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Chapitre 2. 1941 : Assurer un contrôle sur la captivité Consolidation de la politique impériale

2.8 Conclusion : une prise de position d’Ottawa face à la captivité

Au cours de l’année 1941, Ottawa constate sa mise à l’écart des négociations entre Berlin et Londres, tout comme pour certaines politiques britanniques dont les enjeux sont pourtant directement liés aux intérêts canadiens. En ce sens, l’IPOWC n’agit pas comme organe de consultation et de discussion tel qu’anticipé par Ottawa, mais uniquement comme outil de coordination des politiques britanniques dictées par le War Office. L’analyse de la détention de guerre à l’Ouest montre que cette dernière est intrinsèquement liée aux rapports entretenus entre Ottawa et Londres. D’ailleurs, les Britanniques envoient leurs officiers pour conseiller les Canadiens dans l’administration et la gestion de la captivité. Alors que le Canada constitue le principal geôlier de l’Ouest pour les prisonniers allemands durant cette période, l’impact du traitement des captifs sur son territoire dans les négociations avec l’Allemagne fait en sorte que la Grande-Bretagne observe étroitement la captivité de l’autre côté de l’Atlantique. Le contexte du conflit favorise donc la collaboration entre les deux Alliés pour éviter les représailles. Cette coopération s’opère alors que parallèlement la détention canadienne engendre de nouveaux

problèmes et intensifie ceux déjà existants. En fait, ce chapitre montre que les politiques de captivité se construisent en fonction des rapports entretenus entre les deux alliés. Le traitement des prisonniers de guerre ne dépend plus uniquement de la réciprocité avec l’Allemagne selon leur interprétation respective de la Convention de Genève, mais aussi des relations intra- Commonwealth, considérant que les deux partis se déclarent responsables des captifs.

Les plaintes des officiers aux camps de Fort Henry et de Neys constituent deux exemples révélateurs de la réalité de la détention de guerre en 1941. D’abord, le Canada accepte la détention des 1000 captifs prévus pour Terre-Neuve dans un délai restreint devant la pression de Londres, en dépit d’un manque d’installation adéquate pour les officiers. L’utilisation de sites temporaires, critiquée par les officiers allemands, est une conséquence de la politique d’évacuation précipitée de Londres. Par ailleurs, le travail des observateurs neutres se révèle être essentiel comme médiateur dans les négociations. En confirmant les conditions de captivité en règle avec la Convention de Genève, leurs rapports forment des documents cruciaux pour réfuter les allégations de Berlin. Par la suite, ces deux épisodes montrent le rôle exercé par Londres sur la diplomatie avec Berlin pour négocier la fin des représailles en se portant garant de la détention au Canada. Par la même occasion, cette situation montre que le Canada reste peu informé et impliqué dans les négociations avec Berlin, même s’il est directement concerné.

La crise des camps F et W met aussi en lumière une attitude paternaliste adoptée par Londres à travers la pratique de la politique impériale. En ce sens, on confirme au gouvernement allemand que Londres va encadrer Ottawa pour son manque d’expérience militaire, en envoyant des spécialistes britanniques sur le terrain assurant ainsi un contrôle sur la détention canadienne. D’ailleurs, tout comme en 1940, les Britanniques suggèrent que cette demande provienne plutôt d’Ottawa afin que le Canada confirme son rôle d’agent. Cet épisode survient en parallèle aux discussions sur la définition des responsabilités entre Londres et Ottawa et la création de l’IPOWC, au cours desquelles Londres fait pression pour établir officiellement ce principe de partage des responsabilités. Le gouvernement britannique rappelle donc à plusieurs reprises qu’il se considère comme puissance détentrice et qu’il représente l’autorité sur la question. Il s’agit d’une occasion de mettre en pratique ce principe, de montrer son application concrète par l’exemple à la fois au Canada et à l’Allemagne.

En marge des relations canado-britanniques, l’année 1941 marque aussi une collaboration avec Washington qui progresse constamment. Même si l’Amérique demeure neutre, elle s’intéresse davantage à la captivité en observant la détention chez les deux alliés. Ce constat suggère que les Américains anticipent une éventuelle détention de prisonniers, possiblement sur son territoire et se préparent en conséquence en observant les problématiques qui font surface, les moyens employés face à ces dangers, les ressources nécessaires, l’interprétation et l’application de la Convention de Genève, les politiques établies, l’expérience positive et négative des Alliés, surtout que Washington est peu préparée, autant matériel qu’administrativement, pour ce type d’opérations. D’un côté, l’exemple du Canada leur sert de modèle puisque le pays détient des prisonniers de guerre sur un territoire similaire aux États-Unis. Dans ce but, les Américains ont plusieurs sources d’informations sur l’état des camps canadiens : échanges avec Ottawa, YMCA et CICR. À la fin 1941, ils s’intéressent aussi aux camps britanniques puisque ce sont eux qui établissent les politiques. Il s’agit du commencement d’une large collaboration sur cette question.

Par ailleurs, les derniers mois de 1941 montrent deux aspects marquants de cette période. Premièrement, l’augmentation de la détention, non seulement en nombre, mais aussi en termes de complexification des relations intra-Commonwealth et des politiques de détention. D’un côté, le Canada accepte 4 000 nouveaux prisonniers, dont l’arrivée est prévue pour 1942, mais doit aussi se préparer pour 26 000 détenus supplémentaires pour la prochaine année selon les estimations des Britanniques, qui de leur côté évaluent les options pour les mois qui viennent. L’Inde, l’Afrique du Sud et l’Australie sont mises à contribution, mais aussi le Canada, notamment pour les prisonniers allemands jugés plus dangereux. Les transports transatlantiques moins risqués et complexes que dans les autres régions du monde, l’expérience des Canadiens et les ressources et l’espace disponibles pour assurer la sécurité de ce type de détenus motivent la sollicitation du dominion. Deuxièmement, l’entrée des États-Unis comme belligérant en décembre 1941 présente un tournant majeur dans la détention de guerre. En tant qu’allié indépendant et souverain non contraint par les relations du Commonwealth et de par sa proximité avec le Canada qui va favoriser une collaboration croissante entre les deux États, la captivité de guerre à l’Ouest ne devient plus uniquement un enjeu intra-Commonwealth, mais bien une relation triangulaire entre Ottawa, Londres et Washington. Cependant, il faut préalablement s’attarder à l’établissement de

cette nouvelle dynamique de collaboration interalliée qui prend forme lentement en 1942, ce qui forme l’objet du chapitre suivant.

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