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Chapitre 3. 1942 : Changement de régime et durcissement de la captivité à l’Ouest

3.4 Affirmer la souveraineté du Canada

Au printemps 1942, le War Office propose de définir plus en détail le mandat de l’Imperial POW Committee afin de clarifier le rôle et les responsabilités de ce dernier face aux dominions pour ainsi favoriser une plus grande coopération intra-Commonwealth sur les questions liées à la captivité des prisonniers alliés et ennemis. À ce sujet, Londres déclare :

37 BAC, RG25, Vol. 2762, Report from Vincent Massey, London to DEA, Ottawa, 14.10.1942. 38 BAC, RG25, Vol. 2767, Note to Mr. Robertson, Rations for Enemy POWs in Canada, 23.12.1942.

« [IPOWC] remains an instrument whereby Dominion Governments are kept abreast of all developments in regards both to our own and enemy prisoners of war39. » L’objectif premier de cet effort est d’établir clairement la proposition du principe conjoint soumise aux dominions. Le Joint Principle stipule que le Canada et la Grande-Bretagne sont tous deux responsables pour les prisonniers de guerre. Cette entente s’opère via l’IPOWC. Ce dernier est toujours formé d’un comité principal qui se penche sur les questions concernant les politiques générales, l’approche face à Berlin et les relations intra-Commonwealth. Ensuite, il se divise en deux sous-comités qui s’occupent des questions administratives quotidiennes, des détails techniques et des actions à entreprendre pour assurer la coordination de la captivité entre les dominions. Voulant rassurer ses alliés quant à sa présence au sein de cette organisation, le War Office rappelle que les sous- comités sont pleinement autonomes. Ces derniers décident de manière indépendante du contenu des réunions, de l’implantation des mesures proposées, ainsi que de la nomination des responsables pour leur application. De cette façon, Londres souhaite que la délégation de chaque membre certifie à son gouvernement respectif qu’aucune décision n’est prise sans considérer la position des dominions : « In this way it is thought that the representative of the High Commissioners on the Sub-committee would be able to ensure that no instructions would emanate from the War Office which had not been under the consideration of the respective authorities of the Dominions and had not received their sanction40. »

Les autorités canadiennes demeurent toutefois réticentes face aux déclarations de Londres. Au sein du Département des Affaires extérieures, on rappelle clairement la position du Canada par rapport à ses responsabilités pour les prisonniers de guerre sur son territoire : « It will be seen that the view consistently taken by the Canadian Government is that the Canadian Government is responsible as detaining power under the relevant convention for the treatment of enemy prisoners of war in Canada, whether captured by the Canadian forces or transferred to this country from elsewhere41. » D’ailleurs, certaines ambigüités persistent à Ottawa quant au processus décisionnel britannique. Le DEA demande même au Colonial Office des éclaircissements sur le rôle précis du War Office, du Home Office et du Foreign Office sur les questions relatives à la détention de guerre. Les Canadiens cherchent à comprendre la dynamique

39 BAC, RG25, Vol. 2763, Telegram from High Commissioner for Canada London to DEA, Ottawa, 8.04.1942. 40 Ibid.

entre les trois départements dans l’établissement des politiques de détention et s’il existe d’autres comités interdépartementaux impliqués dans la prise de décision.

La réponse du Colonial Office mentionne que le Foreign Office assure uniquement la transmission des plaintes de prisonniers avec la Suisse et que le département n’est pas impliqué dans l’élaboration des politiques. La gestion de la captivité est assurée par le War Office. Ce dernier partage ses positions avec les autres alliés via l’IPOWC42. Cette requête du Canada témoigne d’un manque de communication entre les deux partis, ainsi que de la mise à l’écart des Canadiens du processus décisionnel britannique, et ce en dépit de la création de l’IPOWC et des modifications apportées au comité depuis 1941. De leur côté, les autorités britanniques justifient leurs politiques aux dominions de par la nécessité d’une coopération intra-Commonwealth. Par exemple, Londres propose au Canada de coordonner la propagande face aux prisonniers ennemis via le Political Warfare Executive. Cet organe agit comme autorité centrale en fournissant le matériel de propagande en langue allemande (films, livres, journaux, etc.)43. Londres suggère cette mesure en avançant l’argument de l’uniformisation, mais cette dernière s’opère uniquement par l’adoption du modèle britannique établi par Londres, ce qu’Ottawa déplore.

En parallèle à ces négociations, l’arrivée des nouveaux prisonniers incite Ottawa à affirmer davantage ses responsabilités face au droit international en entretenant davantage de contacts avec les autorités suisses et le CICR sans passer par Londres. À cet effet, divers problèmes relevés durant les inspections et dans les plaintes des captifs sont discutés lors d’un entretien entre la Direction de l’internement et le représentant suisse. Ce dernier soulève les disparités entre la détention canadienne et celle en Allemagne. Il rappelle l’importance du principe de réciprocité afin d’assurer un traitement équitable aux détenus canadiens et favoriser l’échange d’informations à leur sujet. Afin d’atténuer les divergences, il demande des ajustements dans les camps canadiens, tels que l’autorisation de vente de bière et l’envoi de photographies des funérailles et des sépultures de prisonniers décédés44. Ottawa accepte ces requêtes même si certaines craintes persistent au Département de la défense concernant la sécurité des camps et la

42 TNA, FO916/307, Memorandums, High Commissioner for Canada London to Colonial Office, 14.08.1942. 43 BAC, RG25, Vol. 2763, Telegram from High Commissioner for Canada London to DEA, Ottawa, 2.03.1942. 44 BAC, RG25, Vol. 2761, Report to DEA, With Regard to the protection of German interest, 15.01.1942.

présence d’alcool45. Par ailleurs, on demande à revoir des mesures jugées trop « musclées » telles que le menottage des détenus capturés lors de tentative d’évasion et l’utilisation de moyen coercitif contre des officiers récalcitrants46. Celles-ci sont refusées par la DOI puisque les règles

disciplinaires, clairement affichées aux détenus, sont jugées conformes au droit international. Bien que cette rencontre ait lieu à Ottawa, les Canadiens n’agissent pas seuls. En ce sens, la DOI informe le War Office du contenu des discussions et de la nature des demandes. D’ailleurs, Londres approuve quelques changements suggérés par le représentant suisse.

Concernant les plaintes de prisonniers, l’observateur suisse soulève les délais de transmission des documents justificatifs demandés. La DOI justifie cette situation par la nécessité de traduction, la censure, la consultation des autorités concernées et la livraison postale. Par ailleurs, le DEA répond aux critiques émises par le gouvernement allemand voulant que les Canadiens ralentissent volontairement la délivrance du courrier afin de retarder l’envoi des plaintes :

 I [Alfred Rive] assured him [Swiss representative] that there was no desire on the part of the Canadian authorities to delay the transmission of complaints but that we were most anxious to put them into their proper setting so that if possible misleading or specious complaints should not be unnecessarily sent forward to the enemy without an explanation from the Canadian authorities.47 

Sur une note plus positive, le représentant suisse souligne la bonne collaboration établie au cours des échanges, notamment la volonté des Canadiens pour améliorer la détention des prisonniers allemands : « Mr. Jaccard repeated that he had received very helpful collaboration […] Mr. Jaccard said he was quite satisfied with the statements in principle and again expressed profuse thanks for the co-operation which he had received […]48. » Ce constat témoigne de l’affirmation du Canada quant à son statut de puissance détentrice. Ottawa accepte davantage de responsabilités et prend des engagements par rapport à la Convention de Genève et la puissance protectrice, sans se référer uniquement au Foreign Office à Londres. L’objectif des autorités canadiennes est double. Il s’agit d’une tentative pour protéger les intérêts canadiens en Allemagne pour réciprocité et aussi pour accroitre les contacts entre Ottawa et Berne.

45 BAC, RG25, Vol. 2766, Memoradum for Mr. Robertson, Beer for Prisoners of War in Canada, 14.10.1942. 46 BAC, RG25, Vol. 2761, Report to DEA, With Regard to the protection of German interest, 15.01.1942. 47 Ibid.

Suivant cette même stratégie d’affirmation du statut de puissance détentrice, les Canadiens mettent sur pied un comité sous la responsabilité du DEA afin de coordonner les agences et ministères canadiens impliqués dans la détention de guerre. Ce dernier a pour objectif de se pencher sur la captivité au Canada en fonction du reste du Commonwealth et du respect de la Convention de Genève. Concrètement, le comité sert de table de discussion pour les autorités canadiennes afin de conseiller le gouvernement quant aux positions à adopter face au droit international, aux rencontres de l’IPOWC à Londres et aux relations avec la Suisse et le CICR49. À ce sujet, le comité reconnait l’importance de la réciprocité avec l’Allemagne. Le traitement des prisonniers allemands au Canada et celui des Canadiens détenus en Europe demeurent intrinsèquement liés. Alors que la détention de guerre est en constante croissance au Canada depuis 1940, nécessitant davantage de ressources, mais aussi une prise de décision accrue par les Canadiens, plusieurs décideurs réalisent que les intérêts du Canada sont directement touchés par cette captivité et donc que leur implication dans le processus décisionnel devient nécessaire. En d’autres mots, la pratique concrète de la détention va inciter Ottawa à s’impliquer davantage sur cette question parmi les Alliés. Cette volonté s’opère à la fois dans les négociations avec Londres, dans l’exécution de la détention, et aussi en fonction de la collaboration avec les Américains.

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