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Chapitre 1. 1939 — 1940 : Le calme avant la tempête Une détention de guerre à la fois lente et

1.8 Conclusion: la détention de guerre à l’Ouest prend forme

Que doit-on comprendre des premiers mois de la détention de guerre en Grande-Bretagne et au Canada ? Premièrement, ce phénomène se concrétise véritablement à partir de mai 1940. Avec l’échec des forces militaires alliées en France, la menace d’invasion de l’Angleterre et les milliers de Britanniques détenus en Allemagne, la question des prisonniers de guerre devient soudainement un enjeu majeur pour les autorités britanniques. C’est d’ailleurs durant cette période qu’elles mettent en place une structure administrative, ainsi que plusieurs organisations pour faciliter la gestion des prisonniers de guerre et assurer les communications avec les

différents acteurs responsables des détenus afin d’obtenir les informations sur les prisonniers britanniques en Allemagne. Parallèlement, c’est aussi durant ce moment précaire que la Grande- Bretagne requiert l’aide du Commonwealth. La relation qui s’établit avec les dominions est d’abord marquée par un empressement de Londres pour l’évacuation des prisonniers hors de son territoire, largement influencée par une perception alarmiste du danger que représentent ces individus. Cet empressement s’illustre par une pression exercée par Londres pour trouver rapidement des sites de détention potentiels, notamment via les dominions. En priorisant l’évacuation des détenus, les transferts sont organisés sans que l’ensemble des composantes de la détention soit clairement établi entre les différentes parties. Dans cette optique, les détails de la captivité au Canada seront à discuter ultérieurement. En fait, étant donné que les Britanniques ont déjà une structure décisionnelle en place, des liens établis avec les organismes internationaux à Genève et avec Berne et possèdent aussi une expérience de détention, bien que minime, avec les prisonniers militaires, Londres perçoit le rôle du Canada comme secondaire. Pour le War Office et le Foreign Office, le Canada doit utiliser la structure administrative britannique. À travers celle-ci, les deux ministères exercent une autorité sur l’ensemble des questions relatives aux détenus afin d’assurer un contrôle sur la diplomatie avec l’ennemi. Ce point est central dans la politique britannique. Non seulement il anime les rapports entre Londres et Ottawa, mais constitue aussi la source de plusieurs disparités et discordes entre les deux Alliés.

Deuxièmement, malgré quelques réticences des Canadiens face à la requête de Londres, la venue de prisonniers de guerre en Amérique du Nord est issue d’une volonté claire de la part du dominion de collaborer et de coopérer avec la Grande-Bretagne. Les Canadiens sont formellement favorables à l’idée d’offrir leur aide face à ce problème pressant pour la sécurité nationale des Britanniques. Cependant, cette acceptation ne signifie pas pour autant qu’il existe un plein consensus entre les deux Alliés, outre le constat préliminaire que les prisonniers allemands représentent un danger certain et que leur évacuation est nécessaire. Au contraire, les sources indiquent que la captivité au Canada cause rapidement plusieurs mésententes dans les relations intra-Commonwealth. La principale raison qui explique ces discordances est la politique impériale imposée par Londres sur les politiques de détention canadiennes. Ce principe repose principalement sur les objectifs fixés par le War Office et stipule que les Britanniques constituent la principale autorité pour le Commonwealth, alors que le Canada est défini comme un simple

agent. En pratique, cette politique signifie que les autorités britanniques ne consultent que peu leurs homologues canadiens. Du point de vue de la Grande-Bretagne, cette politique impériale devient une nécessité considérant le rapport de force nettement en faveur de Berlin en raison du grand nombre de prisonniers britanniques en Allemagne et du risque de représailles.

Cet aspect mène au troisième constat, soit que le principe de réciprocité forme une composante centrale dans les positions adoptées par la Grande-Bretagne. En ce sens, le rapport de force avec l’Allemagne influence l’ensemble des politiques de détention et rend sensible du même coup toute question sur le traitement des prisonniers allemands. Les différends entre Londres et Ottawa soulevés dans ce chapitre : transmission de l’information, livraison du courrier, règles et procédures de détention, censure et justification des internés, montrent que la Grande-Bretagne impose ses politiques au Canada en fonction des rapports qu’elle entretient avec l’Allemagne sur ces points. Londres craint toute ambigüité ou disparité avec les dominions dans l’application du droit international susceptible de donner un prétexte aux autorités allemandes pour émettre des critiques et possiblement des représailles. Considérant que l’Allemagne peut potentiellement utiliser une crise ou contentieux à son avantage, il faut éviter tout problème potentiel avec les prisonniers risquant de déstabiliser les relations intra-Commonwealth ou l’opinion publique et par conséquent, d’affecter l’effort de guerre britannique. La centralisation du processus décisionnel entre les mains de Londres est une réponse à ces craintes. Toutefois, la politique impériale a pour effet de ralentir le traitement des informations et l’application de certaines politiques, ce qui engendre des critiques à la fois des prisonniers, de Berlin, mais aussi du Canada.

Afin de légitimer leur statut d’autorité, les Britanniques s’appuient sur l’interprétation de la Convention de Genève. Le droit international reste au cœur de l’argumentaire des deux États. Non seulement la convention internationale justifie-t-elle le transfert des prisonniers vers le Canada (l’évacuation des détenus hors des zones de combats), mais légitime aussi les responsabilités de la Grande-Bretagne en tant que puissance détentrice officielle. Encore une fois, cette interprétation vise à éviter les critiques et les représailles de l’Allemagne relatives au respect du droit international. Londres prévoit donc que la détention au Canada entre dans cette dynamique de la politique impériale. De plus, en proposant de financer la détention au Canada, les Britanniques s’accordent directement un droit de regard sur la détention canadienne. Ils

rappellent d’ailleurs à plusieurs reprises à Ottawa que ces détenus sont avant tout sous la responsabilité du Home Office et du War Office. Ces deux institutions basées à Londres ne se considèrent pas tenues d’informer systématiquement leurs homologues canadiens quant à leurs politiques et leurs objectifs. En fait, le Canada ne rejette pas systématiquement cette politique impériale, de même que l’expérience des Britanniques en matière de détention de guerre. Au contraire, pour faciliter l’établissement du réseau de détention canadien, Ottawa profite de l’expertise britannique pour structurer son système de captivité, notamment en ce qui a trait à la censure du courrier, l’Intelligence Service, aux mesures de sécurité et aux relations avec le CICR pour la transmission des informations. Dans cette optique, le Canada accepte plusieurs demandes britanniques sur les politiques de détention. De plus, en se dégageant de la responsabilité des prisonniers en tant que simple agent de Sa Majesté, le Canada rejette plusieurs des plaintes et des critiques émises à l’endroit de la détention canadienne : pertes de bagages, conditions de transports difficiles, internements injustifiés, etc. En ce sens, Ottawa se réfère à l’autorité et à la responsabilité de la Grande-Bretagne sur ces points.

Cependant, malgré le fait que les Canadiens acceptent leur rôle de simple agent, ceux-ci ne s’empêchent pas de remettre en question certaines mesures de captivité dictées par Londres. Cette situation expose le caractère ambigu et l’ambivalence de la position canadienne. En ce sens, Ottawa semble divisée entre ses propres intérêts nationaux et la nécessité d’aider son allié britannique. Le gouvernement à Ottawa va rapidement prendre conscience que la défense de ses intérêts nationaux et internationaux entre parfois en contradiction avec ceux de la Grande- Bretagne, d’où le quatrième aspect abordé dans cette conclusion. En fait, la mise en pratique de la détention au Canada va diverger des politiques élaborées par le War Office. Le contexte économique, social et politique canadien diffère de la Grande-Bretagne, ce qui influence directement l’application de la captivité au Canada. Bien qu’il accepte d’aider son allié, le gouvernement canadien reste réticent à accepter sans restriction les demandes britanniques. Il considère préférable d’offrir une aide graduelle de crainte qu’une trop grande ouverture puisse inciter Londres à transférer l’ensemble des détenus. Les considérations financières semblent être un facteur important dans la position canadienne. Malgré le remboursement de la détention par Londres, les dépenses constamment en croissance préoccupent les autorités canadiennes. La Direction de l’internement se retrouve divisée entre la volonté d’appliquer les recommandations

de la Suisse, du CICR, du YMCA et des autorités de camp pour améliorer la détention selon la Convention de Genève et les coûts engendrés par ces demandes.

Évidemment, cette captivité de guerre ne s’arrête pas en décembre 1940 pour reprendre en janvier 1941. Au contraire, le prochain chapitre montre la continuité de ces opérations au cours de l’année 1941, de même que la complexification à la fois des rapports entre Londres et Ottawa et des problématiques engendrées par les prisonniers allemands entre les mains des Alliés. Cette dynamique non seulement se poursuit, mais subit aussi des changements importants au cours des mois suivants, s’adaptant au contexte constamment en mouvement de la captivité de guerre à l’Ouest. L’évolution du conflit et le contexte militaire de la Grande-Bretagne demeurent des facteurs non négligeables sur le développement des politiques de détention, ainsi que sur le traitement des prisonniers de guerre allemands.

Chapitre 2. 1941 : Assurer un contrôle sur la captivité. Consolidation de la politique

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