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Chapitre 1. 1939 — 1940 : Le calme avant la tempête Une détention de guerre à la fois lente et

1.5 La détention des prisonniers de guerre allemands en 1940

Alors que la captivité de guerre prend forme au Canada en juillet 1940, différents organismes venant en aide aux prisonniers organisent l’inspection des camps, tel que stipulé dans la Convention de Genève. À l’interne, la Direction de l’internement envoie le colonel Watson pour évaluer la détention, mais surtout les mesures de sécurité en place pour éviter les évasions et d’éventuels troubles avec les prisonniers. De manière générale, considérant que la plupart des camps sont temporaires, les conditions de détention sont jugées acceptables et satisfaisantes par les observateurs de la Défense nationale concernant la nourriture, les baraques et le moral des

76 BAC, RG24, C-5069, Telegram from High Commissioner for Canada in London to Secretary of External Affairs Ottawa, 16.10.1940. et RG24. Vol. 11258, Report from High Commissioner for Canada in London, 22.10.1940. 77 Archives du Comité international de la Croix-Rouge, Genève (ACICR), Fonds G17/08/46, Correspondances, Lettre H. Stehem, Ass Director Interment Operations to Ernest L. Maag, CICR, 28.10.1940.

détenus79. Quelques problèmes mineurs sont signalés sur certains sites, notamment les réseaux d’eau courante, d’eau chaude, d’électricité et d’égouts déficients, l’approvisionnement difficile de fourniture et le manque de préparation des camps en chauffage et l’isolation des baraquements pour l’hiver. Néanmoins, ces éléments sont facilement remédiables selon les spécialistes. Lors des visites aux camps de Fredericton au Nouveau-Brunswick, de l’Ile-aux-Noix au Québec et d’Espanola en Ontario, les observateurs notent que ces installations seront pleinement opérationnelles et satisfaisantes lorsque leur construction sera terminée et que leurs recommandations sur la sécurité seront appliquées80.

Toutefois, certains camps sont aux prises avec des problèmes majeurs. Lors de sa visite au camp de Red Rock en Ontario, le colonel Watson note de sérieux problèmes de sécurité. Non seulement le système électrique, l’éclairage et l’eau courante sont déficients, mais la disposition des tours de garde à proximité des baraques rend aussi difficile la sécurité du camp en cas d’incendie, de même que la surveillance des détenus. Ces derniers se retrouvent trop près des clôtures. De plus, il souligne que l’officier britannique responsable de la censure est complètement débordé, ce qui réduit considérablement l’efficacité de son travail. Il conclut que les coûts nécessaires pour rendre le camp sécuritaire sont trop élevés et suggère de simplement fermer le camp et de trouver d’autres sites mieux équipés81. Le général Panet visite aussi le camp et aboutit à des conclusions similaires. Bien qu’il s’agisse d’un camp temporaire, ces installations présentent de sérieuses lacunes de sécurité et le manque de ressource. Il observe la composition hétérogène des détenus, passants de réfugiés juifs aux officiers de la marine marchande allemande, qualifiés d’ardents nazis par les autorités. Cette situation constitue un danger pour l’état psychologique des détenus et donc, pour la stabilité du camp. Il recommande que l’officier britannique présent se consacre à la censure et à la formation des officiers canadiens, et non uniquement à servir de traducteur. Panet conclut que ce camp ne doit pas être considéré comme permanent et de redéployer les détenus vers des sites plus adéquats82. Ces observations sont confirmées par l’expert britannique. Ses rapports indiquent que des commentaires similaires sont mentionnés par les détenus dans

79 BAC, RG6, Vol. 7, Memorandum for the Secretary of State for External Affairs, 26.08.1940.

80 BAC, RG24, Vol. 11253, Reports from Col. H. Watson, Department of National Defence, Inspection report, Internment and POW Camps, 21.10.1940. Notes of Inspections Camp I, Ile-aux-Noix, Québec, 2.09.1940. et Notes on Visit to Camp B, 23.10.1940.

81 BAC, RG6, Vol. 7, Notes on Visits to Camp R by Col. H. de N. Watson, 16.08.1940.

leurs correspondances personnelles83.

Le camp de Newington à Sherbrooke présente aussi des sérieuses lacunes. Lors des premières visites du colonel Stethem de la Direction de l’internement, ce dernier note que les conditions de détention concernant la discipline des détenus et la propreté des lieux sont atrociously bad84. Les installations sanitaires sont qualifiées de catastrophiques. Souffrant des conditions de détention difficiles, les prisonniers affichent un moral bas et sont plutôt non coopératifs avec les autorités. L’observateur souligne même un danger d’épidémie due à la présence de vermine. Le camp est donc jugé insalubre et montre un manque flagrant d’équipements et d’installation pour assurer une surveillance et une sécurité adéquate, de même qu’un quelconque programme de travail pour les détenus85. Il blâme directement les autorités du camp pour leur travail de préparation nettement insuffisant et recommande la fermeture du site à court terme.

Bien que jugé moins problématique, le camp de Cove Fields à Québec présente de sérieux problèmes de sécurité en étant situé sur les Plaines d’Abraham au cœur d’une zone urbaine selon le rapport de d’évaluation. La géographie particulière des lieux et la proximité avec la population canadienne rendent le camp difficile à sécuriser. Néanmoins, l’évaluateur signale qu’il demeure acceptable d’utiliser temporairement ce campement pour les réfugiés seulement : « The situation of camp L at Cove Fields in the middle of the city is a very unsatisfactory one […] for the prisoners of the pro-nazis type, would be a very dangerous camp86. » Le camp Calydor à Gravenhurst en Ontario présente aussi des lacunes sur la sécurité. Considérant que le camp détient environ 500 soldats allemands, la disposition du site et le manque d’équipements adéquats pour la surveillance et l’éclairage, surtout depuis la découverte d’un tunnel creusé par un détenu pour s’évader, alertent l’évaluateur. Il recommande de renforcer les fondations des bâtiments, ainsi que de changer les procédures de surveillance, la routine des gardes et leur formation87.

83 BAC, RG24, Vol. 11249, Quatre rapports du British Liaison Officer, Moral Report Camp R, 7.08.1940. 5.09.1940, 3.10.1940. 6.11.1940. et 26.11.1940.

84 BAC, RG24, Vol. 11253, Report by Col. Stethem, Report on Inspection of Camp N, Newington, 21.10.1940. 85 Ibid.

86 BAC, RG24, Vol. 11253, Brig. Gen. Panet, Director of Internment Operations to Secretary of State of Canada, Report on Temporary Camp L, Cove Fields, Quebec, 12.09.1940.

87 BAC, RG24, Vol. 11253, Report by Col. H. de Watson to the Department of National Defence, Inspection report, Internment and POW camps, 21.10.1940.

Ces mêmes camps sont aussi visités par les représentants suisses, le Comité international de la Croix-Rouge et le Young Men Christian Association. De manière générale, ces trois autorités émettent des commentaires plutôt favorables au système de détention canadien. Ernest Maag, le délégué du CICR au Canada, produit un rapport sur une première série de visites. Il souligne positivement le travail des commandants de camp et le choix du personnel, autant les Canadiens que les officiers de liaison britanniques. Ces derniers travaillent efficacement ensemble et se complètent mutuellement, ce qui facilite non seulement la détention, mais aussi la communication avec les observateurs du CICR. Selon Maag, le Canada tente vraisemblablement de respecter la Convention de Genève. Les autorités canadiennes transmettent les informations sur les détenus lors des visites, assurent les communications entre le délégué et les autorités de chaque camp, facilitent l’accès aux installations et s’efforcent d’offrir une détention respectant les normes de Genève88. Il souligne au passage quelques problèmes mineurs concernant les manques de biens personnels accessibles pour les prisonniers, surtout les vêtements de rechange, ainsi que le peu de fruits frais dans les repas sur certains sites. L’acheminement du courrier à la fois au Canada et vers l’Allemagne fait aussi défaut. Même la visite au camp de Red Rock, pourtant fortement critiqué par les autorités canadiennes, est plutôt positive. Le délégué juge que les problèmes relevés concernant l’état des lieux sont justifiables considérant le caractère temporaire du camp. De plus, la Direction de l’internement a pris conscience de la situation problématique et garantit au CICR que les prisonniers n’y resteront pas de manière permanente89.

Ces mêmes conclusions positives sont d’ailleurs notées dans un échange entre la Direction de l’internement, la Croix-Rouge canadienne et le YMCA. Malgré quelques critiques mineures émises par le YMCA à la suite de leurs visites, l’ONG souligne la qualité de la détention et la bonne volonté des autorités canadiennes de respecter la Convention de Genève. Leurs recommandations concernent principalement les articles personnels disponibles dans les camps90. Par exemple, un rapport du YMCA sur le camp Gravenhurst en Ontario confirme que les installations disponibles pour les prisonniers pour leurs activités sportives, récréatives et religieuses sont adéquates. Il recommande cependant un plus large accès à du matériel de

88 ACICR, G17/08/46, Letter from Ernest L. Maag to Committee of the International Red Cross, Genève, 3.10.1940. 89 PA-AA, RZ405-13, R41155, Ernest L. Maag Delegate in Canada for the International Red Cross, Report on Camp C, 28.09.1940. Report on Camp E, 29.09.1940. et Report on Camp R, 3.10.1940.

lecture91. De leur côté, les autorités suisses travaillent principalement comme intermédiaires pour les plaintes de maltraitance des captifs. Une seule plainte pour abus est notée durant les premiers mois de captivité. Cette dernière concerne l’emprisonnement de trois prisonniers pour tentative d’évasion aux camps de Gravenhurst et d’Espanola92. L’un des principaux accusés est condamné à 28 jours d’isolement. Le consulat suisse plaide d’ailleurs, sans succès, pour une diminution de cette peine. En réponse, le commandant du camp rappelle qu’il applique strictement les mesures punitives approuvées par la Convention de Genève, d’autant plus que le prisonnier en question est coupable d’insubordination envers les officiers canadiens.

Parallèlement, la captivité de guerre se poursuit aussi en Grande-Bretagne, même si plus de 3 000 prisonniers allemands ont été transférés en sol canadien. D’ailleurs, un militaire transporté au Canada témoigne de sa détention en Grande-Bretagne au camp de Glen Mill. Dans une lettre adressée à l’ambassade allemande aux États-Unis et retransmise à Berlin, il y critique la nourriture offerte aux détenus dans le camp, de même que le manque de biens personnels disponibles pour les captifs (produits personnels et vêtements). Il soutient toutefois que le moral des prisonniers était plutôt bon dû aux activités récréatives et sportives disponibles, ainsi que la collaboration du personnel du camp envers les demandes des prisonniers93.

Les camps britanniques sont aussi visités par le CICR et le YMCA. Dans un rapport général, John Warwick du YMCA souligne le travail remarquable des autorités concernant les activités d’éducation, de récréation et de service religieux offerts aux captifs. Il note en conclusion le bon moral des prisonniers94. De leur côté, les observateurs de la Croix-Rouge remarquent aussi les conditions de détention satisfaisantes. Leurs rapports d’inspection des camps de Glen Mill, de Grizedale Hall, de Hayes et de l’hôpital militaire Royal Herbert mentionnent une bonne coopération avec les autorités britanniques, ce qui facilite l’amélioration des conditions de détention depuis novembre 1939. Le Directorate of Prisoners of War, ainsi que les commandants

91 Archives du YMCA, Genève, Dossier John B. Barwick 1940-1944, Report on Camp for Prisoners of War, 17.08.1940.

92 PA-AA, RZ405-13, R41155, Deux lettres du Consul suisse à Montréal à la Légation suisse en Grande-Bretagne, 10.09.1940. et 17.09.1940.

93 PA-AA, RZ405-13, R41155, Auswärtges Amt, Bericht des aus kanadischer Kriegsgefangenschaft entwichenen U- Bootmaats Reich über Zustände in einem englischen Gerfangenenlager, 25.09.1940.

94 YMCA, Classeur : Reports on Visits to Camps, Great-Britain, John W. Barwick, Rapport sur les activités dans les camps de prisonniers de guerre et d’internés civils en Grande-Bretagne, 1.10.1940.

de camps assurent aux délégués leur volonté de régler un maximum de problèmes soulevés dans leurs rapports : systèmes électriques défaillants, isolation et chauffage des baraques insuffisants pour l’hiver, surpeuplement de certains camps et manque d’activités intellectuelles offertes aux détenus. L’observateur souligne aussi les soins médicaux offerts aux prisonniers autant au quotidien dans les camps que pour les blessés graves nécessitant une hospitalisation95. La principale plainte des prisonniers concerne les délais de distribution du courrier. D’ailleurs, cette critique est signalée par le CICR, le YMCA et la Suisse autant au Canada qu’en Grande- Bretagne. En fait, la question du courrier demeure délicate. La centralisation de la censure par les Britanniques, en plus des négociations avec Berlin sur les modalités de transfert du courrier via le Portugal retardent l’acheminement des lettres et des colis vers la Grande-Bretagne et donc vers le Canada96. En réaction, le CICR tente de trouver une solution à ce problème en rappelant aux deux parties leur engagement à respecter la Convention de Genève, ainsi que le fait que les contacts restreints avec leur famille aggravent l’état psychologique des prisonniers97.

Dans le contexte de l’évacuation précipitée des prisonniers vers le Canada à l’été 1940, les Britanniques et les Canadiens s’efforcent de respecter la Convention de Genève. Ces efforts sont remarqués par les organisations internationales, en dépit de quelques critiques sur la détention. Toutefois, malgré le déplacement de plus de 3000 détenus en territoire canadien, il reste encore plusieurs centaines de captifs en Grande-Bretagne. Pour pallier ce problème, le dominion de Terre-Neuve est interpelé pour accueillir des prisonniers allemands. Le projet de détention terre- neuvien va causer non seulement une intensification du rôle des Canadiens dans la captivité de guerre en Amérique du Nord, mais entraine aussi le gouvernement américain dans les négociations, même si Washington n’est pas encore officiellement impliquée dans le conflit.

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