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S’instruire à l’école : un « contre-don » à la communauté

4.1 La famille

4.2.1 S’instruire à l’école : un « contre-don » à la communauté

Contrairement aux non-Autochtones où la réussite individuelle prime souvent sur les considérations collectives, chez les jeunes femmes atikamekw, la communauté demeure au cœur de leurs préoccupations. Ce qui m’amène à dire cela est un fait qui m’a frappé chez ces jeunes femmes, c’est-à-dire celui d’un certain « contre-don » de leur part. Pour la grande majorité de celles-ci, il était important de demeurer ou de revenir dans la communauté pour veiller au bien-être des membres de celle-ci et aussi parce que c’est leur « chez soi ». Certaines d’entre elles font l’effort d’aller vivre à l’extérieur afin d’obtenir un diplôme, et ce, dans le but de revenir mieux outillées dans la communauté. Ces jeunes femmes vont dans les domaines où les besoins se font sentir dans la communauté, soit dans le domaine de la santé physique et mentale, l’éducation, la psycho-éducation et l’intervention sociale. Elles se sentent redevables face à leur communauté et selon mes

observations, il est important pour elles de faire leur part pour le bien-être de celle-ci. Considérant les difficultés de cette communauté, dont le manque d’emplois et les problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme, je croyais que certaines femmes allaient démontrer un intérêt de quitter la communauté en quête d’une vie meilleure. Bien au contraire, aucune des femmes rencontrées n’a manifesté son intention de partir de Manawan, toutes désirent y rester ou y revenir.

Oui, je veux revenir travailler parce que j’ai toujours voulu être une personne dans ma communauté et aider les gens, être présente pour eux. […] Puis j’aimerais ça que quand je vais revenir, j’aimerais ça avoir une maison ou un appartement parce que… c’est vraiment important pour moi de revenir dans ma communauté (Entretien N° 5).

Ainsi, un grand nombre de jeunes femmes de Manawan désirent s’instruire pour contribuer à la prospérité de leur communauté. Une fois que ces femmes seront prêtes à mettre en œuvre leur apprentissage scolaire, il faudra toutefois que le Conseil soit en mesure d’offrir des emplois. Ainsi, la balle sera dans le camp du Conseil de bande. Cette création d’emplois pour les futures diplômées devra se faire idéalement dans un contexte d’auto- gestion de la communauté, où celle-ci crée et gère ses propres infrastructures en matière d’emploi, d’économie, de territoire, d’éducation et de santé. Un autre défi du Conseil face aux jeunes familles qui désirent faire leur vie dans la communauté est celui du logement. Or, dans les deux cas, emplois et logements, le Conseil de Manawan, comme celui des autres communautés atikamekw, se trouve limité dans sa marge de manœuvre.

Bien que cette recherche ne vise pas à comparer les jeunes femmes et les jeunes hommes sur différents points, je crois pertinent d’ouvrir une parenthèse pour souligner une observation. Tous deux, jeunes femmes et jeunes hommes atikamekw que j’ai côtoyés, désirent s’impliquer à différents degrés pour la prospérité et dans le devenir de leur communauté, mais pas de la même manière et par les mêmes moyens. Comme mentionné plus haut, les femmes comptent agir dans leur communauté en occupant des postes dans le domaine de la santé et des services sociaux. Les jeunes hommes, pour leur part, semblent vouloir se consacrer davantage au domaine politique et dans la gestion territoriale et

financière de la communauté. Cela n’implique pas que les jeunes femmes et les jeunes hommes ne s’intéressent pas aux domaines où ils sont moins présents. L’occupation d’une femme au poste de Grande cheffe de 2006 à 2013, soit Éva Ottawa, témoigne du contraire. À Manawan, les femmes semblent occuper de plus en plus de postes clés dans la communauté. Par exemple, lors des dernières élections du Conseil de Manawan au mois d’août 2014, sur les 7 conseillers élus, 5 sont des femmes. Lors d’une rencontre, Paul-Émile Ottawa soulignait que les femmes ont toujours occupé des rôles importants au Conseil atikamekw de Manawan et que la parité homme/femme a toujours été souhaitable. Mais plusieurs femmes croient qu’il y a encore du chemin à faire et que les femmes n’ont toujours pas assez de poids dans les processus décisionnels. « Prendre leur place dans un monde d’homme », c’est ce que certaines jeunes femmes m’ont dit. Une autre soulignait : «[…] il y en a qui essayent fort, mais on dirait qu’on les écoute pas, on veut les prendre à la légère, on les prend pas au sérieux, faudrait qu’elles se lèvent et fassent quelque chose pour faire bouger les choses. Pour moi, il me semble que c’est important » (Entretien N° 1). Donc, les femmes sont peut-être de plus en plus présentes dans les postes clés de la communauté, mais il semble que leur voix ne fait pas assez écho. Et malgré une présence croissante des femmes en politique, les jeunes femmes que j’ai côtoyées semblent davantage intéressées par les domaines qui les touchent au quotidien. Le soin et la santé, l’éducation et l’intervention sociale sont tous des aspects que la plupart des jeunes femmes connaissent, qui sont proches d’elles et font partie de leur quotidien; ce pour quoi, je suppose, elles désirent s’impliquer dans ces domaines.