de Stockholm), vont relativement dans le même sens sur ces points, c’est-à-dire qu’ils invitent celui ou celle qui désire se pencher sur ce sujet à s’éloigner de la vision d’une jeunesse « réceptacle » de la culture. En effet, les auteurs de cet ouvrage se donnent comme but « d’ouvrir » le concept de la culture de la jeunesse en prenant leur distance face aux notions des « groupes spectaculaires, déviants, marginaux afin d’inclure tous les jeunes » (Wulff 1995 : 6 ; traduction libre). Ce livre transnational aborde les sujets de la globalisation, la diversité ethnique, les pratiques de consommation et l’agencéité culturelle de jeunesses d’un peu partout dans le monde : le Népal (Marc Liechty), le Canada (Vered Amit-Talai), l’Europe (Helena Wulff), les Îles Salomon (Christine Jourdan) et l’Algérie (Marc Schade-Poulsen). Vered Amit-Talai, concluant ce livre, retient quelques aspects soulevés dans les présentations des collaborateurs, en voici quelques-uns. Tout d’abord, elle soutient que le problème avec la jeunesse, ce n’est pas qu’elle est absente de la littérature ; par exemple, l’ouvrage d’Alice Schlegal et Herbert Barry, Adolescence: An Anthropological Inquiry (1991), compte un large corpus d’ethnographies menant à 186 cas de comparaison. Le problème est plutôt la manière dont ces jeunes sont représentés; ils le sont en tant « qu’adulte en devenir », et non comme des acteurs sociaux. Un autre problème soulevé par Vered Amit-Talai est la tendance à identifier la culture par rapport à la communauté et la société (Goodenough 1971 : 194). Avec cette perspective, le concept de « youth culture » devient justifiable seulement si l’on soutient que les jeunes forment leurs propres sociétés, ce qui n’est pas le cas, car les jeunes font partie de la société et ils sont impliqués dans un réseau complexe de relations au sein de celle-ci (Amit-Talai 1995 : 224). Enfin, elle soutient que « la culture des jeunes est davantage située dans les activités qu’ils pratiquent plutôt que dans la communauté en soi, en raison des attentes que les gens de cette communauté ont par rapport à l'interaction et aux normes d'évaluation de cette activité » (Ibid. : 227 ; traduction libre).

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Le concept d’agencéité

Dans la littérature récente sur les jeunes, et particulièrement sur les jeunes autochtones, on s’attarde souvent sur les effets négatifs des transformations et des changements culturels entraînés par la modernité : toxicomanie, alcoolisme, décrochage scolaire, suicide et grossesse précoce sont des réalités qui leur collent à la peau. Bien que certaines de celles-ci soient réelles et préoccupantes, le présent mémoire n’a pas comme but de les observer, de les analyser et de tenter d’y trouver des solutions. Plutôt, je m’efforce de comprendre la manière dont les jeunes, en tant qu’acteurs sociaux et agents culturels, déploient leur agencétié et leur créativité en réponse aux transformations de leur monde. Le concept d’agencéité me guidera donc tout au long de ma réflexion.

Dès les années 1970, plusieurs chercheurs s’éloignent des courants de pensée qui expliquent les phénomènes sociaux et culturels par des mécanismes systémiques/structurels, dont le fonctionnalisme, le structuralisme, le marxisme et l’économie politique. Pierre Bourdieu (1977), Sherry Ortner (1989, 1996), Marshall Sahlins (1981) et William H. Sewell, Jr. (1997) abordent plutôt les problématiques sociales par la compréhension des actions et des pratiques des personnes, c’est-à-dire par la théorie de la pratique. Cette dernière suppose que la culture construit les personnes comme des types particuliers d'acteurs sociaux, alors qu’à travers leur vie et leurs pratiques, ces acteurs sociaux à la fois reproduisent et transforment la culture qui les a constitués (Ortner 2006 : 129). Or, cette approche a mené à l’élaboration du concept d’agencéité. En bref, l’angencéité réfère à la capacité d’agir par la médiation socioculturelle (Ahearn 2010 : 28). Plusieurs chercheurs se sont approprié ce concept en le définissant à leur manière : le philosophe Charles Taylor (1985) suggère qu’un responsable human agent est une personne ayant la capacité d’évaluer ses désirs et de les classer en ordre d’importance. Margaret Archer (1988) soutient que la structure et l’agencéité, tout comme la culture et l’agencéité, doivent être nécessairement combinées dans la théorie sociale. Pour sa part,

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Zygmunt Bauman (1992) fait le lien entre l’agencéité et le milieu de vie en suggérant que les jeunes choisissent différentes composantes parmi leur entourage pour construire leur identité (Wulff 1995 : 9). Anthony Giddens définit, quant à lui, l’agencité comme étant «the stream of actual or contemplated casual interventions of corporeal beings in the ongoing process of events-in-the-world » (Giddens 1976: 75). Ce sociologue britannique a développé l’idée de dépendance entre l’agencéité et la structure en termes de « structuration » impliquant une dualité de la structure, c'est-à-dire que « la structure sociale est simultanément le contenu et les formes des pratiques de son système » (Wulff 1995 : 9; traduction libre). Le concept d’agencéité est critiqué par certains qui considèrent celui-ci comme « un concept bourgeois et individualiste ayant un enracinement « léger » » (Ortner 2006 : 130; traduction libre). Toutefois, le concept d’agencéité – et c’est sous cet angle que je m’approprierai celui-ci – suppose que les individus sont toujours impliqués et engagés dans des réseaux de relations, qu’il s’agisse de liens d'affection et de solidarité, ou de rapports de pouvoir et de rivalité, ou fréquemment d'un mélange des deux (Ibid.). Ce n’est donc pas que la subjectivité d’un individu qui est analysée, mais aussi toutes les relations sociales dans lesquelles il s’insère et est engagé.

Il faut préciser que l’agencéitié n’est pas quelque chose qui existe à l’extérieur de sa construction culturelle, comme quelque chose pouvant se partager à travers différentes cultures. Chaque culture, à un moment précis, construit ses propres formes d’agencéité, « its own modes of enacting the process of reflecting on the self and the world and of acting simultaneously within and upon what one finds there » (Ibid.: 57).

Ayant contribué à promouvoir et à définir la théorie de la pratique, Sherry Ortner, professeure à l’Université de la Californie, s’est aussi concentrée à clarifier le concept d’agencéité. Cette anthropologue différencie deux modalités de l’agencéité, s »oit celle de la domination et de la résistance, et celle qui est reliée à l’idée de l’intention, des projets culturellement constitués et de l’habilité des acteurs culturels à les formuler et à les mettre en œuvre » (Ibid. : 78; traduction libre). Dans le concept d’agencéité, l’intentionnalité peut inclure des buts, des plans et des schémas « très conscients », des objectifs, des buts et des idéaux un peu plus nébuleux. Enfin on y inclut les désirs, les volontés et les besoins qui

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peuvent être profondément enfouis ou très consciemment ressentis chez une personne (Ibid.: 134). Étant dans un contexte néo-colonial, les jeunes Atikamekw sont conscients qu’ils sont marginalisés et qu’ils sont inscrits dans un rapport de domination par rapport à la société québécoise et l’État. Tout en gardant à l’esprit cet aspect important, je me concentrerai davantage sur la deuxième modalité, en considérant les différents choix qu’effectuent chaque jour les jeunes femmes atikamekw et leur capacité de créativité pour interagir avec leur monde. Aussi, leur habilité à négocier et à se projeter à travers différents espaces, tels que leur communauté et les réseaux sociaux en ligne, le monde urbain et non-autochtone, sera abordée à travers le concept d’agencéité.

Plutôt que de comprendre la jeunesse à travers la construction de la définition de la culture ou par la « culture des jeunes », l’anthropologie de la jeunesse se préoccupe davantage des pratiques par lesquelles la culture est produite (Bucholtz 2002 : 526). Cette approche est associée à l’ « age-based » culturel, mais situe aussi la jeunesse comme un autre type d’agent culturel. Comme vu plus haut, Vered Amit-Talai8 utilise plutôt la notion

« d’activité », faisant référence à Ward Goodenough (1971). La culture serait plus utilement située dans les activités que dans la communauté, considérant les attentes que les gens ont de l'interaction et les normes d'évaluation du fonctionnement d’une situation particulière : « Even in the smallest, most isolated of communities, people are engaged in a variety of activities with differing organizational requirements, roles, actors, institutions, settings and duration » (Amit-Talai 1995 : 226). Dans ce mémoire, je me concentre sur les pratiques et les activités des jeunes plutôt que sur la « culture des jeunes ». En effet, employer le concept de « culture des jeunes » revient à retirer les jeunes de leur contexte, de construire les expériences auxquelles elle renvoie indépendamment de la sphère familiale, des communautés, des Premières Nations, etc. (Jérôme 2005d : 7). Mary Bucholtz incite aussi les chercheurs à adopter une approche diachronique où les jeunes sont replacés dans des dynamiques historiques, politiques, économiques, sociales et familiales (Bucholtz 2002) et aussi, selon Laurent Jérôme, dans un rapport de changement spatial et générationnel (Jérôme 2005d : 8).

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Définir la jeunesse

Dans les paragraphes qui précèdent, j’ai mentionné différents termes pour parler de la jeunesse, dont enfant, adolescent et jeune. Encore aujourd’hui en anthropologie et en sciences sociales, plusieurs débats concernent la nature même de cette jeunesse : qu’est-ce qu’un jeune ? Quelles différences entre un enfant, un adolescent, un jeune, un adulte et un aîné ? Il est difficile d’apposer des frontières claires entre ces catégories, car celles-ci changent d’un contexte socioculturel à un autre. Les limites de chacune de ces catégories peuvent différer selon l’angle sous lequel on l’aborde, dont l’angle généalogique, biologique, culturel, politique ou stratégique.

Dans la plupart des travaux sur la jeunesse, la génération et l’âge sont fréquemment les notions les plus employées pour délimiter les frontières de cette catégorie sociale (Wulff 1995 : 6). Quoique culturellement différents, l’âge et la génération semblent être effectivement reconnus partout dans le monde (Baxter et Almagor 1978). Les générations, que ce soit celle de l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte ou la vieillesse, sont souvent identifiées à partir de différents paramètres : « l’appartenance à un même cadre historico-social, la distanciation avec la ou les générations antérieures (qui s’opère aussi bien par référence que par opposition), une association d’idées avec des évènements ou des conceptions du monde particuliers, un regard sélectif sur le passé » (Mannheim 1990 : 49-54 ; Attias-Donfut 1998 : 169 dans Bousquet 2005 : 9). De plus, comme le soutient la sociologue française Claudine Attias-Donfut, « les discours sociaux sur les générations s’inscrivent dans la production par la société de sa propre mémoire : les représentations collectives associant des tranches d’histoires à des générations données sont autant de marqueurs du temps vécu, structuré et mémorisé » (Attias-Donfut 1988 : 172).

Chez la plupart des peuples autochtones du Québec ayant vécu l’époque des pensionnats, cet événement particulier est venu découper des frontières précises, c'est-à-dire la génération des aînés, qui a connu un mode de vie nomade et dépositaire des savoirs

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traditionnels, celle dite des pensionnats qui détient aujourd’hui la plupart des postes-clés dans les domaines culturels ou politiques, et qui est la première génération à avoir été scolarisée, et les jeunes d’aujourd’hui, se positionnant au regard de ces deux générations (Laurent 2005d : 8). Marie Salaün remarque ce même genre de découpage générationnel chez les Kanak de la Nouvelle-Calédonie : « celle des « vieux » qui sont arrivés à l’âge adulte au moment de la fin de la période coloniale des années 1950, celle de ceux qui sont arrivés à l’âge adulte au moment des premières revendications kanak dans les années 1970 […] et les « jeunes » d’aujourd’hui, génération des accords successifs (Matignon-Oudinot en 1988 puis Nouméa en 1998) qui ont vu le retour à la paix civile entre les communautés qui cohabitent dans l’archipel » (Salaün 2009 : 83).

Ainsi, chez les Autochtones du Canada, les Kanak et bien d’autres peuples autochtones ayant vécu le colonialisme au XXe siècle, on retrouve quelque peu la même situation : la génération des aînés est considérée comme étant porteuse des savoirs traditionnels (la « vraie » mémoire et langue), celle qui lui succède représente les luttes, les revendications et les réappropriations culturelles, politiques et territoriales et celle des jeunes d’aujourd’hui, est souvent identifié à un déchirement entre la tradition et la modernité occasionnant les problèmes de drogue, d’alcoolisme, de décrochage scolaire…

Plusieurs facteurs peuvent mener à une redéfinition de la jeunesse (ou autre catégorie sociale), dont les changements historiques, les changements démographiques et les circonstances économiques (Neyzi 2001). Des catégories qui semblent être contrastantes tel qu’enfant, jeune, adulte ou aîné peuvent se transformer afin d’inclure certains membres de la jeunesse (Bucholtz 2002 : 527). Par exemple, Mary Bucholtz soutient qu’en Russie soviétique, la catégorie « teenager » a été regroupée avec celle de l’enfance dans le discours officiel et « adolescents’ dependent status » a été symboliquement appliquée de différentes façons (Markowitz 2000 dans Ibid.). Selon les contextes, la jeunesse peut aussi s’étendre sur plusieurs années. Divers facteurs, comme la prolongation des études peuvent, influencer cet allongement de la jeunesse (Bennett 1971). « There has been some attention to the fact that the state of youth tends to last over an increasing number of years, partly due to prolonged schooling, partly due to unemployment. This can be understood in terms of a

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cultural moratorium (e.g. Wulff, 1993), a period when young people are extending their youth by way of experimenting with different roles and thereby delaying adult responsibility » (Bennett 1971 dans Wulff 2005: 6).

Des évènements historiques peuvent aussi agir sur la délimitation d’une génération. Le chercheur Marc Schade-Poulsen (1995) s’est concentré sur le raï9, un courant musical

présent chez les jeunes hommes algériens, et il soutient que l’indépendance du pays a allongé la période de la jeunesse. En effet, les rapports sociaux ont énormément changé depuis cet événement de 1980 en raison d’une augmentation de la population, un renouvellement de la population dans les villes et une forte croissance proportionnelle de la jeunesse – beaucoup de jeunes sans éducation supérieure ou sans emploi, travaillant sur le marché au noir ou dans des emplois très peu rémunérés (Schade-Poulsen 1995 : 82; traduction libre). Ainsi, ces conditions sociales et économiques ont amené les jeunes Algériens à rester jeunes plus longtemps10.

Il faut mentionner que ces classifications peuvent être aussi de nature stratégique. Comme le soutient Mary Bucholtz, différentes étiquettes apposées sont socialement significatives, « celles-ci autorisant une interprétation d’une chronologie biologique dans des termes sociaux qui peuvent se déplacer selon les conditions sociopolitiques » (Bucholtz 2002 : 527; traduction libre). Par exemple, dans certains états aux États-Unis, un crime fait par un jeune âgé de moins de 18 ans sera jugé par la Cour des adultes, alors que lorsqu’il est question de main-d’œuvre, un jeune sera statué comme « enfant » (Gailey 1990).

La diversité des définitions de la jeunesse ou de l’enfance peut mener à une certaine confusion d’un point de vue méthodologique et théorique. Les frontières entre les différentes catégories sont placées arbitrairement: « discrepancies occur when, for example, people above the age of 13 are categorized as « children » while at other time they are

9 Né après l’indépendance de l’Algérie, ce courant musical est un mélange de musique occidentale et de rythmes locaux, de disco américain, de chansons de mariage marocaines.

10 En 1966, la moyenne d’âge pour les femmes était de 18,3 ans et 23,8 pour les hommes. En 1987, elle était de 23,7 ans pour les femmes et 27,6 pour les hommes (Sari 1990 : 28).

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called « youth ». It is the arbitrary nature of the constitution of the categories that becomes difficult » (Caputo 1995: 35). L’âge est le critère le plus utilisé afin de distinguer les différentes catégories, mais celui-ci demeure arbitraire et insuffisant. L’âge doit être un paramètre au même niveau que le sexe, l’ethnie et la classe (Ibid.). Des critères tels que le pouvoir, l’autonomie, la consommation, l’accès à l’argent et au temps peuvent être aussi des éléments révélateurs sur les frontières des catégories sociales. Par exemple, l’accès à l’argent chez les jeunes, souvent par l’entremise d’un emploi, leur permet un meilleur contrôle du choix de vêtements qu’ils portent, de la musique qu’ils écoutent, de leur niveau de mobilité et ainsi de suite (Ibid. : 36). De même, ils pourront être en mesure de définir la façon de gérer leur propre temps. Tous ces aspects font que l’accès à l’argent, entre autres, peut permettre aux jeunes d’exercer un contrôle sur leur vie, de définir ce qu’ils veulent et ce qu’ils veulent être, donc de se définir comme personne.

Dans le cadre de ce mémoire, la catégorie « jeune », sera celle sur laquelle je me pencherai : par jeunes, « j'entends ainsi des acteurs sociaux compétents qui participent activement et pleinement à la construction des mondes sociaux dans lesquels ils sont partie prenante » (James et Prout 1990 dans Jérôme 2010 : 41). Plus précisément, le champ d’études de la jeunesse (youth studies) me permettra de mener ma réflexion. Il est primordial de faire un choix éclairé quant à la catégorie sociale et le champ d’études choisi, car ceux-ci mènent inévitablement à un choix conceptuel et théorique (Bucholtz 2002 : 532). Mary Bucholtz, professeure en linguistique à l’Université de Californie, soutient que « where the study of adolescence generally concentrates on how bodies and minds are shaped for adult futures, the study of youth emphasizes instead the here-and-now of young people's experience, the social and cultural practices through which they shape their worlds » (Ibid.). Par son accent sur les pratiques et les expériences des jeunes plutôt que sur la « culture des jeunes », l'anthropologie de la jeunesse semble être en mesure de mieux comprendre les changements de perspective actuels et le rôle que jouent les jeunes dans ces changements (Jérôme 2010 : 40).

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Jeunesse et globalisation

Bien que ce travail s’attarde sur une communauté plutôt « isolée » physiquement, il est primordial de considérer aussi la jeunesse de la communauté de Manawan en dehors de ses frontières. Comme nous l’avons vu, les jeunes sont de plus en plus impliqués en tant qu’acteurs sociaux et culturels dans leur monde. Or, « le rôle et la place des jeunes dans les processus de reproduction et de transformation sociales sont apparus de plus en plus visibles devant les réformes économiques néolibérales, les mouvements internationaux de capitaux et le développement des nouvelles technologies et de leur accès pour tous » (Ibid.: 39).

Comaroff et Comaroff (2000) offrent une réflexion intéressante pour comprendre différents aspects de la jeunesse d’un point de vue transnational. Principalement, ces auteurs soutiennent que les jeunes sont exclus des économies nationales et des réseaux de production de la culture mondiale; toutefois, par leur créativité et leur ingéniosité, ils se sont autonomisés à travers l’espace transnational des cultures matérielles (Comaroff et Comaroff 2000 : 90). Ces auteurs constatent le développement de cultures globales de la jeunesse (cultures du désir, de l’expression de soi et de la représentation) et de l’affirmation de formes de politisation puissantes (non conventionnelles) (Ibid. : 94). Grâce aux nouvelles technologies de communication, entre autres, les jeunes auraient atteint un degré d’autonomie immense en tant que catégorie sociale « en soi et pour soi », dans un contexte autant local que global (Ibid.). Nous pouvons nommer le réseau social Facebook, dont nous discuterons plus loin, comme appropriation très récurrente chez les jeunes autochtones.

Même si partout dans le monde on peut retrouver certaines caractéristiques communes chez les jeunes, cela ne démontre pas une homogénéisation de cette catégorie :

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D’autre part, si la «culture jeune» revêt un caractère de plus en plus mondial, cela ne signifie pas pour autant que la fâcheuse posture dans laquelle se trouvent les jeunes, ni la manière dont ils la vivent, prenne en tout lieu une forme homogène ou identique. Qu’il s’agisse des dimensions sociales ou culturelles du phénomène, cela n’est pas le cas. Cette «culture jeune» se manifeste au contraire de manière très différenciée et a des implications matérielles fort différentes à Los Angeles, Dakar, Londres ou Delhi (Ibid. : 106).

L’appropriation de différents « signes » culturels, comme la musique rap, est effectuée d’une manière différente dans chaque coin du monde. Les « importations culturelles » se font une place dans les pratiques culturelles locales des jeunes et « en même temps, ces médias restent des carrefours, des points de connexion entre l’ici et l’ailleurs, entre le même et l’autre, entre identités propres et un imaginaire planétaire » (Ibid. : 107). Mary Bucholtz (2002) partage aussi cet avis. Elle soutient que la propagation mondiale de la culture populaire est souvent perçue comme étant symptomatique d’un nivellement culturel (Bucholtz 2002 : 543). Cependant, il semblerait que ces échanges transnationaux ne conduiraient pas à l’homogénéisation (Appadurai 2001). Étant loin d’être une acceptation sans discernement des produits culturels, la manière dont les formes culturelles sont reprises se distancie du sens original et cette appropriation s’effectue dans un processus qui implique de la créativité et de l’agencéité (Bucholtz 2002 : 543). Par exemple, Bucholtz souligne que le style musical reggae sert de lien médiateur entre l'Afrique et la diaspora africaine dans l’Ouest africain et que certaines formes de reggae deviennent « re-africanisées » dans un contexte local quelconque, et ce, par l’ajout d’éléments traditionnels linguistiques et culturels (Savishinsky 1994 dans Bucholtz 2002 : 543). On peut aussi mentionner le groupe de musique ontarien A Tribe Called Red, formation musicale de jeunes autochtones qui caractérisent leur musique de Electric Pow Wow ou Powwow-step. Mélange de chants traditionnels, de tambours et de musique électronique, cette musique se fait entendre un peu partout dans le monde et a acquis de nombreux fans depuis 200811.

Pour les Comaroff, ces liens entre local et global sont une des raisons pourquoi les jeunes explorent souvent des espaces inexplorés d’innovation.

11 De plus, dans le but de créer un espace pour les Autochtones, la formation organise des soirées mensuelles nommées « Electric Pow Wow » qui sont dédiées à la présentation des talents de DJ autochtone et de la culture autochtone urbaine (http://atribecalledred.com/).

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L’un des objectifs de la présente recherche sera de documenter la présence et l'émergence de pratiques culturelles. La notion de killing time de Jean Mitchell permettra de faire avancer ma réflexion quant à ces pratiques des jeunes de Manawan. Ce concept de « tuer le temps » a aussi été développé par Paul Corrigan (1976) sous l’appellation de doing nothing; selon Corrigan, la principale activité des jeunes Britanniques passant leur temps dans les rues de Wigan, Shepherds ou Suderland est de « ne rien faire » (Corrigan 1976 : 103). L’élément central dans cette action de « ne rien faire » est en fait de discuter et de blaguer avec ses amis, c’est-à-dire « socialiser ». Killing time, expression locale des jeunes du Vanuatu vivant dans la ville de Port Vila, est une notion cernée par Jean Mitchell pour documenter les expériences et les pratiques urbaines. En soi, cette expression utilisée par ces jeunes est décrite par l’auteur comme étant « the ways in which they pass their time when they cannot find work » (Mitchell 2004 : 358). Ce qui semble être une expérience vide de sens est cependant révélateur de plusieurs dynamiques sociales, culturelles et économiques chez ces jeunes12. En soi, le killing time signifie l’émergence d’une génération

urbanisée qui fabrique de nouvelles significations temporelles et spatiales, et ce, dans un contexte postcolonial (Ibid. : 373). Pour Jean Mitchell, les jeunes de Port Vila « are deeply engaged in producing new meanings and practices that confront, resist, and accommodate the dissonance generated by the inclusions and exclusions, as well as the connections and differences, that characterized their lives in a postcolonial town » (Ibid. : 375).

Dans le cadre de mon travail, je cherche à voir si cette pratique de killing time – ou du moins quelque chose d’équivalent – est présente chez les jeunes femmes de Manawan : et si c’est le cas, sous quelles formes ? Et qu’en disent les premières concernées ?

Après ce survol, nous devons dire qu’une des préoccupations concernant le champ de l’étude de la jeunesse ne réside pas dans la quantité d’ouvrages, d’articles, de mémoires ou de thèses qui sont produits dans ce champ. Il existe une quantité énorme de revues sur les

12 Nouvelles formes d’emploi, rapport à la consommation, aux loisirs, aux images médiatiques, au tourisme, etc.

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enfants et les jeunes13. Nous devrions plutôt porter notre attention sur la manière de

considérer cette catégorie sociale; c’est-à-dire comme des acteurs sociaux et comme objet d’étude à part entière. Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, la jeunesse autochtone, celle sur laquelle porte ce mémoire, n’a intéressé que récemment les chercheurs des sciences sociales et souvent en termes de « problèmes ». Mais avant, voici ce que je chercher à explorer, comprendre et décrire dans ce mémoire de maîtrise.

1.3 Proposition de recherche

La jeunesse autochtone du Québec intéresse de plus en plus les chercheurs des sciences sociales. La poussée démographique et les nombreux enjeux sociaux qui l’entourent font d’elle une catégorie sociale importante à considérer. Toutefois, il semble qu’il y ait encore beaucoup d’aspects inexplorés chez celle-ci. Dans le cadre de ma recherche, je propose de me pencher sur le vécu de la jeunesse autochtone; mieux comprendre les différentes relations au monde des jeunes femmes de Manawan est mon principal objectif. Afin d’y arriver, je m’attarderai principalement sur les pratiques et les activités des jeunes au quotidien. Celles-ci peuvent se manifester à travers diverses relations, dont celles entretenues avec leur famille et les différentes générations, l’école, les savoirs traditionnels, la langue, les technologies d’information et de communication, etc. De plus, ces pratiques peuvent être diverses selon différents critères, dont l’âge et le sexe. Considérée davantage comme une continuité des générations antérieures plutôt que dans une position de rupture, la jeunesse autochtone sera questionnée dans cette étude en tenant compte de la dynamique et de la solidarité intergénérationnelle.

Dans cette étude, j’ai choisi de me concentrer sur les jeunes femmes âgées entre 18 et 30 ans. Ainsi, dans ce projet de mémoire, je compte répondre à cette question :

13 Pour en nommer quelques-unes: Sociological Studies of Children and Youth, Voice of Youth Advocates, Vulnerable Children and Youth Studies, An International Interdisciplinary Journal for Research, Policy and Care, Nordic journal of youth research, Youth and Society, Youth Studies Australia, Journal of Youth and Adolescence, The Journal of the History of Childhood and Youth, Sociétés et jeunesses en difficulté, International Journal of Child, Youth and Family Studies.

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 Considérant les défis que rencontre la jeunesse autochtone en contexte

contemporain et la multitude de pratiques culturelles par lesquelles elle y répond, quelles sont ces pratiques chez les jeunes femmes de Manawan et que révèlent-elles sur leurs dynamiques relationnelles?

Plus précisément, je tenterai de répondre à ces sous-questions :

 Quelles formes prennent les relations des jeunes femmes atikamekw de Manawan

avec leur famille et les différentes générations, avec l’école, la ville, les savoirs traditionnels et le territoire, la langue, et le réseau social « Facebook »?

 Quelle est la nature de la relation que les jeunes femmes atikamekw de Manawan

entretiennent avec leur communauté?

 Quels changements peut-on observer dans ces différentes relations par rapport aux

générations précédentes?

 Quelles sont les différentes manières d’être « une jeune femme atikamekw de

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