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2.3 La jeunesse en mode relationnel

2.3.2 L’école

En général, on peut soutenir que l’école est une facette importante et influente dans la période de la jeunesse. Dans les milieux autochtones, l’école est souvent considérée comme un endroit où se construisent des « discontinuités culturelles » dues à la confrontation de systèmes culturels qui conduisent à des incompréhensions mutuelles (Spindler et Spindler 2000). Plusieurs points de vue existent quant à la forme que devrait prendre l’éducation scolaire en milieu autochtone : certains proposent de faire des modifications mineures (contenu des manuels scolaires), d’autres avancent qu’il faut abolir les écoles (Battiste et Henderson 2000), alors que d’autres suggèrent de se l’approprier et non de la supprimer (Friesen 2000). Alexis de Crank soutient que la plupart des responsables autochtones veulent que l’école soit un lieu de valorisation de leur culture, sans pour autant en extraire totalement les savoirs occidentaux (De Crank 2008 : 45). Cette dernière proposition semble porter ses fruits dans différents contextes, bien que, dans le contexte néocolonial actuel, l’inclusion des savoir-faire et des savoir-être autochtones dans les cursus des établissements scolaires de leurs communautés reste un défi de taille.

Lucie Sauvé, Hélène Godmaire, Marie Saint-Arnaud, René Brunelle et Françoise Lathoud, chercheurs à la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement à l’Université du Québec à Montréal, remarquent que l’éducation en milieu autochtone est en

transition, entre un système dit « traditionnel » et un système « exogène » (Sauvé et coll. 2005 : 87). C’est à travers différents projets de recherche en milieu autochtone (projets de type « recherche-intervention », où l’investigation est associée à l’action éducative), que ces auteurs ont été confrontés au défi de mettre en œuvre ou d’accompagner des projets d’éducation relative à l’environnement appropriés à divers contextes culturels (Ibid. : 86). Les auteurs mentionnent que dans certaines communautés autochtones du Canada des curriculums et programmes sont développés dans le but de modifier les systèmes d’éducation néo-colonialistes et de mettre en œuvre une éducation qui inclue les principes fondamentaux de l’éducation traditionnelle en milieu autochtone, tout en favorisant l’adaptation aux changements qui émergent dans le contexte contemporain (Ibid. : 87). Par exemple, le Dene Kede Curriculum des Territoires du Nord-Ouest a été développé par des éducateurs, des parents et des aînés de la communauté concernée : « Ce curriculum adopte une perspective essentiellement communautaire, valorise la langue et la culture, mais, au- delà, il insiste sur le développement d’attitudes et d’habiletés liées au territoire (land skills): celui-ci est porteur de vie (life giving) et doit être respecté et conservé (Ibid.)23.

L’expérience vécue par les jeunes Atikamekw par rapport à l’école, où se rencontrent plusieurs mondes, est l’un des aspects de la vie des jeunes femmes atikamekw sur lequel je me penche. De plus, il sera intéressant de documenter les efforts et initiatives déployés par le conseil scolaire de Manawan, au fil des dernières années, dans le but d’ « indigénéiser » ses écoles (primaire et secondaire) et ses tentatives afin d’insérer dans les curriculums scolaires les savoirs, la langue ou encore l’histoire atikamekw. Il s’agit dès lors de mieux comprendre la relation que les jeunes entretiennent avec de tels programmes et initiatives.

Peu d’établissements postsecondaires offrent une éducation dédiée aux cultures autochtones; au Québec, l’Institut Kiuna est l’un des rares endroits conçus par et pour des

23 Le curriculum Dene Kede est un programme officiel soutenu par le ministère de l'Éducation, de la Culture et de l'Emploi, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Comme il s'agit d'un programme communautaire, la manière dont le programme est utilisé dans une école dépend des désirs et des besoins de la communauté : alors qu’une communauté peut choisir de l’utiliser comme perspective basée sur la culture Déné au sein duquel s’organise l'enseignement de tous les autres sujets, une autre école peut limiter l'utilisation du programme d'études à l’enseignement de la langue déné comme langue seconde (Dene Kede Curriculum). Source : http://aboriginal.cmec.ca/documents/NT-Curriculum.en.pdf

Autochtones. Situé à Odanak, Kiuna est le produit d’une initiative du Conseil en Éducation des Premières Nations, qui a travaillé pendant plusieurs années pour concevoir un établissement postsecondaire créé spécialement pour les étudiants des Premières Nations. L’institution a comme objectif de « former des citoyens des Premières Nations compétents dans leur domaine respectif, héritiers de leur patrimoine culturel, socialement responsables, soucieux du bien-être de leur communauté et ouverts sur le monde » (Kiuna).

Enfin, l’école au niveau postsecondaire suppose forcément la relation à la ville, considérant l’absence de cégep et d’université dans les communautés autochtones environnantes – et dans les communautés autochtones, en général. Que signifie quitter la communauté pour ces jeunes femmes atikamekw? Dans quel but et avec quelles aspirations? Aux dires de Bernard Lamothe (1997), plus du cinquième de la population âgée de 15 ans et plus à Manawan désirait aller vivre à la ville durant une longue période, et plus cette population est jeune, plus le désir est fort. En effet, 40% chez les 15 à 24 ans alors que ce pourcentage descend à 9% chez les plus âgés (Lamothe 1997 : 56). D’ailleurs, le principal motif évoqué pour ce déplacement vers la ville est la poursuite des études. Dix-sept ans après la recherche de Lamothe, est-ce que les jeunes femmes désirent toujours quitter la communauté pour la ville? Et les raisons sont-elles les mêmes? Il existe diverses difficultés associées à leur arrivée à la ville, dont le manque d’intégration et d’accès aux ressources, de l’angoisse liée à « l’inconnu », la difficulté de trouver un logement, les problèmes financiers, l’isolement, le racisme et ainsi de suite (Regroupement des femmes autochtones, 2004; Wapikoni Mobile, La vie en ville). Il y a aussi des avantages dont l’accès simplifié aux produits de consommation, aux différentes activités et loisirs (cinéma, parcs pour les enfants, restaurants, services de santé, intimité dans le logement, etc.). Pour les jeunes femmes atikamekw de Manawan qui immigrent ou désirent immigrer temporairement ou perpétuellement en ville, nous tenterons de comprendre les manières dont se vit cette relation à la ville.