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Chapitre 1. 1939 — 1940 : Le calme avant la tempête Une détention de guerre à la fois lente et

1.2 Les premiers mois de la guerre en Grande-Bretagne, septembre 1939 — juin 1940

Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne. Dès le déclenchement des hostilités, le Home Office, responsable de la sécurité intérieure, met en place des mesures visant à surveiller les civils originaires des pays ennemis. Ceux-ci doivent se déclarer aux autorités afin d’être identifiés et localisés. Cette politique est issue de l’expérience d’internement durant la Première Guerre mondiale. Officiellement, elle a pour objectif d’éviter toute cohue ou mouvement de panique éventuel de la population provoquée par des craintes à l’endroit des civils d’origine allemande2. Parallèlement, le War Office prévoit n’accueillir qu’un nombre minime de prisonniers de guerre sur le territoire britannique étant donné que les combats prendront vraisemblablement place sur le continent européen. Cette prévision est plutôt surprenante considérant que plus de 130 000 prisonniers allemands avaient été transférés et

2 Panikos Panayi, Prisoners of Britain: German Civilian and Combatant Internees during the First World War, Manchester, Manchester University Press, 2013, p. 44–52.

détenus en Grande-Bretagne entre 1914 et 19193. En dépit de cette expérience, les Britanniques planifient seulement quelques sites potentiels pour des camps de prisonniers4.

Cette prédiction semble se confirmer au cours de l’hiver 1939-1940 durant la période de la « drôle de guerre ». Le peu d’affrontements avec les forces allemandes résulte en un nombre restreint de soldats ennemis capturés. Par exemple, en novembre 1939, les rapports de visites de la Croix-Rouge dénombrent 18 officiers, ainsi que 94 sous-officiers et soldats réguliers allemands, principalement des marins et quelques aviateurs5. Ces chiffres sont confirmés par un rapport du haut commandement militaire allemand (OKW) qui rapporte la perte des sous- marins U-27 et U-396. Malgré les débuts relativement « tranquilles » de la captivité de guerre, les Britanniques mettent en place, dès septembre 1939, un système de détention en conformité avec la Convention de Genève de 1929. En ce sens, le Foreign Office établit des liens diplomatiques avec la Suisse et le CICR afin d’assurer l’échange d’informations relatives à la détention et pour organiser les visites de camps. De plus, le War Office crée le Prisoners of War Information Bureau (POWIB). Cet organe administratif est responsable de la transmission des informations personnelles des prisonniers à l’Allemagne via la Suisse7. Deux camps sont aussi aménagés pour

les militaires ennemis capturés : Grizedale Hall à Lake District dans le comté de Cumbria pour les officiers et Glen Mill Camp à Oldham dans le Lancashire pour les soldats du rang.

Afin d’encadrer la détention de guerre et d’assurer la discipline et la stabilité dans les camps de prisonniers, le Command of the Army Council produit un manuel de règlements : Regulations for the Maintenance of Discipline among Prisoners of War8. Ce document sert de base pour l’application de la Convention de Genève dans l’ensemble des camps en Grande-Bretagne. Il

3 B. K. Feltman, The Stigma of Surrender German Prisoners, British Captors, and Manhood in the Great War and Beyond, The University of North Carolina Press, 2015, p 1–12.

4 Bob Moore et Kent Fedorowich, The British Empire and Its Italian Prisoners of War, New York, Palgrave Macmillan, 2002 p. 14–15.

5 Politisches Archiv des Auswärtigen Amts, Berlin (PA-AA), Fonds RZ405-13, Dossier R41139, Kriegsrecht – Deutsche Kriegsgefangene im Ausland, CICR, Rapport d’inspection du Camp PG No.1, 7.11.1939.

6 PA-AA, RZ405-13, R 41139, Bericht, Deutsche Kriegsgefangenen in England, London, 18.10.1939.

7 The National Archives, Londres (TNA), Fonds CO323/1796/3, Colonial Office, Report, Functions of Prisoners of War Information Bureau in the United Kingdom, Non daté.

8 TNA, CO323/1612/4, Command of the Army Council, Manuel, Regulations for the Maintenance of Discipline among Prisoners of War, 6.09.1939, 76 p. et Fonds FO371/24050–24051, Foreign Office, Reports, Exchange of Information Regarding Prisoner of War, septembre à octobre 1939.

règlemente et définit à la fois le quotidien de la captivité, les droits des prisonniers, la gestion des camps par les autorités responsables, la censure du courrier des prisonniers, la sécurité, la surveillance, ainsi que les mesures disciplinaires pour les crimes commis par les détenus. Par ailleurs, durant cette même période, les autorités britanniques envisagent d’utiliser les détenus dans un programme de mise au travail. Le projet vise l’emploi d’un groupe de trente prisonniers dans l’industrie forestière afin de combler la demande de main-d’œuvre dans ce secteur. Toutefois, les clauses de la Convention de Genève quant au travail des captifs stipulent la construction d’installations adaptées pour les prisonniers de guerre ainsi que certaines conditions de travail particulières : définition précise des tâches, horaire, salaire, sécurité des travailleurs, etc. Par conséquent, le respect de ces conditions ralentit la mise en place du programme.

Pour pallier à ces questions et réunir les différentes autorités impliquées, le Home Office propose de créer le Prisoner of War Employment Committee9. Malheureusement pour ce comité, la position du Ministère du travail en défaveur de l’utilisation de la main-d’œuvre captive fait avorter le projet. Le nombre restreint de prisonniers disponibles, les coûts importants reliés aux mesures nécessaires pour l’utilisation de ces travailleurs et surtout l’opposition des syndicats d’ouvriers exigeant la priorité du travail aux Britanniques motivent cette décision. En prenant exemple sur la Première Guerre mondiale, les syndicats soulignent que les prisonniers de guerre ont été utilisés seulement qu’à partir de la fin de l’année 1915 lorsque la pression sur l’effort de guerre s’accentuait. En d’autres mots, la demande de main-d’œuvre en foresterie n’est pas assez forte pour justifier l’emploi de ces détenus10.

Parallèlement, les délégués de la Croix-Rouge qui visitent les camps britanniques en novembre 1939 et février 1940 notent les bonnes conditions de détention, autant pour la nourriture que pour la qualité des bâtiments et du matériel offert, en particulier pour les officiers allemands. À ce sujet, le chef du camp de Grizedale Hall, nommé par les prisonniers pour les représenter et généralement l’officier le plus haut gradé, déclare qu’il apprécie les excellentes conditions d’internement et que celles-ci dépassent même le minimum requis par la Convention

9 TNA, Fonds WO32/9902, War Office, Meeting Prisoners Employment Committee, Employment of Prisoners of War, 21.11.1939.

de Genève sur certains points11. Outre les problèmes matériels et les retards de livraison du courrier et des uniformes militaires attribués à l’installation difficile d’un réseau de transport entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, les observateurs de la Croix-Rouge remarquent que les conditions de détention s’améliorent durant cette période. Les autorités britanniques semblent s’efforcer de respecter la Convention de Genève et le moral des détenus demeure excellent selon les observations12. Considérant ces commentaires favorables et le nombre minime de plaintes émises, la détention de guerre est jugée satisfaisante par les autorités britanniques.

D’ailleurs, un mémorandum remis au War Cabinet par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Lord Halifax, souligne aussi ces aspects. Il conclut que le moral des 250 détenus semble très bon. En ce sens, l’attitude défiante et hostile des prisonniers, leur critique superficielle sur la qualité du pain anglais, leur admiration sans bornes pour Adolf Hitler et leur foi inébranlable dans une victoire rapide de l’Allemagne frôlent l’arrogance selon le personnel de camps « […] their attitude inclined to be defiant, not to say arrogant13. » En exemple, le commandant du camp de Grizedale Hall note un épisode au cours duquel il a déclaré devant les détenus au sujet de l’attentat contre Hitler à Munich en novembre 1939 : « Hitler escapes by only 15 minutes », ce qui a provoqué une vive réaction d’un prisonnier. Ce dernier s’est levé brusquement en claquant ses talons et a déclaré : « Herr Hitler, if you please14 ». Les observateurs britanniques remarquent l’endoctrinement politique de ces soldats de par leur obéissance aveugle envers leurs officiers supérieurs, caractéristiques selon eux du national-socialisme.

Le nombre de prisonniers ennemis capturés par les Britanniques s’accroit lentement au cours du printemps 1940. En date du huit mars, une note adressée à la Chambre des communes fait état de 257 prisonniers allemands15. Quelques semaines plus tard, il s’ajoute un petit groupe de quelques centaines de soldats allemands issus de la campagne norvégienne, ainsi que 1200 prisonniers, pour la majorité des troupes aéroportées, évacuées des Pays-Bas avant leur reddition en mai

11 PA-AA, RZ405-13, R41139, CICR, Rapport d’inspection du Camp PG No.1, 7.11.1939.

12 Archives Fédérales Suisses, Berne (AFS), Fonds E2001-02#1000-115#430, Deutsche Kriegsgefangenen in England, Bericht, Kriegsgefangenenlager No.1, 21.02.1940.

13 TNA, Fonds CAB 67/3/45, War Cabinet Papers, Memorandum from Lord Halifax to Foreign Affairs, War Cabinet, Memorandum Respecting German Military and Civilian Prisoners of War in Great Britain, 18.12.1939. 14 Ibid.

15 House of Commons, fifth series (1939–40) vol. 358, col. 824, Hansard, Sir Victor Warrender, Financial Secretary to War Office, répondant à une question du député George Strauss, 8.03.1940.

194016. Toutefois, les avancées allemandes en Europe de l’Ouest, suivies de la capitulation de la France en juin 1940, changent drastiquement la captivité de guerre en Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique, dorénavant avec Winston Churchill à sa tête et alarmé par la situation militaire, durcit les politiques à l’endroit des civils allemands et ordonne des mesures d’internement obligatoire pour les individus identifiés comme « potentiellement dangereux ». On cible principalement les personnes appartenant à des groupes politiques interdits tel que la British Union of Facists, mais surtout les civils d’origine germanique. Ces mesures sont notamment motivées par la crainte d’une éventuelle invasion de l’Angleterre par les forces allemandes et par la menace d’une cinquième colonne. L’expression Fifth Column Scare fait référence à un groupe de partisans, d’espions et de saboteurs supposément au sein de la population. Ces individus auraient vraisemblablement joué un rôle important dans les défaites hollandaise et française17.

Parallèlement, la menace des bombardiers allemands alimente les craintes quant aux possibles opérations aéroportées allemandes, aidées par les membres de cette hypothétique cinquième colonne, visant à libérer les soldats prisonniers « derrière les lignes ennemies ». Dans ce contexte militaire précaire, la question des prisonniers de guerre devient un enjeu important pour Londres, notamment en raison des milliers de soldats britanniques faits prisonniers en Allemagne à la suite de la catastrophe de Dunkerque. En ce sens, les 40 000 prisonniers britanniques entre les mains allemandes concèdent un rapport de force nettement en faveur de l’Allemagne dans les négociations18. La crainte de représailles envers ces captifs devient alors une composante centrale dans le processus décisionnel britannique. Le principe de réciprocité va devenir la pierre angulaire des rapports sur la captivité entre Berlin et Londres.

Devant l’ampleur du phénomène, le War Office crée le 25 mai 1940 le Directorate of Prisoners of War (DPW) afin de traiter les questions relatives aux prisonniers de guerre, ennemis ou alliés, et d’assurer une coordination entre les différentes autorités britanniques19. Durant cette même période, le Home Defence (Security) Executive (HDE), comité responsable de la sécurité du

16 Moore et Fedorowich, The British Empire and Its Italian Prisoners of War, op.cit., p. 14.

17 James Holland, The Battle of Britain. Five Months That Changed History, May—October 1940, Londres, Palgrave Macmillan, 2012, pp. 348–362. TNA, CAB 93/3. Home Office Security Office, Fifth Column Activities, 27.05.1940. 18 Sean Longden, Dunkirk: The Men They Left Behind, Londres, Constable, 2009, p. 7–13.

territoire britannique en prévision d’une invasion allemande, recommande non seulement d’éviter tout contact entre la population et les prisonniers, donc toute mise au travail des détenus, mais aussi d’évacuer outre-mer tous les individus représentant un risque important pour la sécurité nationale : les prisonniers de guerre et les internés20. Cette décision ne fait pas l’unanimité chez les autorités britanniques. Le Foreign Office soulève la crainte que Berlin n’interprète ces déplacements de population comme une violation du droit international, ce qui pourrait entraîner des représailles sur les prisonniers britanniques en Allemagne.

En réponse, le Home Office et le War Office rappellent la nécessité de ces opérations pour des raisons de sécurité nationale. De plus, cette mesure respecte la Convention de Genève en raison de l’obligation d’évacuer les prisonniers de guerre en dehors des zones de combats21. Dans le cas présent, la menace de bombardements allemands constitue un danger sérieux pour la sécurité des captifs. Selon l’historien Erich Koch, lui même ancien interné, cette décision visait aussi à réduire la pression sur les ressources matérielles (nourriture, équipement et installations) et humaines (gardiens) dans les camps britanniques22. L’évacuation des détenus est donc jugée prioritaire. Un mémo de juillet 1940 recommande même d’accorder la priorité des transports disponibles à cet effet : « transfer of enemy alien internees to other parts of the Empire was to receive priority over the evacuation of children23. »

Dans cette optique, les autorités britanniques se tournent vers l’Empire pour accueillir les internés et les prisonniers de guerre. L’île de Sainte-Hélène est considérée pour la détention de 5000 internés, de même que Sainte-Lucie, la Jamaïque, les Bermudes, la Mauritanie, les Seychelles et Ceylan24. Toutefois, les conditions matérielles lacunaires sur ces sites, dont la nécessité d’un approvisionnement constant, le peu de personnel disponible, le manque d’installations déjà disponibles et la défense difficile de ces territoires en cas d’attaque allemande représentent des éléments majeurs pris en considération par les autorités britanniques dans l’évaluation de la captivité. Par conséquent, le choix des dominions est jugé préférable pour la détention de ces

20 TNA, CAB66/8, Memorandum HD(S)E, 27.05.1940.

21 Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa (BAC), Fonds RG25, Department of External affairs, Vol. 2761, Memorandum from Foreign Office to Swiss Legation, London, 22.10.1940.

22 Eric Koch, Deemed Suspect: A Wartime Blunder, Toronto, Methuen, 1980, p. 9–37. 23 TNA, CO323/1808-28, Memo by CO to Col. Robertson, 2.7.40.

individus, notamment le Canada25. La proximité du dominion (en comparaison avec les autres territoires), l’espace et les ressources matérielles, financières et humaines disponibles justifient ce choix : « The Home Defence Security Executive had recommended that the German internees of the dangerous type and the prisoners of war should be interned as soon as possible on an island. […] It would be far better to put these dangerous aliens on the other side of the Atlantic […] It was eventually agreed that Canada would be the best place for the prisoners of war26. » Ainsi, à la fin de mai 1940, Londres demande officiellement aux membres du Commonwealth d’accepter la détention des prisonniers de guerre et internés allemands sur leur territoire.

Bien que la demande pour la détention de guerre soit envoyée à chaque dominion, Londres concentre ses efforts diplomatiques en direction d’Ottawa. Le War Office tente de faire pression sur le gouvernement canadien en réitérant quelques jours plus tard sa demande à Vincent Massey, Haut Commissaire du Canada à Londres, afin qu’Ottawa accepte les prisonniers dans les plus brefs délais. Les Britanniques soulignent qu’aucun site adéquat, autre que le Canada, n’est disponible dans l’immédiat pour cette tâche27. Par le fait même, ils rappellent le contexte précaire auquel la Grande-Bretagne fait face en raison de la menace d’une invasion allemande et le haut degré de « dangerosité » de ces détenus :

[…] The United Kingdom government sincerely hopes that the Canadian government may be pressed to come to the assistance of the United Kingdom by agreeing to receive at the earliest possible moment, at least the internees whose removal from this country it is desired to secure on the ground that their continued presence in this country is bound to be a source of the most serious risk.28

Signe de la pression diplomatique exercée par Londres, le Dominion Office est aussi sollicité pour inciter le gouvernement canadien à apporter son aide à la Grande-Bretagne : « Dominion Office should communicate urgently with the Canadian Government with a view to pressing the question of transferring the internees to Canada29. » Cette stratégie politique témoigne d’un changement de dynamique chez les autorités britanniques. La question des prisonniers allemands

25 TNC, CO323/1808-28, Colonial Office, Memo by Mr. Eastwood, 29.05.1940.

26 Le Canada demeure la meilleure option à travers l’Embire britannique. TNA, CO323/1808-28, Privy Council Office, Notes of an Informal Meeting of Ministers, 4.6.40.

27 BAC, RG25, Vol. 2580, Memo to Vincent Massey by Under-Secretary of Dominion Affairs, 7.06.1940.

28 BAC, Fonds RG24, Department of National Defence, Vol. 6585, Telegram from Vincent Massey in London to Department of External Affairs, Canada, 7.06.1940.

devient en l’espace de quelques jours un enjeu prioritaire pour la sécurité du territoire. Le contexte précaire propre à la période de mai à juin 1940 non seulement explique la politique britannique face à la captivité et l’aide du Commonwealth, mais va aussi largement influencer les rapports subséquents avec les dominions, ainsi que la détention elle-même au cours des prochains mois. Finalement, au début juin 1940, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Terre- Neuve ainsi que l’Inde acceptent d’assurer la détention des prisonniers de guerre. Le Canada acquiesce aussi à la demande de Londres malgré son manque de préparation pour ces opérations, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la détention et ses relations avec Londres.

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