• Aucun résultat trouvé

4.1 La famille

4.2.2 Le parcours scolaire, le travail et la famille

Les réalités que vivent les jeunes femmes allant à l’école en ville ne sont pas si différentes que celles décrites par les femmes rencontrées par Marie-France Labrecque dans les années 1980. En effet, avoir un travail à cette époque nécessitait, comme aujourd’hui, un passage presque obligé par des études postsecondaires, surtout pour occuper le peu d’emplois disponibles dans la communauté. Aujourd’hui, celles qui sont au cégep ou à l’université

envisagent avec beaucoup d’enthousiasme le fait d’avoir un travail pour lequel elles auront investi du temps et des efforts. Une jeune femme me disait :

C’est important pour moi de toute finir mes études parce que… pas juste pour avoir de l’argent, mais je veux avoir un travail que je vais aimer, être à l’aise dans le milieu de travail que je vais être […] (Entretien N° 5).

Bien, c’est important pour moi parce qu’il faut travailler un jour. Bien moi c’est ce que j’ai pensé quand je suis parti de Manawan pour finir mon secondaire, j’ai pensé que j’ai déjà un enfant, je veux pas être tout le temps sur le B.S. pour le faire vivre, mon enfant. Puis, c’était important pour moi d’aller aux études parce que je veux avoir un travail, puis être payé. Je veux avoir ce que je veux, je veux pas tout le temps attendre mon p’tit chèque une fois par mois là […]. Dans ma famille, on est cinq filles puis j’ai toujours dis à mère, « pour te rendre fière, je vais finir mes études », parce que c’est important […] je veux vraiment avoir un travail pas juste pour l’argent, mais pour faire ce que j’aime aussi. Puis, je veux être fière de moi aussi quand je vais avoir ce que je veux depuis longtemps (Entretien N° 5).

Comme le soulignait Labrecque, « travailler aujourd’hui représente pour ces femmes beaucoup plus que le simple fait de gagner de l’argent. Elles ont dans leurs propres termes « fait un bon bout de chemin » » (Labrecque 1984b : 85). Aller à l’école était l’une des manières pour ces femmes à la fois d’accéder à une autonomie, et de sortir de l’isolement que pouvaient parfois entraîner les tâches liées à la vie domestique. Selon Labrecque, faisant référence aux femmes atikamekw en 1984, lorsque l’on parle d’autonomie c’est davantage en faisant référence à la confiance en soi retrouvée qu’à une émancipation radicale (Ibid.). Cette confiance, elle aurait été affaiblie par les années passées au pensionnat et aux foyers où les savoir-être et savoir-faire atikamekw furent complètement dévalorisés. Ces femmes font partie de la génération des mères des jeunes femmes que j’ai côtoyées. Plusieurs de ces mères ont poursuivi des études postsecondaires et occupent d’ailleurs des emplois dans la communauté, comme enseignante, conseillère, employée au Conseil de bande ou au Conseil de la Nation atikamekw. Le parcours que prennent les jeunes femmes est certainement influencé par celui de leur mère, car la majorité des informatrices désirent poursuivre leurs études afin d’avoir un emploi valorisant.

Le parcours scolaire de ces jeunes femmes atikamekw se situe dans un moment de leur vie qui concorde avec la maternité. Comme chez la plupart des Autochtones au Canada, la fondation d’une famille arrive tôt dans la vie des jeunes femmes. Le fait d’avoir des enfants change énormément la dynamique lorsque l’on veut poursuivre ses études ou retourner sur les bancs d’école. C’est souvent ce qui fait dévier du parcours « normal », soit terminer le secondaire à l’adolescence et/ou continuer au niveau postsecondaire. En effet, beaucoup de jeunes garçons et de jeunes filles quittent l’école en secondaires 4 ou 5, souvent pour fonder une famille. Pour quelques années ou pour toujours, ces filles cessent de fréquenter l’école afin de se consacrer à l’éducation de leurs enfants. Loin de percevoir cela comme un problème, la maternité est la première raison évoquée quant au décrochage scolaire chez les jeunes femmes. Tout comme dans les années 1980, « presque sans exception, les femmes qui travaillent aujourd’hui ont dû faire l’effort supplémentaire que représente un retour aux études après avoir eu un, deux ou même trois enfants » (Labrecque 1984b : 85). Certaines jeunes femmes que j’ai rencontrées me disaient :

[…] je suis tombée enceinte et j’ai dû arrêter un moment, mais sinon je me suis toujours dit que je serai toujours capable d’y retourner [l’école] et qu’il serait jamais trop tard (Entretien N° 5).

Pour moi c’est important [l’école], moi j’ai été jusqu’à secondaire 1. J’ai pas été capable d’aller plus loin, en plus j’avais des enfants, puis pour mes enfants je préfère qu’ils continuent l’école et de faire… qu’ils aillent au secondaire finir leur secondaire (Entretien N° 3).

La raison pour laquelle j’ai arrêté [l’école], ça a été la grossesse, après l’allaitement, plusieurs années… J’ai allaité deux ans, après j’ai retombé enceinte, j’ai arrêté encore [l’école] (Entretien N° 4).

Les femmes qui quittent l’école en raison d’un accouchement retournent, pour certaines, progressivement aux études lorsqu’elles ont entre 20 et 30 ans. Elles ont souvent leurs enfants en bas âge, entre 13 et 18 ans environ, et elles attendent que ceux-ci vieillissent pour reprendre leurs études. Le parcours scolaire est parfois interrompu par une deuxième, voire une troisième grossesse. Par exemple, une des jeunes femmes que j’ai rencontrées est

tombée enceinte durant son secondaire 4, et elle est retombée enceinte à la fin de son secondaire 5 :

[…] je suis tombée enceinte et j’ai eu […] mon premier enfant, après ça j’ai arrêté 1 an à aller à l’école, je devais commencer mon secondaire 4 quand j’ai arrêté parce que je devais aller attendre mon accouchement à Joliette. Puis, j’ai attendu que mon fils ait 1 an, […] pour que je puisse retourner aux études. J’ai fait mon secondaire 4 à Manawan, je l’ai réussi puis après ça on a déménagé à Joliette, puis c’est là-bas que j’ai décidé d’aller finir mon secondaire […]. Puis après ça quand j’ai fini, quand j’ai eu mon diplôme, je suis retombée enceinte de mon deuxième, je suis arrêtée 1 an, après ça je suis retournée aux études […] au collège (Entretien N° 5).

La plupart de celles qui font le choix de retourner aux études continuent au niveau postsecondaire; la majorité finit le secondaire, plusieurs vont au Cégep et quelques-unes vont à l’université. D’autres femmes cessent complètement leur scolarité, parfois à partir du secondaire 1. La plupart de celles-ci désirent toutefois retourner à l’école, considérant l’éducation comme un des moyens menant à leur bien-être et celui de leur famille. Même si la quasi-totalité des femmes prennent beaucoup de temps pour terminer leurs études et ne suivent pas le cheminement « normal », plusieurs poursuivent ou désirent poursuivre leur scolarité. Cette réalité n’est pas très loin de celle vécue par les femmes atikamekw il y a 30 ans : « Plusieurs ont mis un temps énorme à terminer leur cours, mais le sentiment d’accomplissement en ressort d’autant plus » (Labrecque 1984b : 85).

Non seulement le fait d’avoir des enfants n’est pas vécu comme un « problème » par rapport aux études, mais cette réalité amène parfois certaines femmes à poursuivre leur scolarité pour le bien-être de leurs enfants et pour leur « montrer l’exemple » : « […] puis en plus de ça, j’ai mon fils et je voulais absolument faire des études pour lui donner une vie meilleure dans l’avenir » (Entretien N°1). Avoir des enfants peut être une source de motivation pour ces femmes dans leur projet de compléter leurs études afin d’occuper un bon emploi.